Le Directeur général des impôts du Cameroun s’exprime sur les modalités du décret du 2 septembre 2019, portant érection des régions du Nord-ouest, du Sud-ouest et de l’Extrême-nord en zones économiquement sinistrées.
Monsieur le Directeur général, le premier ministre chef du gouvernement vient de faire des régions de l’Extrême-nord, du Nord-ouest, et du Sud-ouest, des zones économiquement sinistrées, avec des exonérations fiscales. Pour vous aux impôts, est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle ?
C’est une bonne nouvelle. En octroyant des exonérations des facilités fiscales importantes aux opérateurs économiques, de ces trois régions qui font face à des difficultés de nature sécuritaire. On pourrait penser qu’à très court terme, on perdrait beaucoup de recettes fiscales. Mais il faut voir la chose à moyens et à longs termes. Parce que l’administration fiscale mobilise certes des recettes fiscales pour l’exécution des charges publiques immédiates, mais l’administration réaliserait plus efficacement ses missions si l’ensemble des régions fiscales contribuaient pour leur potentiel entier. Et nous pensons que la prise de ces mesures qui visent à restaurer très rapidement l’essor économique de ces régions va contribuer à une meilleure mobilisation des recettes fiscales de la part de l’administration fiscale à moyen et à long terme.
Le décret du ministre vise les entreprises qui sont déjà installées dans ces régions, mais également celles qui sont déjà installées mais également celles qui souhaitent s’installer nouvellement. Je souhaite que nous parlions de cette deuxième catégorie. C’est-à-dire les investissements nouveaux. En quoi les facilités fiscales offertes représentent-elles un avantage pour celles qui souhaitent s’installer dans l’une de ces régions ?
Pour la phase d’installation, le nouvel investisseur bénéficie de l’exonération de la patente qui est ce qu’on appelle le droit de l’exercice de l’activité. Vous savez également que pour s’installer, il faut s’équiper. Donc, cela entraine des coûts importants en termes d’acquisition de nouveaux équipements, et c’est pour cela que, dans la même lancée, il est octroyé une exonération totale de taxes sur la valeur ajoutée sur l’acquisition des équipements du nouvel investisseur dans ces régions fiscales. De même, pour s’installer, il faut procéder à des acquisitions immobilières. Donc, dans le cas de la phase d’installation, ce que nous appelons les droits de mutation qui sont généralement exigés au contribuable font également l’objet d’une exonération ainsi que la taxe foncière. Et bien évidemment, le législateur est allé plus loin pour la phase d’exploitation dans ces régions-là, lorsque vous êtes un investisseur nouveau et que vous avez fini de vous installer, les sept prochaines années, vous n’avez pas à payer l’impôt sur l’activité qui est l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu des personnes physiques suivant le cas, vous êtes également toujours exonéré du droit de patente et les prélèvements qui sont généralement dû par les opérateurs économiques en tant que employeur sont également exonérés.
Quelles sont les mesures que vous allez prendre pour se rassurer que ces exonérations ne touchent que les investissements nouveaux. Comment on fait pour que ceux qui sont déjà installés ne trichent pas avec le fisc ?
Il n’y a pas de grande inquiétude à avoir à cet égard parce que, il s’agit là du travail quotidien de l’administration fiscale. Il y a des méthodes qui sont avérées en la matière. Mais, ce que nous allons d’avantage privilégier c’est d’abord une démarche partenariale, une démarche d’explications vis-à-vis de ce type particulier de contribuables, pour faire comprendre que pour ce qui concerne les entreprises existant déjà dans ces régions, les avantages fiscaux sont ceux qui sont bien définis dans les textes du premier ministre chef du gouvernement. Et, généralement, les opérateurs économiques sont bien avertis et savent faire la distinction entre ce qui est permis par la loi et ce qui ne l’est pas.
Source: Crtv radio
Dr Louis-Marie Kakdeu
«Pour le cas actuel, c’est une mesure inopportune»
L’économiste, chercheur associé à l’Université Babes Bolya(Roumanie) analyse le concept de zone économiquement sinistrée.
Le gouvernement devrait appuyer des exploitations familiales pour qu’elles se transforment en entreprises familiales
Qu’est-ce qu’une zone économiquement sinistrée?
On parle de zone économiquement sinistrée lorsqu’une partie du pays a fait l’objet d’une catastrophe naturelle telle qu’une inondation, la sécheresse (…) et que, par le fait de ce sinistre-là, l’activité économique a été considérablement entachée. Le but de cette disposition de la loi des finances est de réhabiliter économiquement cette zone. Après un sinistre, le gouvernement prend l’initiative de reconstruire une zone.
En quoi consiste-t-elle?
