‘’Le pétrole en Afrique centrale, entre malédiction et opportunité’’

Bertrand Abegoumegne

Le thème de cette année trouve sa pertinence dans la nécessité d’intégrer nos économies dans la perspective du marché unique sous-régional. Le secteur des hydrocarbures représente un enjeu décisif dans ce processus et pourrait à lui tout seul constituer un atout de développement et un instrument d’affirmation politique de notre sous-région

Ce qu’il faut retenir de la troisième édition du « Central Africa Oil and Gas » tenu à Yaoundé les 7 et 9 juin dernier sur le thème : «Défis et opportunités de l’intégration sous-régionale dans le secteur aval pétrolier en Afrique centrale».

 

Le concept « Central Africa Oil and Gas » est encore mal connu dans la sous–région Afrique centrale. A quoi renvoie–t-il ?
Le Forum «Central Africa Oil and Gas» est une initiative de l’Agence Rhema Services dont j’ai la charge de présider aux destinées. C’est un cabinet de communication qui a choisi de se spécialiser dans le secteur des industries extractives et de l’énergie. Dans cette optique, nous réalisons et diffusons  depuis quelques années déjà, et sur une base mensuelle, une revue professionnelle spécialisée «Oil & Gas magazine». Il est mis à disposition gracieusement dans le réseau camerounais et international du secteur pétrolier et des activités connexes.

L’autre produit de communication phare que nous mettons à disposition est «le Dîner – Débat Oil & Gas». C’est un espace de réseautage dédié au secteur amont pétrolier et gazier dont la première édition s’est tenue avec succès au mois d’octobre de l’année dernière à Douala.  Le Forum «Central Africa Oil & Gas», vous le voyez, n’est pas un produit inconnu ou même peu connu dans le secteur des hydrocarbures, aussi bien au Cameroun qu’à l’international. Il est en réalité une excroissance du «Cameroun Oil & Gas» dont la première édition s’est tenue à Douala en 2015.

L’activité pétrolière étant une activité essentiellement tournée vers l’international, et au regard de l’engagement résolu des chefs d’Etat de la sous-région de donner un coup d’accélérateur au processus d’intégration entre nos Etats dans le zone CEMAC, nous avons pensé qu’il était de bon ton que nous agissions en pionniers pour adresser les préoccupations, explorer les démarches porteuses, penser, formuler et proposer des voies pour une industrie pétrolière réellement intégrée, utile au développement des pays de la sous région et moteur de l’intégration entre les Etats membres de la Cémac.

La plupart des pays de la sous-région sont producteurs de pétrole. Quels enjeux ce concept porte pour eux?
L’économie pétrolière et gazière occupe une place importante dans l’ensemble des pays de la sous-région Afrique centrale, pris individuellement ou dans le cadre de la Communauté qui les rassemble, en l’occurrence la Cémac. Vous remarquerez que depuis le début de  cette année, et après la chute des prix du baril de pétrole depuis 2015, le cours du Brent est reparti à la hausse, atteignant les 62,20 dollars US. C’est une bonne nouvelle pour les pays producteurs.

C’est dire qu’avec un prix du baril autour de 60 dollars US, largement au-dessus des 40 dollars projetés par la plupart des Etats, la hausse actuelle, si elle devait s’inscrire dans la durée, est une bonne nouvelle pour l’économie de l’ensemble de la sous-région Cémac. Les principales conséquences sur le plan de la politique monétaire se trouvent dans le rééquilibrage des deux agrégats macro-économiques que sont  la balance commerciale et balance des paiements.

Sur le plan de la politique économique, et si l’on considère que les exportations en général, et celles de pétrole en particulier, constituent une source essentielle de devises étrangères pour la Cémac, la tendance actuelle devrait induire un rééquilibrage, avec un retour à un stock de devises étrangères suffisant pour couvrir leurs importations. Cette nouvelle est donc un signal positif pour la santé économique et financière de l’ensemble de la zone Cémac.

