Michèle Florence Dikoume: «Un marché aussi immense ne se construit pas en un jour»

 L’internationaliste camerounaise, spécialiste en affaires internationales et diplomatiques,  jette un regard sur les dynamiques qui structurent actuellement la ZLECAF de façon globale.  

Deux ans après l’entrée en vigueur de l’accord commercial sur la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Quel bilan général faites-vous pour cette courte période d’opérationnalisation ?

La création d’un marché régional, devant constituer une occasion pour les pays africains à développer leurs exportations, à accélérer leur croissance afin d’attirer de nombreux investisseurs étrangers, se met en place alors même que la pandémie à coronavirus bouleverse les économies mondiales et ébranle les places boursières. Deux  ans après la mise en service de la ZLECAF, nous assistons à une faible reprise de la croissance, d’où le ralentissement observé des politiques susceptibles de maximiser les bénéfices. Néanmoins, le potentiel des activités reste immense et les nouvelles opportunités prometteuses. Deux entreprises ghanéennes pionnières de la distribution ZLECAF ont donné le ton des exportations intra-africaines de leurs produits brassicoles en Afrique du Sud et cosmétiques (Gandour) en Guinée.

On parle ici de Made in Cameroon, là de Made in Cemac, là encore de Made in central Africa. Seulement, l’impression que l’on a, est que les pays de la sous-région vont à la ZLECAF en rangs dispersés ou à tout le moins de manière désordonnée. Votre lecture ? 

Un marché aussi immense ne se construit pas en un jour. La ZLECAF  n’a pas pour ambition la déstructuration des marchés existants. Elle  fait l’offre d’un marché plus grand vers lesquels convergent les marchés sous régionaux qui se doivent d’être très dynamiques en offres et en qualité pour sa pérennité. Ces différents marchés interconnectés forment le grand ensemble régional qu’est la ZLECAF.

Parmi plusieurs problématiques, la ZLECAF soulève aussi la question de l’option philosophique à retenir en matière d’intégration. Les pères fondateurs de l’OUA ont préféré à l’approche globale, une approche plus calculée devant se situer à l’échelle des ensembles sous-régionaux. Or, il se trouve que l’Afrique centrale passe encore pour être la région la moins intégrée du continent (Seulement 3% d’échanges intracommunautaires). D’abord, en quoi l’intégration sous-régionale favorise-t-elle l’entrée ou l’arrivée sur ce grand marché continental ?

La mondialisation dans sa philosophie première prônait une globalisation faisant du monde, un village planétaire. Nous assistons aujourd’hui à une restructuration de grands ensembles qui véhiculent les intégrations régionales. À cause des égoïsmes dans le sens de la distribution des ressources de la planète. Chaque région lutte pour la maîtrise et la préservation de son PIB.

Même si l’Afrique Centrale se caractérise par une absence véritable d’intégration, elle se caractérise beaucoup plus par la circulation non libre des personnes. Cependant, ce qui importe ce sont les économies intégrées à la (BEAC) dont l’utilisation du CFA commune à tous les pays, la bourse de valeurs au guichet unique de Douala et la libre circulation des biens et l’exonération des droits de douane aux frontières.

Rappelons que le marché Afrique central ne se résume plus qu’à la CEMAC. La désormais CEEAC  compte désormais avec les grands Lacs qui abritent l’une des mastodontes de l’économie naturelle impressionnante qu’est la RDC, et abritent ensemble une forte démographie évaluée à 280 millions d’habitants voire de consommateurs. C’est un apport considérable pour la ZLECAF.

Quels sont ensuite les leviers à actionner rapidement pour sinon combler le gap, du moins éviter de se faire distancer par les autres espaces sous-régionaux ?

La vision repose sur la limitation des importations des produits de première nécessité et la production locale suffisamment exprimée par certains chefs d’États à travers le financement de l’import substitution. La réorganisation des marchés CEMAC -CEEAC conjuguée à la stimulation de la production des industries manufacturières et des ressources naturelles.

Vous qui avez certainement des données là-dessus, quels sont les produits de la sous-région Afrique centrale qui dominent actuellement le marché africain, ou au moins, se vendent bien dans d’autres régions ?

La prédominance vue le ralentissement de la relance est très peu perceptible. Selon les dernières estimations d’ICPPB (l’Indice Composite des cours des produits de bases) publiés par la BEAC. 

