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Marche du monde: l’Ekang s’y retrouve absolument

À l’heure de la mondialisation, presque rien des actualités internationales ne lui échappe.

Les Ekang visionnant un match de la Can 2019 sur le site du festival Mvet Oyeng

«On a tendance à penser que les questions intérieures ont plus d’écho dans l’opinion publique Ekang. C’est un faux calcul. Nous l’avons vu lorsqu’elle a appris que la Guinée Équatoriale érige un mur à sa frontière avec le Cameroun». À l’aune d’une étude sociologique qu’il a menée en 2016 dans son aire culturelle, Martin Zoambe prend d’emblée position sur la capacité du peuple Ekang à saisir les grandes problématiques de l’international. À Ambam, sur le site du Festival Mvet Oyeng ce 20 juillet 2019, l’apéro thématique qu’anime cet universitaire congolais ne manque pas d’élargir la perspective d’un sujet dont les spécificités échappent à plus d’un. «En réalité, c’est parce que le public est affligé par la frilosité intellectuelle des débats sur les questions internationales que tout paraît incompréhensible», fait savoir Martin Zoambe. «Dans les débats portés par une certaine classe intellectuelle, c’est la simplification qui manque cruellement», ajoute-t-il.

«Actu»
Au moins, en ce jour, il faut rendre tout ou presque accessible à tous. Et le faire passe inévitablement par la compréhension de l’actualité. Car en fait, «les livres d’histoire disent les faits, mais l’actualité apporte une connaissance plus approfondie des choses sur la marche du monde, sur les luttes sociales, économiques et politiques, sur la production culturelle», établit le Congolais.

Pour ce dernier, ce qui se passe ailleurs dans le monde est bel et bien connu en milieu Ekang. «Dans cette zone, l’on a intégré que l’actualité du voisinage et des contrées lointaines est une dimension essentielle de la culture à l’heure de la mondialisation», déclare le conférencier. L’étude qu’il dit avoir pilotée le démontre d’ailleurs: «En 2016 au Gabon par exemple, 3 Ekang sur 5 étaient capables de vous dire toutes les péripéties liées à l’élection de Donald Trump aux États-Unis; la même année au Cameroun, 4 Ekang sur 5 étaient au courant de la condamnation à la prison à vie de l’ex-président tchadien Hissène Habré; en zone rurale, 3,9 sur 5 récitaient les cours du cacao à Londres. Toujours en 2016 au Congo, 3,8 Ekang disaient avoir suivi le décès du triple champion du monde des poids lourds Mohamed Ali».

Mondialisation
À ce niveau, il est clair que l’Ekang est «bon» consommateur de tous les médias et de l’actualité internationale, afin d’en percevoir les subtilités et d’en découvrir la signification. «À travers divers supports, il la sent ou la devine, par le pouvoir de son intuition et la lucidité de son imagination. Je sais que j’exagère, mais à peine»,blague Martin Zoambe. En confessant un peu d’exagération dans son analyse, le sociologue congolais brandit une diversité d’approches, la pluralité des échelles et du vocabulaire utilisés. «Tout cela, dit-il, rend cependant confuses les conceptions de la marche du monde». Tout au moins sa grille de lecture indique une chose: «L’Ekang est passé progressivement d’un temps individuel autocentré à un temps physique et social décentré, et d’un espace autocentré à un espace géographique et cosmique. Cette capacité de décentration lui a permis de comprendre d’abord l’évolution de quelques aspects des actualités internationales, de comprendre les interactions entre l’espace et les activités humaines et de comparer des espaces géographiques simples». Dit plus simplement: «progressivement, les médias permettent à l’Ekang de développer des connaissances pour comprendre qu’il fait partie d’une société mondialisée».

Jean-René Meva’a Amougou, à Ambam

Prochain article: Les Ekang

et l’idéal communautaire en Afrique centrale

 

Martin Zoambe

«L’actualité lui donne à voir et à comprendre»

Pour mieux valoriser son observation, le sociologue congolais dessine les contours empruntés pour aboutir à cette conclusion.

 

Vous avez mis en évidence le fait que l’Ekang est bel et bien au courant de la marche du monde à travers deux aspects. Pouvez-vous nous en dire davantage?

En première analyse, dans les habitudes de consommation des actualités internationales, les faits démontrent et expliquent beaucoup de choses. Partout où il est, l’Ekang exploite toutes les virtualités de la technologie pour s’informer sur la marche du monde. À partir des médias, il construit et améliore ses propres algorithmes d’interprétation, d’intérêt ou de rejet. L’actualité lui donne à voir et à comprendre le monde et ses problématiques majeures.

En seconde analyse, si le voisinage immédiat bénéficie d’une attention médiatique préférentielle qu’il est possible de valider statistiquement, l’actualité internationale n’est pas nécessairement ignorée des Ekang. Vous le savez sans doute: le monde est un grand village et nous sommes tous voisins; les espaces de publication se sont développés partout, et vous comprenez pourquoi l’Ekang n’est pas totalement étranger à ce qui se passe loin de lui.

Vous parlez d’analyse, comment a-t-elle été possible?
Pour conduire cette analyse, nous nous sommes appuyés sur les acquis des sciences sociales (principalement la sociologie et l’anthropologie) concernant deux objets: le peuple Ekang, et les technologies d’information et de communication. De ces deux ensembles conceptuels a découlé une méthodologie d’observation visant à élaborer une typologie exhaustive des habitudes de consommation des actualités internationales, avant d’en analyser le rapport avec l’intérêt des uns et des autres. Intuitivement, les référents se situent du côté de l’architecture horizontale de ce qui est entendu. Appliquer cette double grille, issue d’un cadrage théorique reposant sur des connaissances parfois anciennement établies, pouvait s’avérer en partie obsolète face à un objet émergeant sur un terrain encore peu balisé scientifiquement. En conséquence, nous avons renforcé l’objectivation de la marche du monde vue par l’Ekang en intégrant à la fois la définition savante et la désignation sociale.

À partir de là, en milieu Ekang, la marche du monde constitue une denrée que les gens aiment et autour de laquelle ils débattent de manière plus ou moins informelle. Selon cette logique, l’Ekang est déjà engagée dans des évolutions qui ont largement remodelé ses logiques antérieures de rapport avec l’information. Il aimait l’info immédiate: mais là, il a compris qu’il est emballé dans une dynamique de diversité. Maintenant, déterminer à quel moment une actualité internationale intéresse l’Ekang est délicat, dans la mesure où les sujets globaux peuvent être traités en dehors des seuls flux internationaux étudiés.

Propos recueillis à Ambam par JRMA

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