Métropoles camerounaises : la pollution sonore en écho d’ambiance

Les autorités administratives au banc des accusés selon les populations. Le laxisme des pouvoirs publics se matérialise par la non- application des textes en vigueur dans le cadre des nuisances sonores.

Des haut-parleurs pour porter la voix des vendeurs ambulants

1-Eglises de réveil, Dieu est dans le bruit
Toutes les églises de réveil sont dotées d’un orchestre de musique qui accompagne les activités au programme: cultes, adorations, délivrances et nuits de traversée. Dans un élan de guéguerre, de rivalité spirituels et du sensationnel, ces maisons de culte ont pour mode opératoire et principale caractéristique les chants assourdissants. La raison en est simple. «Chanter c’est prier deux fois», se défendent-ils. En plus, disent d’autres, «Dieu est un être suprême qui aime les louanges, adorations et même la danse. D’ailleurs les références bibliques sur le Roi David en témoignent à suffire».
C’est donc le calvaire pour les riverains et voisins de ces églises. «On se plaint des bruits et des nuisances sonores, rien n’y fait. Vous observez que non loin de chez moi, il y a deux églises de réveil, et c’est chaque jour qu’elles prient», confie Paul Claude Atangana Atangana. Avec un regard très critique, le militaire à la retraite poursuit: «nous ne dormons pas avec tous ces bruits de jour comme de nuit. Nous ne sommes pas contre la foi de certains, mais il faut que ces églises respectent les libertés des autres. Imaginez que vous avez un malade à la maison qui ne parvient pas à dormir parce que le pasteur crie, la musique suit, les fidèles crient à tue-tête. Dans cette cacophonie indescriptible et quotidienne que pouvons-nous»?
À Douala, les églises dites de réveil jouent le même couplet des nuisances sonores. «Prier Dieu, c’est bon. Mais le faire dans le strict respect des autres, c’est encore mieux. Lorsque cet acte doit nuire à autrui, c’est là que ça devient un problème. Des individus qui, à longueur de journée, sont en train de prier tout en faisant de grands bruits, c’est insupportable. Les gens se comportent comme s’il n’y a pas d’habitations autour d’eux. Je suis dépassée par leur façon de faire, parce que moi je suis dans une église de réveil, mais chez-nous ça ne se passe pas comme ça», résume pour plusieurs habitants de quartiers de la ville de Douala, Lionel. H.
Des chambres aux murs crasseux ou des maisons en matériaux provisoires sont érigées en sanctuaires tenus dans la défiance par des «nouveaux pasteurs». Pour ces «hommes de Dieu», l’état de santé ou la tranquillité du voisinage ne compte pas. Ils tancent tous ceux qui n’adhèrent pas à leur chapelle et n’hésitent pas à les traiter de «païens, Satan, possédés ou de démons». Et les fidèles comme enchaînés dans un formatage d’esprit gobent les paroles du «nouveau Messie, de l’homme miracle, bref de celui qui va les décharger des lourds fardeaux qu’ils traînent au quotidien», entend-on dire çà et là.

Dura lex
Sans langue de bois et face à cette autre dérive de la société, on pointe dans les deux capitales, un doigt accusateur sur les autorités administratives. «Je pense que ce sont les pouvoirs publics qui ont laissé le phénomène prospérer. Etant donné que l’ouverture d’une église est conditionnée par une autorisation», peste un riverain. Certains vont en revanche jusqu’à penser que «si on mène une enquête profonde, certaines de ces églises ne sont pas autorisées à fonctionner et opèrent dans l’illégalité. Pour cela, il faut que les autorités fassent leur travail. Il faut procéder à la fermeture de ces églises parce que ça en fait trop. Celles qui ont des autorisations doivent être soumises aux heures réglementaires pour permettre à chacun de vivre dans la quiétude de son domicile.
Les habitants de Douala entonnent également cet hymne en se réfugiant derrière la loi. Celle du 5 août 1996 relative à la gestion de l’environnement au Cameroun dispose justement à son article 60 alinéa 1 que «les personnes à l’origine de toutes émissions de bruits et d’odeurs susceptibles de nuire à la santé de l’homme et de constituer une gêne excessive pour le voisinage ou de porter atteinte à l’environnement, doivent prendre toutes les dispositions nécessaires pour les supprimer». L’alinéa 2 quant à lui prescrit qu’elles doivent «les prévenir ou en limiter la propagation dans la nécessité ou par manque de précaution et lorsque la situation le justifie». À l’alinéa 3, il est demandé aux communes de «prendre toutes mesures exécutoires destinées d’office à faire cesser le trouble. En cas de nécessité, elles peuvent requérir le concours de la force publique».