La CEMAC comptabilise 465.000 tonnes de coton graine. 74,4% soit 350.000 tonnes en valeur absolue pour le Cameroun 🇨🇲, 36,4% soit 123,100 tonnes pour le Tchad 🇹🇩, enfin 0,3%, soit 1300 tonnes pour la République Centrafricaine

Quelles sont en la matière les perspectives ?

La ZLECAF a les possibilités d’accroître les perspectives d’emploi et les revenus. Ce qui contribue à élargir les perspectives de tous les Africains. Elle devrait permettre de sortir de la pauvreté modérée. Environ 68 millions de personnes et de rendre les pays Africains plus compétitifs.

En Afrique centrale, le Cameroun semble être mieux armés que ses voisins en termes de diversification de sa production. Il totalise actuellement le plus grand nombre de produits labellisés Cemac. En quoi est-ce un avantage ? Que gagnent vraiment le Cameroun et les producteurs camerounais dans cette configuration ?

Le Cameroun gagne ainsi le pari d’être le timonier économique d’Afrique Centrale. La rentrée des devises mieux que dans les pays voisins permet une relance de son économie, le financement aisé des parts sociales des producteurs individuels et les projets des Collectivités territoriales décentralisés (CTD). Pour une nette amélioration de sa croissance

Qui dit avantage, dit également inconvénient pour les autres. Quel intérêt ont au final les petits pays (par la production) de la Cemac ou de la CEEAC, à aller vers le Made in central Africa dans un premier temps, et vers la ZLECAF dans un second temps ?

On gagne considérablement à s’arrimer à une économie plus dynamique. L’intégration des économies à la banque centrale pourrait procurer des emprunts à même de juguler des problèmes tant  conjoncturels que structurels, utiliser le même label vous vaut des dividendes. Les petits pays jouissant du rayonnement du bloc économique à l’international.

Les pays du continent africain en général et de la sous-région en particulier, présentent la particularité de proposer souvent les mêmes produits. Plusieurs institutions à l’instar de la CEA envisagent pour y remédier, la création des chaînes de valeur adossées sur l’industrialisation. Est-ce que cela a pour vous un sens ? Et comment de façon concrète cela devrait-il s’opérer ?

Les chaînes de valeur régionales soutiennent les activités à fortes valeurs ajoutées, telles que le design et la stratégie de marque. Les politiques ont été essentielles pour les négociations actuelles sur les règles d’origine dans les accords commerciaux régionaux africains. Ces négociations ont pu balayer les doutes qui persistaient autour des chaînes de valeur mondiales. Un exemple peut être tiré du marché du textile où les entreprises axées sur les chaînes de valeur renouvelables remplissent un éventail plus large de fonction. De l’intégration verticale à la fabrication du textile en produisant leurs  propres tissus et des activités plus fortes en valeur ajoutée. La conception et l’image de marque plus susceptible de s’approvisionner en intrants au niveau régional.

La règle de l’Origine, élément important dans la création des chaînes de valeurs, est également présentée comme une soupape de sécurité et une garantie. Mais pour qui et comment ? En quoi est-ce nécessaire que cette question soit aussi préalablement réglée ? 

Chaque région joue les protectionnistes en matière de préservation de ses ressources  naturelles. Afin de dynamiser le marché communautaire il est impérieux que les industries s’alimentent en matière première dans la région, histoire de financer  l’import substitution localement

L’idée d’avoir des champions nationaux voire sous-régionaux, vous séduit-elle ? Quels sont les critères qui devraient alors entrer en ligne de compte ?

La  paix et la stabilité, le rayonnement diplomatique, la facilité d’accès aux financements, l’attractivité fiscale pour les investisseurs, les réformes agraires et enfin des moteurs de production ambitieux.

En tant qu’acteur de la consolidation de la ZLECAF, êtes-vous à votre aise avec des concepts tels que le patriotisme économique ou l’import-substitution ? Ou les considérez-vous comme des obstacles ?

Les fondamentaux de la ZLECAF ont fait l’objet d’études approfondies. Chaque concept est la résultante du diagnostic posé par un collège d’Experts rompus à la tâche. La création d’un marché unique à l’échelle continentale pour les biens et services, les affaires et les investissements restructurera les économies africaines. La mise en place de la ZLECAF est un pas en avant pour l’Afrique, histoire de montrer au monde  que le continent peut devenir un chef de file de la promotion du commerce mondial.

Propos rassemblés par Jean-René Meva’a Amougou

 

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