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«Plus que jamais, l’économie sous-régionale doit avoir une dimension plurielle»

Dans la sous-région, force est de constater que l’immense majorité des femmes entrepreneures travaillent dans le secteur informel. Pour l’immense majorité de ces femmes, il s’agit d’assurer leur subsistance et celle de leur famille. Un phénomène que l’on retrouve surtout dans les sociétés où domine l’économie informelle dans laquelle la situation économique des femmes est particulièrement vulnérable.

De l’avis de la consultante Onu-femmes-Congo, il faudrait davantage stimuler le potentiel économique de croissance dont les femmes sont porteuses dans les pays d’Afrique centrale.

Micheline Ngoakabi

Comment devient-on entrepreneure quand on est une femme? Est-ce une initiation familiale? Une occasion saisie? Une volonté d’affirmer ses capacités mal reconnues dans le salariat?
Dans l’esprit de beaucoup, des hommes notamment, devenir femme entrepreneure prend souvent un caractère «improvisé»: un hasard favorable. Pour la plupart d’entre elles, et quelles que soient les circonstances qui les ont menées à ce poste, leur parcours est rarement une réaction face à une situation de difficultés personnelles ou professionnelles contrairement à l’image souvent associée à la création d’entreprise. L’idée d’une activité à développer, la rencontre d’associés potentiels mais également l’association au projet d’un conjoint ou d’un autre membre de la famille sont des éléments déclencheurs. L’occasion provient souvent d’un contexte familial porteur d’une forte tradition d’autonomie. En tout cas, les parcours de certaines s ex-successful women éclairent la question de la négociation permanente entre identité professionnelle et identité personnelle à laquelle se livrent toutes les femmes, à tous les échelons sociaux. Les femmes qui ont quitté des carrières prometteuses pour tracer leur propre voie ne demandent plus seulement l’égalité au travail, elles souhaitent être actrices de leur vie professionnelle et participer à la définition et à l’évolution de ce monde qui a été créé sans elles

Quel est le profil de la femme entrepreneure en Afrique centrale?
En lieu et place de la femme, je parlerai des femmes. Celles qui sont considérées comme entrepreneures sont toutes des femmes engagées, admirables, passionnées par leur projet. On peut citer un seul exemple: Kate Kanyi-Tometi Fotso, une femme d’affaires de Douala, domine fièrement, à hauteur de 30%, les exportations africaines de cacao. Avec une fortune estimée à près de 252 millions de dollars, cette entrepreneure est aujourd’hui, selon le magazine Forbes, l’une des dix personnalités féminines les plus influentes du continent. On peut aussi parler de la Camerounaise Hadidja; Elle est la co-fondatrice de Djaalé, la plateforme d’e-tourisme à destination de l’Afrique, sur laquelle on réserve des expériences avec des guides locaux, des expériences loin des clichés et du tourisme de masse, on rencontre des personnes enrichissantes qui nous apprennent la culture du pays. Les guides sur Djaalé sont des professionnels qui ont été sélectionnés pour leur passion de leur région et leur culture qu’ils souhaitent transmettre. Hadidja a tenu à ce que Djaalé soit une entreprise africaine et l’a domicilié au Rwanda. Elle emploie actuellement une personne à temps plein, au Sénégal.
Ces femmes ont en général un rythme de travail intense qui les oblige à travailler en moyenne 10 heures par jour et, pour près de la moitié d’entre elles, à ne prendre qu’une semaine de vacances par an.

Peut-on avoir des données pour quantifier l’entrepreneuriat au féminin en Afrique centrale?
Dans la sous-région, force est de constater que l’immense majorité des femmes entrepreneures travaillent dans le secteur informel. Pour l’immense majorité de ces femmes, il s’agit d’assurer leur subsistance et celle de leur famille. Un phénomène que l’on retrouve surtout dans les sociétés où domine l’économie informelle dans laquelle la situation économique des femmes est particulièrement vulnérable. Toutefois, en zone Cemac, il y a quelques chiffres. Ceux-ci prouvent que les femmes camerounaises se tournent vers l’entrepreneuriat bien-que leur taux de pénétration dans le secteur demeure encore faible. Soit 37,5%, selon l’INS du Cameroun. Elles essayent donc de se frayer un chemin dans les divers secteurs tels que l’industrie alimentaire, vestimentaire etc. Au Tchad, seules 4,9% des entreprises formelles sont dirigées par des femmes, selon l’Agence nationale des investissements et des exportations. Au Gabon, sur les 5000entreprises créées chaque année, 28% le sont par des femmes. Dans l’ensemble formé par le Congo, la RCA et la Guinée Équatoriale, la Banque mondiale estime que le taux des femmes aspirant à créer leur entreprise tourne autour de 35%. Il faut mentionner qu’il y a 20 ans, c’est la proportion des autodidactes (non ou peu diplômées) qui l’emportait chez les femmes dirigeantes, vous connaissez le cas Mme Françoise Foning. Entre temps, les femmes ont comblé leur retard sur les hommes quant à leur niveau de diplômes; la proportion des autodidactes n’est plus que de 24% (22% chez les hommes); il y a dix ans, elles étaient 38% et les hommes 30%. Sur cent femmes entrepreneures en Afrique centrale, la moitié a créé leur entreprise, une sur cinq a repris une entreprise existante, une sur cinq a succédé à un membre de sa famille, une sur dix a pris la tête d’une entreprise par promotion interne.

