Par un éventail bluffant de savoir-faire hérités des schèmes artisanaux de leurs pays d’origine, des ressortissants maliens, sénégalais, guinéens et nigérians ont trouvé leur place à Maroua.
«Les étrangers ne nous volent nos parts de marché». C’est sur cette sentence peu parlante que démarre notre échange avec Chérif Mahamat à Maroua ce 30 mai 2023. En fait, le maroquinier, délégué de la Chambre de Commerce, d’Industrie, des Mines et de l’Artisanat à Maroua rit beaucoup, très gentiment. Et sans doute touché du fait qu’on s’intéresse au nombre croissant d’artisans ouest-africains à Maroua, il rétorque simplement que «cela ne pose aucun problème». Pour Chérif Mahamat, la pléthore d’artisans maliens, sénégalais, guinéens et nigérians n’est pas un thème qui puisse déployer un quelconque bavardage sur le marché de l’artisanat ici à Maroua. Et pour prouver qu’il ne masque ni posture, ni imposture, notre interlocuteur voit plutôt cette «légion ouest-africaine» comme figure aboutie de «l’intégration africaine par l’artisanat». Pour le dire d’une façon un peu triviale, Chérif Mahamat estime que «l’artisan, quelle que soit sa nationalité, est chez lui ici à Maroua». Et en sa qualité de délégué départemental du Minpmeesa (ministère des Petites et Moyennes Entreprises, de l’Économie sociale et de l’Artisanat) pour le Diamaré, Roland Bouba développe: «Par leur présence ici à Maroua et environs, ces Ouest-Africains donnent à voir une réalité actuelle bien différente des discours misérabilistes ou alarmistes sur un artisanat éternellement présumé en crise et menacé par Boko Haram. On ne peut donc pas dire que ces gens se soient permis sacrilège en terrain camerounais. En tout cas, on doit considérer cela comme l’artisanat ouest-africain accrédité à Maroua».
Who’s who?
Bien évidemment, ce n’est pas facile quand chacun se présente avec sa «science» de référence dans une région comme l’Extrême-Nord, où le secteur artisanal occupe une bonne place dans les activités économiques. La question posée devient celle des origines des uns et des autres. «Je suis Sénégalaise. Je m’appelle Jaineba. Je suis venue ici à Maroua avec mes amis. C’est avec elle que je travaille. Nous faisons des sacs avec les feuilles de mil séchées». «Moi c’est Ndeye. Je suis Guinéen. Mes camarades et moi faisons des bijoux. On est ici à Maroua depuis 5 ans». «Tout le monde dans cet atelier est Malien. Nous brodons les pagnes pour les femmes, les hommes et les enfants. On brode même des habits pour les couples qui vont se marier». «Nous on vient Borno Sate au Nigéria. C’est moi le chef. Je m’appelle Abba. On venait souvent ici à Maroua avant. Mais, à cause de Boko Haram, on a un peu arrêté. Mais, nous sommes revenus parce que la situation s’est un peu calmée à la frontière. On coud des habits et nous faisons aussi des chapeaux traditionnels».
Tour
Sommairement, on peut se faire une idée du profil des artisans «étrangers» et du répertoire des métiers qu’ils pratiquent ici à Maroua. Traits communs: tout peut être su, sauf le chiffre d’affaires. À croire que les uns et les autres se sont passé le mot… Debout dans l’entrée de son atelier sis à Domayo (Maroua 1er), Jaineba raconte ce jour de 2020 où, en quête d’un petit espace pour présenter son travail de fabricante de sacs, elle sonnait à la porte d’une brigade de gendarmerie. «Madame, où avez-vous vu qu’il y a quelque chose à louer ici?», lui répond un homme en tenue. Aujourd’hui, il lui arrive de se tenir sur le trottoir une fois la nuit tombée et de contempler son atelier. Sous ses dehors peu parlants, la structure est bien modeste. Dedans, la couleur des murs se veut indéfinissable. C’est parfois très intense. Mais en même temps, quand on est entouré de gens créatifs et motivés, tout paraît plus facile. Mais, on suit la mode. Fidèle à ses codes, Jaineba se soucie aussi des attentes de ses clientes. Pour une raison simple: elles figurent parmi ses muses qui la font évoluer constamment. Sa patience, ses gestes méticuleux et son respect de la matière lui valent sa réputation dans toute la ville. «Au départ je leur ai demandé de réparer un sac auquel je tenais, puis de m’en faire un sur-mesure. J’ai ensuite demandé une ceinture. Cela peut faire sourire mais que les trous soient au bon endroit est tellement essentiel. J’ai fait la connaissance des quatre ouvrières de l’atelier et surtout Jaineba. J’apprécie cet atelier qui a su rester à taille humaine, qui joue la discrétion. Ici pas de luxe tapageur mais un dévouement sans limites», apprécie Léontine Ndomè Dibodi, agent public basé à Maroua.
En nous rendant chez Ndeye au quartier Djoursoungo, on tombe sur une quinzaine d’artisans guinéens. Deux d’entre eux élaborent à nouveau ce tissage précieux de fils d’or pavés de brillants, de baguettes de saphirs roses, de rubis et de chaînes, formant un plastron boutonné par un diamant de plus de dix carats. Ndeye peut en être fier. Selon ses dires, sa modeste structure a beaucoup gagné en puissance ces dernières années pour atteindre un niveau d’expertise très élevé ici à Maroua.
À la rencontre d’Abba, on tombe en arrêt devant ceci : la production de robes et de gandoura. Ici, elle s’organise. La priorité est évidemment donnée à ceux qui convolent en juste noces, et répond de fait à une temporalité particulière. «On fait vite pour ne pas décevoir les gens», note Abba. Sur Le coup, il répare les pièces qu’on lui dépose. Recoudre une robe, recoller une guipure, vérifier les points de chausson mais aussi broderie, perlage pailletage… son quotidien est loin d’être monotone. À l’écouter, minutie, précision, patience et perfectionnisme sont les qualités indispensables à ces savoir-faire. Fétichiste des bons tissus, oubliés parfois, il se décrit comme «l’homme que personne ne peut imiter ici au Cameroun». Cela tient à une chose: Abba cherche toujours à repousser les limites. Pour lui, la broderie est un artisanat assez ancien, mais il la réinvente pour la faire entrer dans un univers contemporain ici à Maroua.
Jean-René Meva’a Amougou