New-Town Aéroport (Douala) : Tours et détours de la cocaïne

Par sa situation à quelques encablures de l’aéroport international de Douala, le quartier est devenu progressivement une véritable plaque tournante de la drogue au sein de laquelle de jeunes désœuvrés acceptent jouer les petites mains du trafic.

New Town Aéroport, une vue du quartier

«New Town Aéroport n’est plus comme avant»: c’est le thème d’une discussion entre amis ce 21 septembre 2023 dans une buvette en plein air à l’entrée de l’aéroport international de Douala. Dans un argot très pointu, le groupe est d’accord sur une chose: «Pour trouver de quoi manger, les activités ne manquent pas ici». Visiblement très malmené par les effets de l’alcool, chaque membre du groupe s’appuie sur de nombreux exemples, où les actes et les personnages sont amplifiés comme pour mieux démontrer le bien-fondé des propos avancés. «Avant, quand ce quartier naissait, tu pouvais rentrer à la maison avec au moins 100 000 FCFA», lance quelqu’un. «L’aéroport donnait à manger de jour comme de nuit», enchaîne une autre voix. «On ne peut plus supprimer New Town Aéroport; c’est le vrai Douala ici», entend-on encore. Avec une fierté déconcertante, un jeune raconte comment avec les revenus obtenus grâce à de petits trafics, il a construit une belle maison à quelques pas d’ici. «Aujourd’hui, c’est moi qui invite les douaniers de l’aéroport à dîner», ponctue-t-il.

Visage
Dire ce qu’est réellement New-Town Aéroport, tel peut être l’enjeu. Le quartier dont le nom en lui-même est à bien des égards évocateur serait fondé en 1986 et reconnu en 1994 par un ancien préfet du Wouri, Bernard Atebede. «Ce bidonville à une population approximative de 8000 habitants, provenant de New-Bell, Akwa et se caractérise par une population mosaïque, car on y retrouve presque toutes les tribus, ethnies, à l’instar de: bassa, bamiléké, béti, boulu, Ewondo, Pygmées, Douala, Haoussa, Bafia, Mbo’o, Bamoun, Toupouri, Ethon, NangaEboko, Bakweri, Manfé, Maya, Fompéa, Tikar, les Massa, mais aussi les étrangers (Sénégalais, Congolais, Nigérians, Centrafricains, Marocains, Tchadiens, Maliens pour ne citer que ceux-là). Ce quartier est sous l’égide de la mairie de Douala 2e et sous l’autorité de la sous-préfecture de Douala 2e, qui a comme auxiliaires 10 chefferies de quartier. Il avait comme nom: Bonadiwoto, Soweto, ou encore Non-glacé», présente Roger Njitchoua, 2e adjoint au maire de Douala 2e.
En avril 2018, sous la menace d’une sanction de l’Organisation de l’aviation civile internationale (Oaci), les autorités publiques avaient ordonné une grande opération de destruction de meubles et immeubles d’ici. Effectuée conjointement entre la Communauté urbaine de Douala, les Aéroports du Cameroun (ADC) et l’Autorité aéronautique, elle visait à libérer la zone de sûreté aéroportuaire occupée par les populations et certains opérateurs économiques. En janvier 2021, une opération similaire avait été lancée. «Ils ont fait semblant de partir, à ce jour, ils sont revenus», constate Roger Njitchoua.

En journée, tous les jeux de hasard permettent de s’arracher au temps d’une vie sans justification. Pour certains habitants d’ici, c’est la seule possibilité viable pour que la transformation de leur vie puisse avoir lieu.
«Au-delà, c’est un vrai Texas ici», rétorque une riveraine. D’autres indications obtenues d’elle font étalage d’actes délictueux à New-Town Aéroport. Commis individuellement ou en bandes contre des voyageurs indélicats, ils se sont agrégés de manière arithmétique dans un ensemble qui recouvre des phénomènes très hétérogènes: extorsions de fonds, recels des stupéfiants, violence verbale et détournements d’itinéraires notamment.