Des chiffres suffisamment flatteurs…Mais, il reste que, sur le terrain, c’est difficilement observable. Selon vous, qu’est ce qui explique cet état de choses?
Il faut relever qu’en Afrique centrale, l’essor de l’économie entrepreneuriale dans les années 1990 entraîne des turbulences importantes: de nombreuses entreprises ont été créées et dans le même temps, nombre d’entre elles ont disparu. Et puis deux choses se sont produites par la suite: le progrès qui semblait inéluctable s’est considérablement ralenti et de nombreuses femmes qui avaient des carrières superbes se sont heurtées à d’ultimes plafonds de verre ou bien ont choisi d’abandonner leur carrière en cours de route. Dans les organisations, les femmes qui avaient «réussi» vivaient de plus en plus mal le décalage avec une culture sexiste et des pratiques d’un autre âge qui étaient encore dominantes.

En Afrique centrale, avez-vous le sentiment que les femmes entrepreneures sont suffisamment encadrées?
Oui, pas à la hauteur des attentes. Pour l’instant, l’accompagnement de l’entrepreneuriat féminin se structure dans les pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) seulement à travers le programme «Stand up for African women entrepreneurs» (SUFAWE), l’initiative qui vise la création d’opportunités d’affaires et de valeurs ajoutées à l’échelle continentale à travers le Club Afrique Développement (CAD). Or, les États et leurs dirigeants ont les moyens de renforcer le dispositif existant.

À l’entame de cet entretien, vous avez parlé de «l’évolution de ce monde qui a été créé sans les femmes». Les femmes entrepreneures éprouvent-elles un sentiment d’injustice?
Pour répondre à votre question, prenons le cas du prêt bancaire: les femmes qui créent leur entreprise essuient deux fois plus de refus que les hommes. Souvent la parole des femmes est prise moins au sérieux que celles des hommes. Leur accès au crédit bancaire est très limité, leur formation économique est souvent sommaire. Enfin, leur activité est perçue comme secondaire dans le foyer. Beaucoup d’hommes considèrent l’entreprise de leur épouse comme un passe-temps entre gestion de la cuisine et éducation des enfants. Pourtant, dans bien des foyers de la sous-région, notamment les plus modestes, ces revenus font chauffer la marmite… Dans les classes moyennes et supérieures, l’entreprenariat est vécu comme un exutoire à une carrière professionnelle limitée par de nombreux «plafonds de verre» ou à une vie familiale aliénante. En fait, le premier verrou est psychologique, les femmes n’osent pas se lancer, ne se trouvent pas légitimes. Elles-mêmes se demandent si l’entrepreneuriat est conciliable avec une vie familiale.

Et maintenant, en plus de ce que vous avez cité, comment trouver d’autres bons outils pour valoriser la femme entrepreneure en Afrique centrale?
C’est désormais la question! Sachez que les femmes ne manquent pas d’ambition. Ce phénomène n’est pas nouveau et il s’inscrit dans la longue durée: pour paraphraser l’historienne Sylvie Schweitzer: «Les femmes ont toujours entrepris». Plus que jamais, l’économie sous régionale doit avoir une dimension plurielle. Collecter des données, c’est bien, c’est crucial, mais prendre davantage en compte les hommes et les femmes dans leur quotidien, et les questions éthiques, c’est absolument indispensable. Intégrer le social, le culturel, l’histoire…Je pense qu’il faudrait davantage stimuler le potentiel économique de croissance dont les femmes sont porteuses dans nos pays.

Propos recueillis par JRMA

 

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