Musicologie
Selon les experts, cet instrument à cordes est une belle passerelle pour entrer dans les entrailles des peuples de la forêt.
Que l’expression «dzom bia» (notre chose) soit fréquemment utilisée sur le site du festival Mvet Oyeng ici à Ambam, c’est qu’il y en a qui déclinent des symboles de la richesse. «Chez le peuple Ekang,le mvet fait partie de celles-là», aborde le musicologue congolais Patrice N’ndaba. L’affaire ne s’arrête pas là. Hier Oyono Ada Ngono, Messi Me Nkonda, Jacob Medjo Me Nsom… tant d’exquis cités. Et ce n’est pas tout: aujourd’hui, il y a Sally Nyolo. Le constat : «Les Ekang ont leur icônes», selon la formule de la promotrice culturelle gabonaise Béatrice Ntoutoumou. La conclusion : «Voir tout cela, posséder tout cela, écouter tout cela, on n’en finira pas qu’on soit Ekang du Cameroun, du Congo ou du Gabon», atteste François Bingono Bingono. Et, sitôt la promenade terminée, le musicologue et anthropologue camerounais invite à l’évidence selon laquelle «le mvet est une belle passerelle pour entrer dans les entrailles des Ekang ; il donne à voir sous un autre angle le spectacle du lien social, surtout dans ce qui touche les émotions et le sensible». Il ajoute : «il faut pour pénétrer cette réalité découvrir des notions en quelque sorte liquides, capables de décrire des phénomènes de fusion, d’ébullition, d’interpénétration, qui se moulent sur une réalité vivante, en perpétuelle transformation».
Pendant près de deux semaines ici à Ambam, ça se fête à travers programmation exclusivement «mvet». «Depuis les temps anciens, cet instrument est au centre des conversations musicales propres ou initiatiques», affirme Patrice N’ndaba. A l’aide de son phrasé, le Congolais démontre comment les séances de mvet racontent les histoires de tout le monde ; comment il anime des romances auxquelles tout Ekang s’identifie.
Sur scène, ce 18 juillet 2019, l’affiche est pléthorique et embrasse plusieurs sous-genres (ozima, bol, akakuya, megan…). Dans les rangs, il y a de petits labels amateurs gabonais, des grands noms congolais et camerounais venus étaler leurs productions confidentielles. Il y a aussi quelques passionnés bénévoles qui se voient d’ailleurs offrir les honneurs d’un espace VIP récompensant leur capacité à faire vivre cette culture. Ceux-là disent parler au nom de leurs aïeux. «La parole n’a pas souvent été donnée officiellement à nos aïeux pour qu’ils se racontent et leurs connaissances sont en train de se perdre peu à peu avec leur disparition progressive. Il faut donc, quand l’occasion se présente, les laisser s’exprimer», confie François Bingono Bingono.
A chacune des prestations des Mbom-mvet (joueur de mvet), l’humilité tranche avec une maestria qui ne joue jamais dans la cour de la démonstration et du m’as-tu-vu. Un régal. À rebours des idées reçues, l’ambiance est allègre. Les corps et les codes sont relâchés : Cette bonhomie tranche avec l’imagerie de la culture Ekang, tel que l’imaginent les non-initiés. Car, plus que d’une «culture sans âme», comme le dénonçait Christine Boutin, «ce qui se joue ici relève plutôt d’un vieil esprit non pas tant extrême, mais intense, car physique, puissante, qui saisit le corps et porte une réelle force d’évocation», démontre François Bingono Bingono.
Jean-René Meva’a Amougou, à Ambam
Prochain article: l’Ekang et son dieu
Patrice N’ndaba
«Nos aïeux apparaissent comme de véritables visionnaires»
Dans cette analyse, le musicologue congolais détruit des clichés imposés au mvet. En même temps, il met en exergue l’apport des joueurs de cet instrument dans le savoir universel.
Quel intérêt y a-t-il d’exalter le mvet tout au long de ce festival ?
L’intérêt réside notamment dans le fait qu’il tord le cou à l’idée très répandue non seulement dans les écrits des anciens explorateurs mais également dans l’esprit de nombreux intellectuels africains, d’une société ancestrale Ekang sans culture poétique ou musicale. Tout au long de ce festival Mvet Oyeng, on découvre une réalité occultée par l’absence d’investigations et par le peu de considération accordée aux témoignages oraux sortis de la mémoire de nos aïeux.
Quel commentaire faites-vous à propos du glissement sémantique qui décrit les griots et les conteurs Ekang?
Les Ekang n’avaient pas de griots, mais des conteurs de mvet qui ont bâti les mythes et légendes de la société fang et des narrateurs d’histoires qui avaient gardé dans leur mémoire des récits d’évènements ancestraux transmis oralement de génération en génération.
Et que dites-vous de cette génération qui tend à disparaître ?
La disparition progressive de nos aïeux, que l’écrivain et ethnologue Amadou Hampathé Ba considérait comme des bibliothèques de l’histoire africaine, n’a fait qu’accentuer la perte de ces souvenirs. Néanmoins, nous avons gardé d’eux de nombreux récits oraux, des contes, des chants, des usages, des principes, des rites, des adages et maximes bien connus dans nos villages et que nous pouvons exploiter. Ils constituent, assurément, des sources intarissables d’informations que l’on peut interpréter de façon objective pourvu qu’on connaisse la langue et que l’on systématise et approfondisse la recherche. Dans le domaine des épopées et des légendes du mvet, nos aïeux apparaissent comme de véritables visionnaires. Les contes qu’ils nous ont laissés constituent une œuvre orale abondante et variée. Dans leurs récits épiques, les joueurs de mvet imaginaient déjà, il y a plusieurs siècles, des avions, des missiles, des fusils à répétition, des téléphones et autres engins télécommandés, utilisés par des combattants presque invincibles. De nos jours, ces armes qui n’étaient que de pure fiction à l’époque, sont devenues réalité et existent désormais dans n’importe quelle armée moderne.
Propos recueillis à Ambam par JRMA