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Pierre De Gaétan Njikam: «L’efficacité et la portée de la loi française sur l’immigration restent incertaines»

L’élu en France d’origine camerounaise appréhende une instrumentalisation politique du fait migratoire. L’ancien adjoint d’Alain Juppé à la mairie de Bordeaux croise les doigts pour un toilettage de ce texte de loi par le Conseil constitutionnel. 

Comment appréciez-vous cette actualité en tant que ressortissant africain ?

Comme Africain de Citoyenneté Française et Européenne, je suis naturellement préoccupé, moins par l’opportunité de débattre de la question des flux migratoires en France, que par la manière dont ce débat est politiquement engagé, tout au moins dans sa version aujourd’hui parlementaire …

En effet, je n’appartiens pas à la catégorie d’acteurs qui considèrent qu’il s’agit d’un sujet mineur ou banal, non ! Au regard des impacts multiformes des migrations Sud-Nord, Sud-Sud, et demain Nord-Sud (!) sur nos sociétés contemporaines, et face aux différentes représentations sociales et aux risques d’instrumentalisation politique du fait migratoire, il est utile et tout à fait démocratique que les citoyens et les élus en débattent.

Mais ce débat, controversé, doit avoir lieu et être éclairé par les études démographiques (voir les travaux de l’INSEE, de l’Institut National des Etudes Démographiques, les travaux de François Héran du Collège de France, notamment son dernier livre « Immigration, le grand déni», éditions du Seuil…), mais aussi par la tradition républicaine, les Blocs de Constitutionnalité (la Constitution, les Principes et Valeurs constitutionnelles, la Jurisprudence du Conseil Constitutionnel) et de Conventionnalité (les engagements européens et internationaux qui client la France). Et la nécessité d’un débat toujours éclairé est urgente, en France, en Europe, mais aussi partout, y compris dans les pays africains…

La question des migrations internationales et de leurs impacts, notamment dans les sociétés françaises et européennes, reste un défi à la pensée et à l’action politique. D’où la nécessité de bien concilier «utopie» (au sens des «possibles» toujours à inventer) de la pensée et responsabilité de l’action.

N’y at-il pas lieu de craindre une montée de la xénophobie en France dans le futur du fait de l’application de cette loi ?

Il convient de rappeler que le projet de loi adoptée n’est pas encore entré en vigueur puisqu’il doit franchiser le cap – exigeant – de sa constitutionnalité par le Conseil Constitutionnel. Et si l’on en croît, même jusqu’aux porteurs de ce projet, il y subsisterait de sérieux éléments d’inconstitutionnalité…Donc nous en sommes encore loin de son «application», voire de sa promulgation…

Cela dit, ce n’est pas une loi qui ferait monter la xénophobie en France. Ce sentiment, qui n’est pas caractéristique de la société française, laquelle a une longue tradition d’accueil et d’intégration, fait seulement irruption dans des certaines circonstances où l’actualité est plombée par les répercussions des conflits géopolitiques, par l’ amplification politico-médiatique de certains discours « identitaires » fort éloignés de la tradition républicaine française, mais certainement aussi par le doute et le manque de confiance en soi des populations en France et en Europe face à l’accélération de l’histoire…

L’adoption de cette loi ne constitue-elle pas une réponse de la France face aux principes de la mondialisation ?

En attendant que ladite Loi soit promulguée après le contrôle de sa constitutionnalité par le Conseil Constitutionnel, on ne va pas réduire la France et son rapport au monde à cette séquence, par bien des côtés, imprudente voire malheureuse… Car si le Président de la République , la Premier Ministre, le Ministre de l’Intérieur qui a défendu le projet de loi…espèrent – ​​grâce à l’office du Juge constitutionnel – éliminer toutes les aspérités inconstitutionnelles qui enverraient un mauvais signal au rayonnement et à l’attractivité internationale de la France, c’est bien reconnaître qu’il s’agit d’une loi qui a voulu tout embrasser et dont l’efficacité et la portée reste incertaines…

Je rappelle par exemple au passage que lorsqu’il s’était agi de l’augmentation des frais de scolarité pour les étudiants étrangers, grâce au Rapport présenté par Alain Juppé en qualité de Membre, le Conseil Constitutionnel avait annulé cette mesure consolidée qu’elle portait atteinte au principe d’égalité en droit constitutionnel insusceptible de se fonder sur les considérations d’origine…

Cela dit, et heureusement, chaque année, par-delà les débats qui peuvent sembler politiques, la France est le pays européen qui continue d’accueillir plus d’étudiants étrangers, le pays dont les coopérations de développement et les partenariats culturels s’accélèrent. en dépit de certaines tensions – à mon avis passagères – ici ou là, un pays qui regorge encore de grands investisseurs qui croient en l’Afrique, le pays dont le modèle est quand même envié dans le monde.

Il revient seulement aux populations d’en être fier, de rester face à l’avenir, mais surtout confiant aux Politiques de savoir garder le cap de vraies réformes structurelles qui doivent préparer les conditions du mieux vivre ensemble : le travail et l’emploi par la réindustrialisation, l’hôpital et la santé, le logement, l’émancipation des jeunes, notamment pour les jeunes des zones rurales ou péri-urbaines et des jeunes dits enjeux de l’immigration, le défi environnemental…

Bref il s’agit, par ces temps d’incertitudes, voire de crispations, de reprojeter la France dans ce qu’elle ne doit cesser d’être : une certaine idée de l’Humanité dans le monde…

Interview menée par Louise Nsana

Lire aussi: Durcissement de l’immigration en France: place à la marginalisation

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