Pierre Nyemeck Ntamack : «Sur 17 revendications, le Minat a proposé des pistes de solutions sur six points»
Au lendemain de la suspension provisoire du mot d’ordre de grève émis il y a trois mois, le président de la Confédération générale des Syndicats des transporteurs du Cameroun revient sur les points majeurs des problèmes auxquels le gouvernement doit trouver des solutions à l’effet d’alléger les peines quotidiennes des travailleurs de ce secteur d’activités.
Monsieur le Président, le mot d’ordre de grève émis il y a quelques temps a été levé le 15 octobre 2023 à la suite de la rencontre avec le ministre de l’Administration territoriale Paul Atanga Nji. Pourquoi avoir choisi ce moment précis et pas un autre pour faire pression sur le gouvernement? Quelle est l’opportunité?
D’entrée de jeu, je voudrais vous dire qu’il n’y a pas une opportunité. Lorsque les travailleurs du secteur des transports ont ras-le-bol des conditions de travail, il n’y a aucune opportunité de pleurer ni de revendiquer. Les moments étant donc un peu hostiles au regard du climat sociopolitique dans notre pays, j’ai le devoir et l’obligation, en tant que porte-voix, de transmettre leurs vœux à qui de droit. Je voudrais ici vous dire que lorsque vous voyez les étincelles chez le voisin, faites très attention parce que ces étincelles peuvent traverser votre maison. Et face à tout cela, je voudrais réitérer que notre mouvement ne s’intéresse pas à la politique. J’ai simplement voulu que les problèmes de mes confrères soient entendus avant la période électorale pour éviter toute confusion. Vous comprenez donc que la blessure est profonde et qu’il ne faut pas la caresser; il faut la traiter jusqu’au fond pour bien la soigner et si on ne l’a pas soigné, nous risquons de voir notre paix se transformer en autre chose dans les jours à venir. Dans ce cas, il faut résoudre le problème au plus vite. Et des grognes, il y en a dans bien de secteurs. Au sein de la confédération des transporteurs, nous voulons éviter cela à tout prix.
Vous avez égrené un chapelet de dix-sept points. Quelles sont les principales mesures que vous réclamez au gouvernement camerounais. Cela date de combien de temps?
Les problèmes que nous évoquons existent depuis des années. Les problèmes et les solutions sont connus, mais il n’y a pas de véritable volonté politique de la part de tous les dirigeants pour les résoudre. Comment comprendre que dans le secteur privé, où notre argent ne vient pas des caisses de l’État, que les travailleurs soient soumis à un esclavage moderne dans leur propre pays. Ils travaillent sans contrat de travail, sans bulletins de paie, sans affiliation ni assurance individuelle, sans oublier que la notion de salaire de base dans ce secteur est inexistante.
Ce n’est pas stout. Les conventions ratifiées de 2006 à nos jours ne sont respectées par aucun employeur du secteur des transports. Ils exigent la signature du décret de leur extension. Ce qui n’est que normal. Puisqu’en matière de signature de convention, les seules personnes concernées par ladite convention sont les signataires. Or, lorsque le chef de l’État a signé l’extension de ces conventions collectives, cela va obligatoirement inclure tous les employeurs du secteur des transports. Je profite pour attirer l’attention du chef de l’Etat, Son Excellence Paul Biya, pour que ces problèmes soient résolus, car cela va d’avantage concourir à maintenir la cohésion sociale et la paix dans notre pays. Permettez-moi de préciser que dans le cas qui est le nôtre, l’État doit jouer le rôle de régulateur, donc s’assurer que tout se passe dans de bonnes conditions pour tous les acteurs du secteur. Et actuellement, ce n’est pas le cas.
En plus de la question des conditions de travail, vous vous plaignez de l’état des routes…
Nous avons étalé plusieurs revendications. Parmi elles, il y a le problème de routes en mauvais état. C’est incompréhensible. Depuis des années, nous payons le péage routier et autres frais, pourtant, les routes posent problème. Je prends le cas de l’axe Kousseri-Maroua actuellement coupé, pourtant c’est un corridor inter-États qui rallie des pays frères. Ce qui limite un bon nombre d’actions.
Pour revenir à nos grandes métropoles, il faut noter qu’il n’y a pas suffisamment de routes praticables. Il suffit qu’il y ait une petite pluie pour que le centre de la ville de Yaoundé soit inondé. Ce qui cause d’énormes dégâts dans les véhicules des transporteurs. Le manque à gagner est énorme. Par contre, nous voyons bien que des efforts sont déployés en faveurs des actions inacceptables telles que les parcs payants dans ces villes. Comment comprendre qu’on institue des parcs payants sur la voie publique? Il ne peut y avoir de parking payant sur la voie publique. Cet argent prélevé depuis des années est utilisé à quelles fins? Pourquoi cet argent n’est-t-il pas utilisé pour terminer les travaux de l’autoroute Yaoundé-Douala bloquée depuis plusieurs années au niveau de PK 49. Les voies actuellement utilisées pour rallier les deux capitales ne peuvent plus contenir le trafic extrêmement dense.
