Marché central de Maroua : traditions vivrières du Sud sur l’assiette de l’Extrême-Nord
Acheter des denrées périssables dans la partie sud du Cameroun et les revendre à plus d’un millier de kilomètres, le tout renvoie à des normes de «qualification» et à des «compétences» précises.

«Maman plantain». Les étudiants l’Université de Maroua l’appellent ainsi, et la femme ainsi désignée préfère ne pas dire son vrai nom. «Retenez seulement que fais partie de gens qui viennent du Sud avec des vivres frais, pour les revendre ici à l’Extrême-Nord», dit-elle. Foulard négligemment noué sur la tête, «Maman plantain» essuie d’un rapide geste de la main droite la sueur qui coule sur son visage. Elle ne quitte pas des yeux les cinq jeunes hommes qui déchargent des sacs remplis de patates douces du camion en provenance de la gare ferroviaire de Ngaoundéré à Maroua. Sans convoquer une nouvelle pensée économique, «Maman plantain» qui revendique 8 ans dans «l’animation» du marché de vivres frais de Maroua, livre son secret. «Je vais dans des villages de l’Ouest du Cameroun acheter des maniocs, patates douces, ignames, macabos et taro que je reviens revendre dans ce marché. Je revends aussi au prix de gros à certaines vendeuses des autres marchés de l’Extrême-Nord». D’après elle, il faut avant tout une honnêteté intransigeante envers soi-même, ensuite une volonté déterminée de s’approprier le marché.
Trajectoires
On l’a vite compris: acheter des denrées périssables dans la partie sud du Cameroun et les revendre à plus d’un millier de kilomètres, le tout renvoie à des normes de «qualification» précises, à des «compétences». Ces paramètres spéciaux, d’autres commerçants exerçant dans le même secteur les ont utilisés à leur façon. Mathurin Sop, grossiste de vivres frais au Marché central de Maroua l’a compris. «Depuis 7 ans que je suis là, j’ai étudié le marché. J’ai constaté qu’il manquait quelque chose», raconte-t-il. «Beaucoup de ressortissants du Sud qui sont ici demandaient du plantain, du manioc et surtout quelques espèces de légumes qui poussent seulement dans le Sud. J’ai abandonné le commerce des œufs et je me suis tout de suite lancé», complète-t-il. «Quand on fait la ligne Yaoundé-Maroua avec des tomates, des légumes et tout ce qu’on a de vivres frais au Cameroun, il faut avoir du cran», témoigne Mathurin Sop. «C’est un business qui n’est pas fait pour ceux qui n’aiment pas se lever tôt», confirme Abakar Mefiré. Ce grossiste de pommes de terre raconte: «Pour nous qui sommes dans le secteur ici à Maroua, l’achat des vivres se fait à partir de plusieurs localités du Centre, du Littoral, de l’Est ou de la région du Sud. Chacun a ses réseaux de relations et avec cette équipe, tout ce passe via les transferts d’argent».
Réseaux
Ainsi mise en marche, la dynamique de ce «commerce longue distance» vise essentiellement à contrôler le «spatial», de deux manières. À travers les réseaux d’approvisionnement: «c’est eux nos yeux et nos oreilles là-bas dans le Sud», reconnait «Maman plantain». Dans son récit, elle indique qu’habituellement, elle préfinance une partie de la collecte en avançant une somme d’argent à un ou plusieurs collecteurs avant les périodes de récolte ; elle préfinance également les collecteurs lorsqu’elle leur passe une commande portant sur une quantité spécifique. Dans ce cas, il y a entente préalable sur le prix.
