Arrivées à Yaoundé au bout de mille peines, quelques femmes dénoncent l’application des mesures dites locales par des autorités de certains pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac).
La situation peut paraître paradoxale. D’un côté, à quelques exceptions près, tous les indicateurs disponibles révèlent que dans les pays de la Cemac, les femmes vivantes en milieu rural africain sont plus vulnérables que les hommes face à des situations critiques. De l’autre, en situation de grande fragilité économique, ce sont elles qui sont les plus amenées à se déplacer dans l’espace communautaire. «Et pourtant, en parlant de libre circulation des femmes rurales d’un pays vers un autre de la Cemac, l’horizon est toujours inquiétant», s’emporte Sophie Gbellet. D’après cette Centrafricaine présente au Safer 2023, un des aspects de l’appréciation de la sévérité de la limitation de la libre circulation, en plus de son degré propre de coercition, est celui de ses modalités d’application soit à l’échelon. de chaque pays, soit à l’ensemble de l’espace Cemac. «Nous avons présenté l’invitation de la Première dame Chantal Biya et l’ordre de mission de notre gouvernement de voyager pour le Cameroun. Les gendarmes et policiers nous ont traités comme des malfrats. À cette allure, il est moins probable que nous soyons là pour la prochaine édition», craint Sophie Gbellet.
Au regard de la manière dont les faits sont spécifiés, il apparaît que les contraintes imposées à d’autres femmes rurales de la sous-région synthétisent la sévérité du dispositif humain déployé sur le terrain. «En termes de freinage à la mobilité des femmes en général, et des femmes rurales en particulier, du moins pour nous Centrafricaines qui sommes venues au Safer, ces dispositifs apparaissent comme les plus dommageables pour l’échange d’expériences entre femmes rurales. Ils agissent comme des forces d’obstruction incroyables à la libre circulation. Tant qu’on parlera toujours de mesure locale, rien ne va aller», jure Rajabo Obedia, secrétaire exécutif au sein de l’Organisation des femmes rurales de Centrafrique (OFRRCA).
Et pour Françoise Olle Nzure, la notion de « mesure locale » est difficile à appréhender en zone Cemac. À en croire ce lieutenant-colonel à la retraite et présidente de la Coopérative agricole Ayong-Yebe, «sa mise en œuvre sur le terrain est par nature peu précise et relève essentiellement de l’arbitraire». La Gabonaise explique : « Une fois mises en place, ces mesures locales induisent des pertes de capacité de mobilité chez celles qui nourrissent tous les citadins de la Cemac ».
Olivier Mbessité
Ils ont dit
Leila Ben Braiek Ayedi, PDG SLPI-Tunisie
«Elles doivent bénéficier de mesures concrètes»
Les femmes rurales africaines sont des actrices de développement incontournables. Elles contribuent de manière sensible à la promotion de l’agriculture durable et jouent un rôle stratégique dans la sécurité alimentaire. Pour ma part, je pense que les femmes rurales africaines qui jouent un rôle stratégique dans la promotion de l’agriculture durable et de la sécurité alimentaire doivent bénéficier de mesures concrètes visant à résorber la division inégalitaire du travail agricole entre les femmes et les hommes, le partage équitable des opportunités de propriété et de financement de projets (accès aux crédits, protection sociale).
Rajabo Obedia, organisation des femmes rurales de Centrafrique
«Œuvrer à assurer une meilleure représentativité des femmes rurales d’Afrique centrale»
Compte tenu des insuffisances de représentativité des femmes dans les différentes étapes de la décision et de leur faible accès à l’encadrement et à la formation dans plusieurs pays d’Afrique centrale, l’on devrait travailler à assurer une meilleure représentation des femmes rurales dans les organisations professionnelles, les syndicats et les coopératives à travers l’incitation à la création de projets communs pour les femmes rurales, la création de groupements de développement agricole féminin et la sensibilisation des femmes à adhérer aux associations et aux coopératives. Ces actions techniques et sociales seraient renforcées par la révision des textes ou le statut juridique des associations professionnelles en vue de favoriser l’insertion des femmes, de sensibiliser les responsables de ces associations à l’intérêt de cette insertion et aux rôles que les femmes peuvent jouer.
Nadège Deneamne, PDG Naeva-Fashion (Tchad)
«L’éducation est un facteur déterminant»
Aujourd’hui, avec l’avancée des objectifs de développement durable, il est temps pour nos dirigeants d’Afrique centrale d’accélérer les progrès vers une plus grande considération de la femme rurale. Dans ce cas, l’éducation est un facteur déterminant. En effet, des données prouvent que lorsqu’elles disposent d’un niveau d’éducation relativement élevé, les femmes rurales arrivent à bien décrocher des meilleurs postes de travail, à bien négocier leur rémunération et à bien protéger leurs droits vis-à-vis de leurs employeurs.
Repères sur le Safer 2023
– Le Cameroun a accueilli la première édition du Salon africain de la femme rurale du 14 au 17 novembre 2023 à Yaoundé.
– Cette importante rencontre du monde rural d’envergure internationale a rassemblé une dizaine de pays africains est une initiative de la Fédération des Unions des GICs de transformatrices des produits agricoles du Cameroun (FUTPAC) et de la CTPA (Confédération Africaine des Transformatrices de Produits Agropastoraux )
– Le Safer 2023 a reçu le soutien du Gouvernement camerounais, et a bénéficié de l’accompagnement du Ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille, tout au long de son processus de maturation.
– A l’origine du Safer, des membres de la Fédération des Unions des GICs de transformatrices des produits agricoles du Cameroun (FUTPAC) et à la Confédération Africaine des Transformatrices de Produits Agropastoraux (CTPA). Ils ont eu l’idée de cette belle initiative.
– Le Safer a été une occasion inédite pour mobiliser des plaidoyers et autres consultations avec toutes les parties prenantes, sur les enjeux majeurs liés à la productivité et à la transformation en vue d’une meilleure contribution de la femme rurale à l’économie des pays et du continent africain.
– Le Safer 2023 est placé sous le haut parrainage de la Première Dame du Cameroun, Madame Chantal Biya. Il a bénéficié de l’accompagnement technique et financier des administrations sectorielles.
– Il s’est tenu dans le sillage de la commémoration de la 28è Journée mondiale de la femme rurale célébrée le 15 octobre et dont le thème est : « Femmes rurales et économie verte : mieux produire et transformer pour saisir les opportunités de la Zone de Libre Échange Continentale Africaine (ZLECAf)».
– Cette thématique, autour de laquelle la réflexion doit se poursuivre jusqu’au 15 octobre 2024, interpelle les gouvernements et leurs partenaires pour favoriser un développement durable à travers la mise sur pied des stratégies d’accompagnement des femmes vivantes en milieu rural dans l’ optique de préserver l’environnement et de les préparer à saisir les opportunités de la ZLECAf. Ce vaste marché continental, tel qu’on vient de nous l’expliquer, vise parmi ses objectifs à associer les jeunes et les femmes à l’effort d’industrialisation de l’Afrique conformément à l’Agenda 2063 de l’Union Africaine.