L’intégration régionale en Afrique centrale : Duel d’inefficience et de survie

Cinq ans après la tenue de sa dernière session, le Conseil des ministres du Comité de pilotage de la rationalisation des Communautés économiques régionales en Afrique centrale se tient à Yaoundé les 11 et 12 août 2022. C’est un premier moment de vérité pour l’Afrique centrale qui va connaître la première étape du consensus sur la refondation de son processus d’intégration régionale. La réunion de Yaoundé est cruciale et stratégique, car elle permettra de déterminer si l’Afrique centrale est prête à renoncer aux usages qui contribuent à faire de son espace le moins performant sur le continent africain. Les experts, dont la réunion précède et prépare celle des ministres et des présidents des institutions, ont déjà validé l’ensemble des actes juridiques, organiques et opérationnels qui fondent la nouvelle Communauté unique de l’Afrique centrale. L’adoption de ces derniers par les ministres vaut préparation du sommet extraordinaire Cemac-CEEAC qui crée la nouvelle Communauté.

La fonte des systèmes institutionnels de la Cemac et de la CEEAC n’est pas juste une opération de make up consistant à la substitution des organisations et des appellations, il s’agit d’une œuvre de refondation. Elle a l’ambition de réorganiser l’espace géoéconomique de l’Afrique centrale sur les plans juridique, politique, sécuritaire, économique, monétaire et financier, social et culturel. L’Afrique centrale est un espace morcelé dans lequel cohabitent plusieurs systèmes juridiques, économiques, monétaires, financiers que les processus d’intégration n’ont pas réussi à rendre convergent depuis plus de 50 ans.

Voilà pourquoi, malgré qu’il soit ressortissant de l’Afrique centrale, un opérateur économique Tchadien est, en République Démocratique du Congo, soumis aux mêmes règles commerciales que son homologue marocain. Il en est de même de la libre circulation des personnes, de la monnaie et pire du sentiment de fraternité et d’appartenance à un espace géographique et culturel identique. Un Centrafricain qui désire se rendra à Sao Tome ou en Angola a parfois l’obligation de passer par Addis-Abeba, Lomé, Accra voire Johannesburg avant d’atterrir. En d’autres termes, pour quitter d’un point A à un point B dans la région, il va transiter par 2 ou 3 régions en Afrique.

L’Afrique centrale est bien une région au sens théorique, mais d’un point de vue pratique c’est une constellation d’États dans un ensemble désintégré. La fusion de la Cemac et de la CEEAC est un processus de rattrapage. Elle a déjà fourni des résultats y relatifs.
Notre analyse est une contribution au débat sur l’opportunité et la technique du processus de rationalisation. Mais, elle se propose de dépasser cette réflexion figée. Dans une approche d’évaluation et de prospection, nous tentons de démontrer la valeur ajoutée de la fusion Cemac-CEEAC pour une intégration régionale efficiente en Afrique centrale. De ce fait, après un tableau de bord sur les réalisations actuelles de l’intégration dans la Région, nous tenterons de déterminer la plus-value de la rationalisation pour la résilience de l’Afrique Centrale dans un monde incertain.

 

Par Zacharie Roger MBARGA, Expert Chercheur en Intégration Régionale,

Chercheur Associé au Centre d’Analyses et des Prospectives

sur les Afriques (CAP AFRIQUES) du Centre d’Etude sur l’Intégration

et la Mondialisation de l’Université de Québec à Montréal

et Expert Consultant Associé à plusieurs Etudes, Réformes,

Négociations de l’Intégration Africaine mbargaroger@yahoo.fr

 

Du Traité de Brazzaville de 1964 qui crée l’Union douanière et économique de l’Afrique centrale (Udeac) jusqu’au Traité révisé de la CEEAC du 18 décembre 2019, l’Afrique centrale reste le ventre mou de l’intégration continentale.

Ce premier mouvement de notre analyse revient sur les motivations structurelles qui fondent le processus de fusion et dévoile l’impérieux intérêt d’un consensus politique sur l’option de fusion-constitution retenue comme orientation politique et technique pour la mise en place d’une seule Communauté économique régionale en Afrique centrale.