Cette mesure est une mesure visant à encourager les entreprises à aller investir dans les zones sinistrées. Il faut dire que cette mesure attribue à la zone en question des avantages fiscaux. Mais au sens de la loi camerounaise, il faudrait aussi que ces investissements soient validés par l’administration fiscale. Par conséquent, l’entreprise intéressée doit soumettre son projet d’investissement à l’administration fiscale. Si ledit projet est validé, cette société bénéficiera alors d’une exonération d’un certain nombre d’impôts. Ça peut être la TVA…
Mais cette disposition va bien au-delà des impôts. On peut lever à peu près 30 % d’impôt aux entreprises qui investissent dans ces zones-là.
Quelles sont les entreprises qui peuvent bénéficier de l’exonération fiscale?
L’exonération fiscale concerne en priorité les nouveaux investissements, et non les anciens. C’est-à-dire que, si une entreprise était déjà implantée dans ces zones, elle ne bénéficiera d’aucune exonération fiscale, sauf dans le cas où la même entreprise décide de faire de nouveaux investissements. Bien évidemment, ce sont ces nouveaux investissements qui bénéficieront des exonérations fiscales.
Dans le cadre de la mise en application de la disposition portant sur la zone économiquement sinistrée, une entreprise peut également bénéficier d’un crédit fiscal. Celui-ci vise à acheter des équipements. Ainsi, si vous avez des équipements, alors le gouvernement vous accorde un crédit fiscal pour acheter du matériel et maintenir votre activité. Pour le cas du Cameroun, il s’élève à 30 % et est plafonné à 100 millions. Cela veut dire que même si l’investissement de l’entreprise est colossal, le crédit fiscal que l’État camerounais peut lui accorder est de 100 millions au plus, étalé sur une durée de 3 ans.
Quelle est la contrepartie de l’exonération fiscale accordée aux investisseurs?
Je dois encore dire que le paquet fiscal offert par le gouvernement n’est pas gratuit. Il est conditionné par certaines dispositions. Dans la loi de finances de 2017, il est dit que l’entreprise qui souhaite investir dans les zones économiquement sinistrées doit utiliser 80 % des matières premières issues des zones concernées, ou employer 10 personnes au minimum. Et donc, si c’est une entreprise qui absorbe une matière première qui n’existe pas du fait de ce que les gens ne travaillent pas, comment s’y prend-elle? Certainement, il y aura un texte d’application qui va expliquer, dans les faits, comment cela va se passer.
Pensez-vous que cette mesure sera efficace, compte tenu de l’insécurité qui prévaut dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest?
Ce n’est pas la première fois que le gouvernement prend cette mesure au Cameroun. En 2017, l’Extrême-Nord avait déjà été déclarée zone économiquement sinistrée, et cela n’a pas permis d’attirer les investisseurs. Donc, c’est une mesure dont l’efficacité peut être discutable. Normalement, en 2019, on devrait être en train d’évaluer l’impact de cette mesure prise en 2017, puisqu’elle s’étend sur trois ans. On devrait par ailleurs s’interroger sur le nombre d’investisseurs qui a répondu favorablement à cette incitation il y a deux ans. On se demande donc pourquoi le gouvernement a relancé une mesure aussi infructueuse.
Pourquoi, selon vous, cette mesure n’a pas abouti?
Je dirais que cette mesure n’a pas abouti à cause de l’insécurité. Permettez-moi de rappeler que les sinistres auxquels on fait allusion ici ne sont pas ordinaires. Il ne s’agit pas d’inondations, de séisme…Il s’agit de l’insécurité. Probablement, aucun investisseur n’est allé investir dans cette partie du pays. Encore, faut-il le rappeler, on ne peut pas réhabiliter une zone en guerre.
Que pensez-vous de cette mesure remise au goût du jour trois ans plus tard?
Pour le cas actuel, c’est une mesure inopportune. S’il y avait déjà une situation de cessez-le-feu, l’investisseur viendrait en se disant que l’environnement peut lui être favorable. Or dans le contexte actuel, une zone accessible aujourd’hui peut ne plus l’être demain. Vous comprenez donc que les investisseurs courraient un grand risque.
Que proposez-vous au gouvernement camerounais, en l’état actuel des choses?
Il faut d’abord un cessez-le-feu pour prétendre attirer les investisseurs. Deuxièmement, il faut que les politiques soient inclusives. Le problème que nous avons au Cameroun c’est que les politiques ne sont pas appliquées de façon inclusive. Les zones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest étant essentiellement agricoles, le gouvernement devrait appuyer des exploitations familiales pour qu’elles se transforment en entreprises familiales. Il s’agit de transformer les populations en investisseurs. Cela va réduire les tensions et créer des emplois de façon considérable. Cela suppose des renforcements des capacités, des paquets fiscaux, etc.
Propos recueillis par
Joseph julien OndouaOwona, stagiaire