En matière de programmation économique, et sous réserve que cette tendance soit durable, la hausse actuelle devrait également permettre d’envisager de meilleures projections de croissance pour 2019 voire une correction du taux envisagé pour l’année en cours. Toutefois, il faut rester prudent, cette hausse ne trouvant effectivement son intérêt que dans la durée, c’est-à-dire jusqu’en 2020 dans l’idéal.

«Central Africa Oil & Gas Forum» en est à sa troisième édition. Comment se sont déroulées les deux précédentes éditions ?
La troisième édition du forum Africain de Pétrole et du Gaz qui vient de s’achever à Yaoundé avait pour thème: «Défis et opportunités de l’intégration sous-régionale dans le secteur aval pétrolier en Afrique centrale». Il faut dire qu’il s’agit d’une rencontre qui se veut annuelle, les deux premières éditions s’étant tenues en 2014 et 2016 avec pour thèmes respectifs : « La libéralisation du secteur pétrolier aval quinze ans après : bilan et perspectives » ; et « Les investissements dans le secteur du raffinage, du stockage et de la distribution des produits pétroliers en Afrique centrale : enjeux et défis ».

Ces deux premières éditions se sont déroulées avec un égal succès, grâce au soutien institutionnel du gouvernement de la République à travers notamment le parrainage du Ministère de l’Eau et de l’Energie. Il faut également souligner ici que l’accompagnement technique, les conseils avisés de M. Perrial Jean Nyodog – Président en exercice du Groupement des professionnels de pétrole (GPP) du Cameroun ne nous ont jamais fait défaut.

Les participants, aussi bien camerounais qu’étrangers, viennent d’horizons divers : professionnels aguerris, investisseurs, décideurs publics et privés, ressources diverses, enseignants, chercheurs et étudiants, professions connexes, etc.  A en juger par les réactions des uns et des autres, nous pouvons dire que ces précédentes rencontres ont connu un franc succès. Mais nous ne saurions partager entièrement ce satisfecit.

Nous restons insatisfaits de la participation des instances publiques à ce forum. Etant donné la masse d’informations qui y est échangée, la profondeur et la pertinence des réflexions qui y sont menées, l’acuité des solutions préconisées en rapport avec diverses préoccupations partagées dans ce secteur, nous pensons que les pouvoirs publics gagneraient énormément à prendre une part plus significative au forum. Ceci est d’autant plus impératif que les questions revêtent dans nos pays un enjeu qui va au-delà de la sphère économique, pour englober les aspects sociaux, environnementaux, stratégiques…

Du côté du secteur privé, je voudrais relever que la participation des marketers reste mitigée, en dehors de quelques inconditionnels qui ont dès le départ perçu la pertinence de notre démarche. La machine est lancée et nous pensons qu’étant donné qu’elle monte inexorablement en puissance, les uns et les autres vont suivre rapidement.

…Etant donné la masse d’informations qui y est échangée, la profondeur et la pertinence des réflexions qui y sont menées, l’acuité des solutions préconisées en rapport avec diverses préoccupations partagées dans ce secteur, nous pensons que les pouvoirs publics gagneraient énormément à prendre une part plus significative au forum…

La troisième édition de votre événement a porté sur les «Défis et opportunités de l’intégration sous–régionale dans le secteur aval pétrolier en Afrique centrale». Pourquoi ce thème ? Quels en ont été les problématiques débattues ?
Il faut dire que sur la vingtaine de communications prévues, une quinzaine ont effectivement été délivrées. Quelques empêchements de dernière minute nous ayant privé de la présence de certains experts qui avaient pourtant confirmé leur présence. C’est le cas notamment de M. Mohaman Laouan Gaya – Secrétaire exécutif de l’Organisation africaine des producteurs de pétrole (OPPA), retenu à Abuja par un conseil des ministres de l’organisation. Ceci dit, le thème de cette année trouve sa pertinence, nous l’avons dit par ailleurs, dans la nécessité d’intégrer nos économies dans la perspective du marché unique sous-régional.

