La toute première édition du Forum sous-régional sur la corruption et la gouvernance s’est tenue à Yaoundé du 5 au 6 décembre 2023. L’évènement initié par l’organisation non-gouvernementale Environment For Life qu’accompagnait le ministère camerounais des Relations extérieures (Minrex), a connu la participation de plusieurs autres. Notamment, la Commission économique pour l’Afrique (CEA), la Commission nationale de lutte anti-corruption (Conac)… Pendant deux jours, les participants ont débattu sur le thème «Engager la transparence: plaider en faveur de la transparence et de la responsabilité dans les pratiques gouvernementales et commerciales. Soutenir les efforts visant à améliorer la transparence dans votre communauté ou votre lieu de travail». Après avoir fait l’autopsie du phénomène, ils ont, en chœur, chanté l’hymne du plaidoyer en faveur d’une meilleure gouvernance. Un idéal qui ne peut être atteint qu’en menant une lutte acharnée et sans merci contre la corruption.
Joseph Julien Ondoua Owona
Selon les experts et autres personnes engagés dans la lutte contre le phénomène, la mise sur pied et l’application des textes juridiques contre l’enrichissement illicite constituent la solution.
Ce n’est un secret pour personne. Les pays de la sous-région Afrique centrale ont mal à leur gouvernance, du fait de la corruption qui y est fortement élevée. Le constat fait depuis plusieurs années déjà et à divers niveaux l’a également été les 5 et 6 décembre dernier à Yaoundé. C’était à l’occasion de la toute première édition du Forum sous-régional sur la corruption et la gouvernance.
La gangrène
À les en croire, après moult sensibilisations, les adeptes de la corruption ne semblent pas prêts à revenir à de meilleurs sentiments. La «vieille affaire», selon Angeline Ndo, sénateur suppléant pour la région du Sud, est devenue systémique. Ce d’autant plus que, estime Me Charles Nguini (auteur de Plaidoyer pour un Cameroun sans corruption), c’est «la lutte la plus impopulaire» qui existe parce que, «les gens font semblant de lutter contre le fléau». C’est ce qui fait dire au révérend père Dr Thomas Tchoungui que «la corruption est un péché». Celui-là qui consiste, pour ses praticiens, à se détourner du canon légal pourtant préétablie, pour passer par une «autre voix».
Situation désastreuse
En évoquant les données statistiques, Marcelle André Ngono Ndjobo fait l’autopsie de la situation dans la sous-région. «Des mesures de la perception de la corruption des organisations comme la Banque mondiale, à travers les «indicateurs mondiaux de gouvernance»; le World Economic Forum ou encore Transparency International relèvent régulièrement une situation désastreuse en Afrique subsaharienne et particulièrement en Afrique centrale. L’Indice de perception de la corruption 2022 publié le 31 Janvier 2023 par Transparency International indique que la majorité des pays de la sous-région ont des progrès lents ou inexistants dans leur lutte contre la corruption», fait-elle savoir. D’après ledit rapport, la Guinée Équatoriale fait partie des pays africains les plus corrompus d’Afrique, avec un indice de 17. Ce qui lui vaut d’être leader en matière de corruption dans la zone Cemac. À sa suite, le Tchad (19 contre 20 en 2021); le Congo (20 contre 19 en 2021); la Centrafrique (24 en 2021 et 2022); le Cameroun (26 contre 27 en 2021) et enfin le Gabon (29 contre 31 en 2022).
Conséquences
Dans ces pays de l’Afrique subsaharienne majoritairement francophone, le fléau se dissimule grâce à ses mille visages. La perte de ressources économiques à travers la fuite des capitaux et la distorsion des investissements vers les secteurs corrompus et profitables; la désorganisation politique, conséquence du clientélisme et des systèmes de faveurs. Tout ceci bouscule l’efficacité gouvernementale, la réduisant à sa simple expression. Dans un tel contexte, le coût des services grimpe considérablement, rendant l’application des «bonnes» mesures gouvernementales impossible.
Pour tordre le cou à ce fléau, il ne suffit plus seulement de le dire, ni de le penser. Mais il convient de prendre des mesures concrètes. Pour Me Akere Muna, la solution réside dans la prévention. Dans ce sillage, estime l’ancien bâtonnier camerounais, il est plus qu’urgent de prendre des mesures législatives plus importantes et surtout de les appliquer. «La prévention est plus importante que la sanction. Parce que la prévention protège notre patrimoine. La sanction vient après», estime-t-il.
Pour lui, «la lutte contre la corruption n’est pas un combat insurmontable. Avec détermination, l’action collective et la mise en œuvre de mesures efficaces, nous pouvons surmonter ce défi et ouvrir la voie à un avenir meilleur».
La gouvernance par l’éducation
Éradiquer la corruption en Afrique centrale passe impérativement par une sensibilisation accrue des plus jeunes.
«Les vieilles habitudes ont la peau dure». La maxime résume assez bien l’état de la lutte contre la corruption dans la sous-région Afrique centrale. Malgré les multiples actions entreprises à divers niveaux, le mal persiste. De l’avis des experts, cela est dû au fait que ces actions soient entreprises auprès des adultes embourbées dans les mauvaises pratiques depuis plusieurs années.
La situation est d’autant plus alarmante que les plus jeunes s’en trouvent mêlés. En dehors des bureaux des entreprises publiques et privées, le phénomène malsain s’est déporté dans les établissements scolaires. En ces lieux jadis plein d’innocence et de dispensation des savoirs, elle outrepasse le règlement intérieur et flâne entre bureaux et salles de classe. Conséquence: «l’élève le moins brillant a toujours des moyennes appréciables», souffle un enseignant. Alors que, le moindre service offert est rendu en échange d’un autre ou d’une somme d’argent… S’en suivent alors divers scandales.
Outiller les jeunes
L’urgence d’exclure ce mauvais élève des établissements scolaires et universitaires n’est plus à démontrer. Pour Richard Howe, la restructuration doit commencer dès la base. D’ailleurs, estime l’expert, il est nécessaire de retourner à l’éducation d’antan. Celle d’après laquelle, un enfant, après avoir effectué une commission va rendre le reste d’argent à son commanditaire.
«Il est question d’imprégner les enfants, les plus jeunes de ce qu’est la corruption afin qu’ils apprennent à se mettre en marge de ces pratiques», dévoile Marcelle Ngono Ndjobo, coordinatrice de l’Ong Environment For Life. L’objectif ultime étant de disposer des jeunes suffisamment informés et bien formés pour mieux gérer les ressources de nos pays de façon responsable, dans le meilleur des mondes.
L’action, apprend-on, doit se poursuivre au-delà du cadre scolaire et s’étendre aux sanctuaires de corruption que sont les entreprises. «Le renforcement des capacités à la fois des individus et des États, permettrait non seulement d’améliorer la gouvernance des entités privées et publiques, mais également de limiter et de réduire de manière significative le processus de corruption dans les pays d’Afrique centrale. Ainsi, nous, individus, entreprises et États, seront tous gagnants. Nous assurerons de la sorte, notre développement sans entraver celui des générations futures», explique Marcelle Ngono Ndjodo.
«La République exemplaire passe par des hommes exemplaires, d’où le passage par l’éducation», conclut le révérend père Dr Thomas Tchoungui.
JJOO