A) Cemac-CEEAC: des performances d’agonie
Sur la foi de l’édition 2021 du Rapport sur l’intégration régionale de l’Union africaine, le niveau d’échanges intra régionaux au sein de la CEEAC est de 3%. Ce chiffre est difficilement vérifiable car non seulement le tarif préférentiel de la CEEAC n’est pas totalement appliqué, mais les cadres de l’institution communautaire avouent ne pas avoir la capacité de collecte des données et de contrôle sur l’ensemble du territoire.

Rappelons que le chapitre 4 du Traité instituant la CEEAC de 1983 ne prévoit pas de Zone de libre-échange.
Au sein de la Cemac, le tableau n’est pas plus reluisant. Le président de la Commission de la Cemac déclarait le 14 juin 2022 à Malabo: «c’est une honte pour la sous-région que le commerce intracommunautaire soit de 4% dans la Cemac». Evoquant les tracasseries de checkpoints de contrôle, le chef du gouvernement de cette Communauté reconnaît: «j’ai demandé aux ministres quel est l’animal que vous voulez attraper dans les barrages».

Il est de la libre circulation des biens comme il est d’autres politiques communautaires. On peut évoquer le développement agricole. L’Afrique centrale est l’une des régions les plus exposées à l’insécurité alimentaire du fait d’une importation systématique des produits alimentaires de consommation.

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Le sous financement de la Cemac et de la CEEAC constitue assurément l’un des handicaps majeurs qui justifie cette sous-performance. L’article 9 du Traité révisé de la CEEAC indique que la Contribution communautaire d’Intégration (CCI) sera le mécanisme de financement de l’organisation. Il s’agira d’un prélèvement sur les importations, mais le niveau d’imposition reste indéterminé à date. Ainsi, on peut affirmer que le mécanisme de financement de la CEEAC n’est pas fonctionnel. Depuis la réforme de la CEEAC, l’institution fonctionne grâce aux quotes-parts exigées aux Etats pour bénéficier d’un poste de commissaire.

À la Cemac, le fruit de la Taxe communautaire d’Intégration (TCI) continue de faire l’objet d’une sérieuse retenue dans les caisses des Trésors nationaux. Elle n’est pas libérée par les Etats qui appliquent partiellement son mécanisme. En 2021, le Rapport de la Communauté indiquait un niveau d’exécution de 42,67%. L’évaluation au terme des exercices budgétaires 2020 et 2021 établissent que le Cameroun assure à lui seul près de 70% du financement de la Cemac. Au-delà de cet insuffisant financement, l’autre donnée commune aux deux communautés c’est le niveau d’endettement important.

B) Cadres organiques et opératoires: chevauchement, duplication, juxtaposition
Le fonctionnement de la Cemac et la CEEAC est caractérisée par un déploiement concurrentiel. Même si elle n’est pas planifiée, cette concurrence est institutionnalisée du fait des politiques et programmes qui se juxtaposent. Les politiques communautaires, les politiques sectorielles et les programmes d’intégration ne convergent pas et adressent aveuglement et sans efficacité les mêmes domaines d’intervention ce qui n’est pas financièrement viable pour les Etats. L’illustration parfaite a eu lieu fut à Paris.

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En novembre 2020, des ministres congolais ont présenté des projets de la CEEAC en pleine table de ronde des bailleurs de fonds organisée par la Cemac pour les projets intégrateurs du PER Cemac. On peut également constater qu’un opérateur économique a besoin de disposer d’un agrément Cemac et d’un agrément CEEAC pour vendre distinctement pour chacun de ces marchés. Ce qui induit des coûts importants pouvant aller jusqu’à 10.000 dollars pour chaque dossier de demande d’agrément. Plus récemment encore, pour organiser la riposte au COVID19, la Cemac s’est appuyée sur l’OCEAC son agence d’exécution en matière de santé. La CEEAC, alors que les Etats étaient déjà bien avancés, a entrepris la création de l’OSAC: son organisme spécialisé à elle.