De cette ancienne, l’on apprend également qu’ici à Maroua, le commerce des vivres frais se fonde sur le poids démographique, «des clients sûrs», selon l’expression d’Abakar Mefiré. «De plus en plus, ici à Maroua, la demande est produits vivriers en provenance du Sud du pays est grande. En dépit de difficultés certaines de collecte et de transport, plus de 1500 tonnes de produits vivriers parvenaient chaque jour sur les marchés de la ville», renseigne Guissa Abdourahmane. Sur la foi des statistiques fournies par ce cadre contractuel en service à la délégation départementale du Commerce (Mincommerce) du Diamaré, il apparaît clairement que la demande marchande des produits alimentaires végétaux, céréales, tubercules, légumineuses et graines, fruits et légumes, a vu son volume multiplié par trois ; l’effectif des vendeurs grossistes a crû d’environ 3% par an et ce rythme d’accroissement est très proche de celui de la population, lui-même très lié à l’implantation d’une université dans la ville.
Fret
Pour atteindre Maroua, les produits vivriers frais empruntent généralement deux modes de transport: le train et les camions. «À cause de leur grande capacité de transport de produits agricoles achetés loin dans la parie du sud du pays, les camions sont les moyens de transport le plus utilisé par presque tous les revendeurs de vivres frais en activité ici à Maroua. Parfois, ce sont les cars qui sont utilisés surtout lorsque les grossistes n’ont pas pu acheter des grandes quantités de produits», explique Guissa Abdourahmane.
En exploitant une étude réalisée en février 2023, par la délégation régionale du Mincommerce pour l’Extrême-Nord, le cout du transport représente entre 5 et 7% du prix de vente des produits vivriers en provenance du Sud dans les marchés de Maroua. La même étude révèle que la problématique du transport des produits frais achetés à des centaines de kilomètres est très complexe. En effet, relève le document, entre Ngoundéré et Maroua, les femmes éprouvent d’énormes difficultés pour trouver un camion pour le transport des marchandises. Selon ces femmes, le délai d’attente d’une hypothétique voiture est très long pouvant aller de 1 à 4 heures au bord des routes. Devant la gare ferroviaire de Ngaoundéré, il est très fréquent de rencontrer des femmes assises dans la nuit vers 21 et 22 heures à la recherche d’une voiture pour transport des produits achetés. Dans les cas extrêmes, certaines femmes affirment souvent passer la nuit en bordure de la route à la recherche de la voiture. Dans ces cas, elles font face à des risques de vols, de pertes ou de dégradation des marchandises.
Heurs et malheurs
Dans ces cas, apprend-on, les marges commerciales de «Maman plantain», Abakar Mefiré, Mathurin Sop et autres fléchissent. La cause est connue: l’altération rapide des produits ; les coûts et les délais pour le transit des marchandises ont une incidence significative sur la compétitivité des marchandises. Et là, il faut convoquer beaucoup d’imagination. Parfois, souffle»Maman plantain», tout un train d’actions promotionnelles est lancé sous forme d’annonces. L’astuce consiste à souligner l’aspect pratique et sain de certains tubercules et légumes. Parfois aussi, il faut solliciter les clients à l’avance et assurer les ventes, avant de commander les quantités nécessaires: «On prévoit d’abord un jour, peut-être deux, qui doivent être toujours les mêmes, pour lesquels on propose du bon plantain à sa clientèle. Il faut bien faire entrer dans la tête de vos clients que par exemple le jeudi ou le vendredi vous avez du plantain mûr bien frais à vendre», dévoile Mathurin Sop. Selon ce dernier, l’insécurité dû à Boko Haram a laissé derrière elle un grand désordre.
Et il y a plus: «on a maille à partir avec quelques agents des services phytosanitaires. Ils ne comprennent pas toujours que nos produits sont garantis par des conditions optimales de conformité nécessaires pour les denrées périssables», confie Abakar Mefiré. Lequel insiste également sur les mille feuilles imposées par les autorités municipales. L’étude réalisée par la délégation régionale du Mincommerce estime que «chaque jour en transit supplémentaire coûte en moyenne 0,8% de la valeur totale de la marchandise transportée ; ainsi, plus le temps de transit s’allonge, plus les frais d’inventaires s’alourdissent», et que «les coûts variables liés au carburant, les paiements informels et le mauvais état de l’axe routier Ngoundéré-Maroua augmente le coût du fret de l’ordre de 50%».
Jean-René Meva’a Amougou