Que dire des questions relatives à la sécurité routière ?
Nous décrions le fait que les syndicats de transports ne soient pas associés aux actions de préventions entreprises pour prévenir les accidents de la route. Je ne voudrais pas me féliciter du nombre d’accidents sur nos routes, mais je pense que si la hiérarchie prête une oreille attentive à nos suggestions, la situation peut être améliorée. C’est pour cela que nous avons sollicité le Premier ministre et le président de la République, afin que la prévention routière soit une affaire globale de tout le gouvernement. Il est difficile d’accepter qu’il y ait prévention routière et que le ministère de la Santé publique ne soit pas impliqué. C’est d’ailleurs le lieu d’observer pour le regretter, que beaucoup de gens décèdent au quotidien au cours d’accidents de la circulation parce qu’il n’y a pas de secouristes dans les environs. Comment comprendre que les sapeurs-pompiers ne soient pas impliqués dans la politique de prévention routière? Ce sont les quelques personnes de bonne volonté qui ne disposent d’ailleurs pas de la formation adéquate qui portent secours aux victimes lors des accidents. Et cela peut également être la cause de certaines morts lors de ces incidents malheureux. La liste n’est pas exhaustive. Nous disons également non à l’officialisation de la corruption dans le secteur des transports, au niveau des barrages des forces de maintien de l’ordre et des ponts bascules.
Face à vos actions, certaines langues vous accusent d’entreprendre des manœuvres de déstabilisation. Qu’en est-il?
Lorsque nous formulons des revendications, comme celles évoquées ci-dessus, nous sommes taxés de terroristes qui souhaitent déstabiliser le régime. Ce qui est complètement faux. Nous ne voulons en aucun cas déstabiliser notre pays, au contraire, nous écoutons attentivement les revendications de nos collègues, qui sont des revendications légitimes et qui, si elles ne trouvent pas des solutions idoines, risquent justement de pousser les Camerounais dans la rue. Nous voulons accompagner le chef de l’État dans sa vision et l’aider à maintenir la paix. Pour cela, chaque Camerounais doit avoir le minimum. Il ne sert à rien d’utiliser la répression, contre des compatriotes qui demandent juste un peu décence. Nous revendiquons des conditions de travail minimales pour les membres de notre confédération. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons revendiqué la réforme du Code du travail aujourd’hui obsolète. Nous avons demandé les droits sur les syndicats. Je peux déjà vous dire que le ministre Grégoire Owona a récemment créé un comité pour la réforme du Code du travail.
Il se trouve que tous les syndicats des transporteurs n’ont pas adhéré à votre mot d’ordre de grève? Qu’en pensez-vous?
Le mouvement syndical au Cameroun est malade. Les syndicats sont devenus comme des mendiants. Normalement, lorsque nous érigeons des revendications nobles telles que celles que nous avons formulées, la loi sur les syndicats voudrait que les autres mouvements syndicaux y adhèrent par solidarité de corps. C’est d’ailleurs l’occasion de saluer le soutien apporté par des fédérations dirigées par des confrères tels que Monsieur Eloundou, Monsieur Samen, etc. Ce qui n’est pas le cas des petits syndicats.
Beaucoup de mouvements syndicats camerounais existent aujourd’hui sans tenir compte de l’éthique, des valeurs fondamentales du syndicalisme. Certains sont devenus des agents de renseignement qui fournissent des informations erronées aux dirigeants, pour semer le troubler et tirer leur épingle du jeu. Je tiens à préciser que nos revendications sont légitimes, mais les petits syndicats veulent laisser entendre qu’il n’y a pas lieu de grever. Il existe des sociétés qui paient les chauffeurs à 40 000 FCFA et il faut faire la sourde oreille face à ces pères de familles? Alors imaginez qu’il y ait une grève… C’est justement ce qu’il faut éviter. Et c’est le lieu ici de féliciter monsieur le ministre de l’Administration territoriale Paul Atanga Nji parce qu’il a écouté nos revendications. Sur les 17 revendications, il a proposé des pistes de solutions sur six points. Nous espérons que les résolutions seront prises et les mesures appliquées dans les jours qui suivent. Et nous disons que c’est déjà un bon début.
Propos recueillis par Joseph Julien Ondoua Owona