Marchés publics : L’urgence de la transparence

Du fait de l’implémentation de la décentralisation et de la dématérialisation des commandes publiques au Cameroun, la mise à disposition des informations relatives aux contrats et à l’identité des propriétaires d’entreprises contractuelles est une «nécessité».

L’exécution du budget d’investissement doit combler les besoins de services publics en qualité et en quantité. Sur le plan pratique, ce n’est pas toujours le cas au Cameroun. Ce qui pose un problème: celui de la transparence dans la chaine des marchés publics pour la réalisation des infrastructures basiques.

Cas d’école
Entre 2014 et 2017, 334 entreprises et prestataires «ont abandonné les marchés qui leur étaient attribués». Et c’est après plusieurs années qu’ils ont été sanctionnés. Dans un communiqué publié le 21 mai 2019, Ibrahim Talba Malla, ministre délégué à la présidence de la République chargé des Marchés publics, suspend lesdites sociétés de la commande publique pour une durée de deux ans.

Open data, pilier de la gouvernance
L’affaire a été suivie de près par un consortium d’organisations de la société civile (OSC) militant pour la bonne gouvernance au Cameroun. Ayant pour chef de file le Centre régional africain pour le développement endogène et communautaire (Cradec), cette corporation a estimé que «ces défaillances auraient pu être évitées, si [le] pays avait déjà véritablement adopté une culture d’open data». Selon ces organisations, les données produites et détenues par l’État et toutes les institutions publiques permettent de stimuler l’innovation économique et sociale. Elles permettent également d’améliorer le fonctionnement de l’État, à travers une meilleure implémentation des politiques. Ce n’est pas tout. D’après le Cradec, «un accès plus large et de meilleures qualités aux données publiques permettra d’encourager l’ensemble de la société à créer de la valeur et de nouveaux services numériques utiles au public».

Nécessité
Dans un contexte marqué par la dématérialisation du secteur des marchés publics et par la décentralisation, conformément à la vision à l’horizon 2035, le consortium (ADIN, DMJ, Transparency international/Cameroon, Afroleadership, Cradec) a formulé, le 26 avril 2020 à Douala, un plaidoyer. Objectif: limiter la fuite des capitaux et améliorer la gouvernance. Intitulée «Flux financier illicite: enjeux et défis pour la vision 2035», la plaidoirie s’inscrit dans le cadre de la mise en œuvre du «renforcement de la gouvernance budgétaire pour la fourniture des services de base durable dans le respect de la préservation de l’environnement». L’initiative, financée par l’Union européenne, va durer quatre ans.

Joseph Julien Ondoua Owona (stagiaire)

La presse sentinelle

En dépit des conditions de travail jugées ardues, la presse camerounaise est un maillon important dans la soumission des commandes publiques.

Au Cameroun, la passation des marchés publics ne suit pas toujours le procédé ordinaire, précisément en ce qui concerne le secteur extractif. Selon Jean Mballa Mballa, directeur exécutif du Cradec, elle est régie par un principe: «premier venu, premier servi». En réalité, «le gouvernement ne fait pas d’appel d’offres comme on dit», explique le directeur exécutif du Cradec. Cela, ajoute-t-il, réduit les chances pour d’autres entreprises, «peut-être plus compétentes», d’obtenir lesdits marchés. En plus d’enfreindre le processus normal de passation de marchés (qui doit se faire sur appel d’offres), cette méthode atteste de l’opacité dans ce secteur. Un manquement grave en matière de gouvernance.

Médias
Dans un environnement marqué par le manque de transparence, le rôle des médias est déterminant. «Les médias doivent travailler à influencer le décideur afin que l’information soit disponible. Il s’agit de travailler dans l’optique de mobiliser une masse critique, même si les choses ne vont pas changer du jour au lendemain», indique l’exécutif du groupe d’organisations de la société civile. À ce sujet, la loi portant code de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques au Cameroun est claire.
En son article 48, alinéa 2, elle stipule que «la presse, les partenaires sociaux et d’une façon générale tous les acteurs de la société civile sont encouragés à participer à la diffusion des informations ainsi qu’au débat public sur la gouvernance et la gestion des finances publiques.»

Limites
Seulement, les médias n’ont pas toujours accès aux sources. À cause de cela, rendre l’information devient ardu. Même si elle traite de la dématérialisation de la procédure des marchés publics, la loi n° 2018/366 du 20 juin 2018 ne contient aucune disposition relative à l’ouverture des données sur toutes les étapes, constate le Cradec. Même la loi portant code de transparence et de bonne gouvernance dans la gestion des finances publiques n’en fait pas mention.

Du fait de tous ces manquements, «les marchés publics restent un domaine complexe et ambigu, pas toujours accessible à la majeure partie des acteurs et des populations, qui comprennent peu ou rien du tout des mécanismes de passation des marchés publics», conclut le Cradec.

JJOO

Industries extractives

Encore du chemin pour le Cameroun

Bien que quelques progrès soient visibles, le gouvernement camerounais doit fournir des efforts considérables en matière de transparence dans le secteur minier.

 

«En ce qui concerne le Cameroun, il y a vraiment une volonté de transparence dans les industries extractives… Avant l’année 2005, on ne savait pas ce qui se passait, notamment dans le secteur pétrolier; la mine étant encore à l’état d’exploitation très embryonnaire. Depuis 2005, il y a une évolution, puisque le Cameroun est définitivement admis à l’ITIE en 2013 et à partir de ce moment, le Cameroun s’est conformé au respect des six premières exigences. Ce qui veut dire que les pratiques qui avaient cours doivent changer et laisser place à la transparence». En s’exprimant ainsi, Jean Mballa Mballa dresse l’état de l’ouverture des données dans le secteur minier au Cameroun. À en croire le directeur exécutif du Cradec, le Cameroun se rapproche des canons de transparence édictés par l’instance internationale de la transparence dans les industries extractives.

Loi inappliquée
Le Cameroun est suffisamment agrémenté sur le plan légal. Selon le code minier 2016, toute entreprise s’engageant dans l’exploitation des mines doit se conformer aux exigences de l’ITIE. Ce n’est pas tout. En son article 6, la loi 2018/011 portant code pour la transparence et la bonne gouvernance dans les finances publiques au Cameroun prescrit la publication de tous les contrats relatifs à l’exploitation des ressources naturelles. Seulement, aucune de ces lois n’est vraiment appliquée.

En réalité, le Cameroun affiche encore nombre de manquements en termes d’ouverture des données. Pour Joseph Anicet Nke de l’OSC Afroleadership, le secteur minier est encore en proie à l’opacité. Pour l’expert en open data (ouverture de données), «le Cameroun accuse un grand retard en matière de compréhension des enjeux de l’ouverture des données publiques». La preuve, ajoute-t-il, «jusqu’à présent, le Cameroun n’a pas encore adopté la loi sur l’accès à l’information par les citoyens».

Cela coute énormément d’argent au pays de Gabriel Dodo Ndocke, ministre des Mines, de l’Industrie et du Développement technologique (Minmidt). D’après le Rapport du groupe de haut niveau sur le niveau des flux financiers illicites en provenance d’Afrique, le Cameroun a perdu «environ 7 milliards de dollars US (environ 4200 milliards entre 2012 et 2013».

Pour stopper l’hémorragie financière, Jean Mballa Mballa et Joseph Anicet Nke sont unanimes: le Cameroun a encore du chemin à faire.

JJOO

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