Acteurs
Sur les bancs des accusés siègent des jeunes. «Un recensement que nous avons réalisé en février dernier nous a permis de retrouver la trace de certains d’entre eux. Des noms apparaissent dans les tableaux établis par nos soins et qui donnent, pour chaque rue, des indications utiles sur le profil de New-Town Aéroport. En tout cas, toutes les observations le montrent, les jeunes hommes sont plus impliqués dans les passages à l’acte que le reste de la population. La récente attention portée à la montée de la délinquance des filles, si elle est un indicateur d’évolution, n’inverse pas les tendances», souffle un sous-officier en service à la Compagnie de gendarmerie de l’aéroport international de Douala. À en croire le pandore, «New-Town Aéroport, c’est pour les voyous… La cocaïne est partout, l’argent aussi». Selon «un fin connaisseur», ici à New Town aéroport, après avoir été une petite activité marginale liée à quelques individus entreprenants et à quelques clients initiés, le «bizness» s’est progressivement organisé. D’après notre source, il s’agit d’une activité qui exerce une forte attractivité sur les plus jeunes. «Après avoir franchi les filets de contrôle de l’aéroport, les stocks de cocaïne sont acheminés ici à New Town aéroport par des jeunes du quartier. Ceux-ci sont rémunérés pour des services de garde ou de transport. Ils travaillent avec quelques familles désargentées qui acceptent plus ou moins volontairement de stocker les produits de manière passive. C’est à partir d’ici que sont élaborés des plans de distributions dans toute la ville. En fait les jeunes du quartier sont passés maîtres dans l’art de falsifier des documents, de corrompre quelques douaniers et même d’arranger des saisies pour les satisfaire», affirme un ancien acteur de la filière.

Échelle
De ce fait, à côté des braquages et des cambriolages, cette activité représente aujourd’hui un élément structurant pour New Town Aéroport. Elle produit à la fois une ressource financière significative, mais établit aussi, et c’est plus nouveau, une organisation sociale reconnue par les habitants. Avec une population jeune qui galope chaque jour, le trafic lié à la cocaïne y a pris des proportions impressionnantes. Pour cela, il a dû apprendre à stabiliser ses filières d’approvisionnement et de revente, ses pratiques commerciales et fidéliser sa clientèle qui se recrute désormais dans toutes les strates de la société.

De même, un gendarme relève la détérioration constante, au fil des années, de la relation de confiance entre les forces de l’ordre et la population de New Town Aéroport. Notre interlocuteur explique que les habitants du quartier sont partagés entre leur besoin de sécurité et leur critique fondée sur les observations des arbitraires dont ils sont témoins ou même l’objet. «Là-bas, il existe une contradiction entre les politiques de prévention et de sécurité que nous mettons en œuvre et la politique des jeunes auxiliaires de trafiquants qui passent par le bas, en sollicitant ou en imposant la participation des citoyens et leur implication dans l’ormeta. En fait, s’ils condamnent la consommation de stupéfiants, qui gangrène leur quartier, ils sont moins sourcilleux vis-à-vis du trafic, source de richesses pour beaucoup d’entre eux», regrette le pandore. Plus pointu, un ancien policier parle d’ «une économie parfaitement structurée, typiquement capitaliste, qui enrichit une cohorte d’intermédiaires parasitaires: transporteurs et transitaires, grossistes et détaillants, parrains et financiers, ainsi que leurs projeteurs: policiers, juges, militaires et politiciens».

Dans la foulée, à New Town Aéroport, on commence à voir de manière discrète quelques initiatives de «bienfaisance» qui montrent l’élargissement de l’influence des auxiliaires des trafiquants internationaux. Depuis quelque temps, ils se manifestent à travers l’ouverture de commerces de proximité licites qui offrent des emplois dans le quartier, de financement d’activités ludiques pendant les vacances pour les enfants, de buvettes pour les événements festifs, etc. Signes de fabuleux profits ainsi recyclés, ces initiatives percutent frontalement les projets mis en œuvre dans le cadre de l’action publique, qu’ils soient à l’initiative de l’État ou des collectivités locales.

Jean-René Meva’a Amougou

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