2-Débits de boissons, cocktails aux décibels
Dans la capitale économique camerounaise, chacun est roi chez lui et fait comme bon lui semble. Ce petit matin du jeudi 13 avril 2023 au quartier Bepanda, dans le 5ème arrondissement, une foule en colère se déchaîne et se livre à des injures. L’objet de la dispute, la musique jouée en fond sonore. Le gérant du bar hausse le ton face à son voisinage révolté. «Depuis que le monsieur a ouvert son bar, on ne parvient plus à respirer dans ce quartier. La musique par-ci, le volume par-là. Il ouvre à 15 heures et à cette heure-là, nos enfants sont encore à l’école. Il est devenu impossible pour notre progéniture d’étudier. Nous lui avons fait un premier reproche il y a quelques mois, il a répondu qu’il a compris et qu’il va baisser le volume de la musique. Mais une fois le dos tourné, il continue dans sa même lancée», confie une riveraine. Des propositions ont même été faites pour résoudre le problème, mais sans résultat. «Nous lui avons proposé qu’il pouvait jouer la musique de lundi à jeudi en fond bas, mais le vendredi jusqu’au dimanche puisque nous sommes conscients que c’est le week-end, il peut lever le volume. Nous avons donc décidé aujourd’hui de prendre les choses en main», explique notre interlocutrice.
Du côté de Bonapriso, dans le 1er arrondissement, Mathilde fait appel aux agents de la police municipale pour nuisance sonore et incivisme. À notre arrivée, la police municipale est à l’œuvre. Elle détruit l’esplanade de ces débits de boissons. «Les clients font tellement de bruit, en plus ces clients après avoir bu, viennent uriner devant mon portail. Le matin ça empeste et ça finit par nous rapporter des maladies». À en croire cette dernière, «vous entendez même parfois comment quelqu’un force le portail. Pour un quartier aussi calme, ça devient dérangeant, désagréable même et c’est quelque chose d’inacceptable».
Aux quartiers Nkomkana (Yaoundé 2) et Efoulan, les bars se livrent à une rude concurrence. Sans oublier les boîtes de nuit qui s’invitent dans la danse. Ici en effet, les jeunes filles recrutées se livrent aux danses bacchanales et assouvissent les plaisirs et désirs des hommes à la recherche de fortes sensations libidinales. Les tenues vestimentaires dans ces lieux laissent transparaitre leurs bustes et postérieures. Tous ces ingrédients, relevés par la hauteur des décibels de la musique, participent d’une stratégie marketing et de séduction, qui vise à attirer les clients. Les débits de boisson sont par ailleurs devenus des lieux d’insécurité et de ventes de stupéfiants. Ils opèrent jusqu’aux heures indues. «Finalement les bars, snack-bars et boîtes de nuit se confondent à nos quartiers. Je pense que chacun connaît ses heures de fermeture, mais il y a un laisser-aller. Chacun fait ce qu’il veut, tout est permis et c’est ça l’image du Cameroun. Rien ne semble fonctionner, personne ne respecte la loi», s’indigne Fabrice Djitap, malade assis sur une chaise roulante.

3-Vendeurs à la criée et disquaire ambulant
La nouvelle tendance du côté des vendeurs ambulants est à l’enregistrement audio dans une clé USB ou une carte mémoire. Le message enregistré est joué en boucle dans un baffle porté à bout de bras toute la journée. Le volume du son est très fort. «Les gars qui vendent les accessoires de téléphone exagèrent avec le volume de leurs baffles. Le volume est souvent si fort que lorsqu’ils arrivent dans notre carrefour, le bruit devient plutôt troublant et on leur demande soit de baisser, soit de partir», affirme Raphaelle. Rodrigue, commerçant, défend pourtant cette approche. «Le son qui provient du baffle fait partie de ma technique commerciale et d’un moyen de communication. C’est vrai que lorsqu’on doit circuler dans les quartiers calme comme Bonapriso, c’est un peu gênant, mais je ne peux que hausser mon volume pour me faire entendre, car c’est ainsi que je fais mon commerce», explique-t-il.
Les bruits sont à leur paroxysme au Carrefour Nlongkak ce mercredi 17h. Les bruits de voitures se combinent à des audios publicitaires de quelques commerçants. Ici, des groupes de distributeurs d’un baume relaient leur message en boucle. Des haut-parleurs servent la cause. Un vendeur de médicaments naturels fait retentir son mégaphone depuis son véhicule pour attirer l’attention. Non loin, un vendeur de produits de dératisation ne se laisse pas faire. La réalité est désormais connue. Les commerçants ambulants se font entendre dans la ville de Yaoundé. À l’aide d’amplificateurs de sons, ces derniers imposent leurs marques dans les esprits. La raison en est économique. «On cherche à capitaliser nos ventes. Pour un baume vendu, j’ai 200 FCFA d’intérêt. Avec un capital de 30 000 FCFA qui correspond à un stock de 100 boîtes, j’ai 20 000 FCFA. Donc, je gagne plus si j’écoule vite mon lot», explique Hermine Yonda, distributrice du baume François.

4-Taxis, haut-parleurs à quatre roues
Les chauffeurs de taxi battent des records sur la production des bruits en pleine chaussée. Ils s’illustrent par l’amour des klaxons trop souvent inopportuns. Ce mercredi 12 avril 2023 dans certaines artères de Yaoundé, le Journal Intégration recense plusieurs scenarios. Les chauffeurs klaxonnent pour saluer un tiers reconnu au passage. L’instrument leur permet de revendiquer le passage, même au cœur des bouchons. Des transporteurs s’en servent pour héler des clients. La liste des nécessités pour eux est longue et même justifiable. «Un chauffeur n’a pas le temps pour formuler les phrases et communiquer. Donc on procède autrement», exprime Léopold Mefire, taximan. Tout cela est fait au mépris des textes réglementaires. Notamment le Code de la route. «On leur apprend qu’en milieu urbain, on ne doit klaxonner qu’en cas d’ultime nécessité, comme un risque d’accident. De même, il faut éviter les coups de klaxons abusifs dans les agglomérations», explique Fridolin Tam Mangock, moniteur d’auto-école.
La vétusté des véhicules constitue une autre source de pollution sonore. «Les bruits peuvent provenir du régime normal du moteur (ronflement), où d’une anomalie due à une panne quelconque, le plus souvent causée par le manque d’entretien du véhicule, voilà pourquoi ils doivent tous au bout d’un certain temps aller à la visite technique, un peu comme un être humain fait son bilan de santé a un certain temps pour savoir avec exactitude comment il se porte», ajoute le formateur.

 

Diane Kenfack, Olivier Mbessité et Louise Nsana

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