Le secteur des hydrocarbures représente un enjeu décisif dans ce processus et pourrait à lui tout seul constituer un atout de développement et un instrument d’affirmation politique de notre sous-région. C’est pourquoi les communications au menu ont porté sur des problématiques aussi diverses et pointues : « L’impact des APE entre le Cameroun et l’UE sur le commerce des hydrocarbures » ; « L’optimisation de la qualité des produits par la qualité des investissements dans les raffineries » ; « L’expertise locale à l’épreuve du secteur pétrolier en Afrique centrale » ; « La formation professionnelle, développement et transfert des compétences dans le secteur pétrolier aval en Afrique centrale » ; « Le contrôle de qualité et spécifications des produits pétroliers des différents pays en zone CEMAC », pour ne citer que quelques uns.

L’un des enjeux de cette troisième édition était de jeter un regard prospectif sur le secteur aval pétrolier, avec l’ambition de façonner son avenir. L’objectif a-t-il été atteint ? Que faut-il en retenir ?
Façonner l’avenir du secteur aval pétrolier africain, tel est en effet l’objectif exprimé par le slogan de cette année. C’est une vision qu’a, volontiers, partagé avec un égal engagement l’ensemble des participants à cette troisième édition du Forum africain de pétrole et de gaz. Nous ne saurions nous auto-glorifier à l’issue des deux jours de travaux intenses. Mais au regard de l’engouement suscité, de l’engagement des participants et surtout de la pertinence des interventions, nous pouvons affirmer que notre objectif a été atteint, du moins dans son volet sensibilisation.

Il reste le volet de l’implémentation qui échappe manifestement à notre emprise et est du ressort des politiques. A eux de prendre le relai. Une chose est sûre, chaque fois qu’ils prendront la décision politique d’avancer dans ce sens, l’expertise sera disponible. Le Forum Central Africa Oil & Gas l’a prouvé, les principaux concernés en ont pris l’engagement solennel.

…Nous avons pensé qu’il était de bon ton que nous agissions en pionniers pour adresser les préoccupations, explorer les démarches porteuses, penser, formuler et proposer des voies pour une industrie pétrolière réellement intégrée, utile au développement des pays de la sous région et moteur de l’intégration entre les Etats membres de la Cémac…

Malgré tous les obstacles, des acteurs de ce secteur d’activité vous font confiance. Comment comprendre cela ?
Vous savez, il ya des personnes qui comprennent rapidement le sens des choses. Ces personnes perçoivent rapidement les opportunités. A d’autres, il faut prendre le temps d’expliquer, il faut les persuader. Cela peut prendre du temps. Au regard de la qualité des spécialistes et autres experts qui accompagnent ce forum depuis sa première édition en 2015, nous pensons que nous sommes sur la bonne trajectoire. Chaque chose venant en son temps, nous restons optimistes. Etant entendu que des initiatives comme celle que vous venez de prendre en nous ouvrant vos colonnes contribueront à sensibiliser davantage nos partenaires actuels et potentiels.

Quelles sont les recommandations pour que la sous-région soit à la hauteur des défis et opportunités qu’offre le secteur aval pétrolier en Afrique centrale ?
Je voudrai reprendre à mon compte les termes du message de Monsieur le Ministre de l’Eau et de l’Energie au forum, quand il affirme que : « l’intégration, pour avancer, suppose une stratégie de partenariat gagnant-gagnant dans laquelle chaque Etat a la conviction profonde que le bénéfice est bien plus grand dans le cadre d’une intégration que d’une approche individuelle ».

Au demeurant,  le Forum Central Africa Oil & Gas 2018 a bien montré les gains qu’il y aurait à harmoniser le secteur aval pétrolier sous – régional, et notamment dans les domaines de la spécification des produits et le contrôle qualité, les infrastructures de stockage et de transport, la péréquation et la fixation des prix…
Votre mot de fin.

Que le forum Central Africa Oil & Gas, plateforme de réseautage, de rencontre et d’échange serve au développement d’un secteur pétrolier et gazier fort au service d’une économie nationale émergente. Que ces rencontres génèrent des pistes et balisent des voies vers une intégration sous – régionale de notre secteur énergétique. Le salut de nos Etats et de nos économies réside dans l’intégration.

Propos recueillis par

Rémy Biniou

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