En plus de s’être greffé au décor funéraire, le «tissu» sert à la fois plusieurs intérêts.
L’on s’était déjà habitué à ne voir les tissus pagnes que lors des mariages. Aujourd’hui pourtant, il est également devenu très rare d’assister à un deuil sans au moins arborer un tissu le symbolisant. Ce tissu de deuil dépend la plupart du temps de la bourse des familles. Car l’on peut voir deux à trois types de pagnes. Cette façon de faire est désormais une partie importante des obsèques. «Nous nous arrimons à la modernité. C’est la réalité du 21e siècle», estime le zomloa et patriarche Zambo Zambo à Nkomo.
Qui fait quoi
Tout commence lors des premières réunions où l’on se retrouve pour les préparatifs des obsèques. Avant que l’on ne parle des funérailles proprement dites, les pagnes sont présentés à la famille. Le cas le plus patent est celui de la famille Edzimbi à Ngona, dans le 5e arrondissement. Ici, les préparatifs des obsèques de la matriarche décédée au mois d’octobre 2022 vont bon train. Sans attendre que la réunion commence, le ton monte entre Noel et Flore, deux sœurs qui se disputent le business de la vente des pagnes. Pour prendre l’avance sur sa sœur, Noel apporte le tissu comportant le visage de sa défunte grand-mère. Elle se renseigne aussi sur le prix proposé par sa sœur. «Vous pouvez avancer ou prendre à crédit», déclare l’étudiante. Ce qui n’est pas apprécié par sa concurrente.
À Ayéné dans le 4e arrondissement de Yaoundé, la famille Messi est éprouvée. Le patron des lieux est décédé le 6 décembre dernier. Pour les obsèques prévues le 7 janvier 2023, la présentation du programme est accompagnée de la présentation du pagne du deuil. «Voici le pagne qu’on a choisi pour honorer votre papa du quartier. Tout le monde peut s’en procurer», déclare l’une des filles du disparu.
Coût et lieu de ravitaillement
Trois marchés de la capitale camerounaise sont particulièrement réputés pour être des lieux d’acquisition de ces étoffes. Mais, selon Cécile Nga, couturière et coutumière de ce business à Ekounou, «la briqueterie et le marché Mokolo sont les principaux endroits où nous nous approvisionnons. Avec 2000 FCFA ou 1500 FCFA, j’ai un pagne. Le marché central est coûteux», révèle la couturière. Elise, elle aussi coutumière de la vente des tissus lors des deuils dans sa famille, avoue que c’est une affaire qui rapporte à plus de 100%. «Pour un tissu que j’achète à 1500 ou 2000 FCFA, je me retrouve en train de le revendre à 4000 FCFA. Et si je vends 100 tissus, vous pouvez vous-même faire le calcul pour voir mon bénéfice».
Plus encore, selon Souleymane, vendeur de tissu pagne à la briqueterie dans le 2e arrondissement de la capitale, «les clients ont aussi la possibilité de prendre les pagnes à crédit quand ils sont crédibles», dévoile le commerçant.
Critiques
Au sein des familles, les hommes commencent eux aussi à s’intéresser à ce business lucratif. Certains comme Tobie Manga ne comprennent pas en effet pourquoi c’est un commerce réservé aux femmes? «Lors du dernier deuil dans ma famille, les réunions préparatoires étaient houleuses. Mon cousin a eu des prises de bec avec une cousine, ils se disputaient le juteux gombo», affirme le jeune fonctionnaire.
Du côté de Tom, dans l’arrondissement de Mfou, les abbés ne sont pas tendre envers ces pratiques qu’ils trouvent dévalorisantes. L’un d’eux se souvient que, disant une messe d’enterrement au village Nkongoa, «le défunt marchait et quémandait de la nourriture. Aujourd’hui, je me rends compte qu’il avait une famille. Regardez, il y a un pagne pour ses obsèques», a-t-il déclaré lors de l’homélie en décembre dernier.
André Gromyko Balla