Plus structurel encore, les systèmes institutionnels de la Cemac et de la CEEAC sont caractérisés par une inflation institutionnelle envenimée par une nomenclature juridique déséquilibrée. Le tableau ci-dessous le démontre. En effet, des instances censées être sous l’autorité du président de la Commission ou des commissaires disposent non seulement d’un Traité distinct de celui de la Communauté, mais aussi d’une Conférence des Chefs d’Etat comme institution de décision.

En d’autres termes, ces institutions ne sont pas tenues d’obéir aux instructions du président de la Commission. C’est le cas de la Comifac ou de la CICOS. Par représentation analogique à l’échelle nationale, on verrait un établissement public ou une entreprise publique qui, pour prendre ses décisions, doit attendre la convocation d’un conseil des ministres propres. Ce qui fragilise le ministre en charge de la stratégie et de la politique sectorielles.

Zacharie Roger Mbarga

 

CEEAC

Affirmation de légitimité ou défiance envers la rationalisation

 

Il est curieux de constater que depuis 2020, la CEEAC ait choisi de ne plus prendre part aux réunions organisées par le Secrétariat technique du Comité de pilotage de la rationalisation des Communauté économiques régionales en Afrique centrale (COPIL/CER-AC). Deux sessions de la Cellule des experts se sont tenues en novembre 2020 et en mai 2021 en l’absence de la CEEAC. La raison officielle étant l’absence d’un expert; la raison officieuse étant la protestation contre l’option de rationalisation retenue et l’orientation politique et technique de mise en œuvre de la nouvelle Communauté unique de l’Afrique centrale. Le second mobile est davantage conforté par le constat de l’arrêt de la transmission des contributions financières de la CEEAC au Secrétariat technique du COPIL. La CEEAC, responsable de la nomination de l’agent comptable auprès du Secrétariat Technique n’a ni renouvelé le contrat du dernier responsable ni procédé à la nomination d’un autre responsable.

Le Comité de Pilotage de la Rationalisation des Communautés économiques régionales en Afrique centrale a été institué lors de la XIIIème Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEEAC tenue à Brazzaville (République du Congo) en octobre 2007. À la faveur de la XIVème Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEEAC tenue à Kinshasa le 24 octobre 2009, la République du Cameroun s’est vue confier, comme de tradition, la présidence dédiée dudit Comité de Pilotage. Le 31 mars 2015, la décision conjointe CEEAC-Cemac portant création, organisation et fonctionnement du COPIL/CER-AC a été signée par les présidents en exercice de la CEEAC et de la Cemac. C’est au terme des travaux de la 4ème réunion du Conseil des ministres du COPIL/CER-AC, en novembre 2017 à Yaoundé, que les ministres ont retenu la fusion-constitution comme option de rationalisation en Afrique centrale en vue de la mise en place d’une nouvelle CER en Afrique centrale.

Comme rarement en Afrique, la rationalisation dans la région a fait le choix d’une stratégie génétique au lieu d’une stratégie logistique. C’est-à-dire que c’est une étude qui a permis de déterminer l’option idoine de rationalisation. Et les acteurs sont africains. Ce qui est rare.

La réforme institutionnelle de la CEEAC adoptée en décembre 2019 et en cours d’implémentation visait à redynamiser l’institution mais il s’est développé une volonté d’affirmer la légitimité exclusive de la CEEAC. Toutefois, aucun fondement juridique au niveau de l’Union africaine ne fait de la CEEAC l’unique CER. Tout comme aucun fondement juridique ne limite les scénarii de rationalisation.

Des manœuvres et attitudes inélégantes en diplomatie ont contribué à envenimer la situation. Après avoir échoué à mettre à l’ordre du jour de la XVIIIème conférence de la CEEAC le sujet de l’absorption de la Cemac par la CEEAC, le président de la Commission de la CEEAC a affirmé ne pas vouloir engager la CEEAC dans la fusion-constitution lors d’une audience à lui accorder par le ministre des Relations extérieures le 26 avril 2022.

La dernière conférence des chefs d’Etat de la CEEAC a fait montre d’une réaction du Cameroun. La République du Cameroun, sans doute préoccupée par l’accueil du président Macron, n’a transmis de représentant à cette importante rencontre.

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