La poésie peut être certes embellie de maintes façons, par la métrique, la rime, les figures de style plus ou moins savantes… Des traités ont été rédigés à ce sujet, et étant moi-même un amoureux de la poésie classique, je suis loin de cracher sur la beauté des œuvres rédigées en respectant toutes ces règles forgées par des générations de poètes.
Mais, quand on enlève tout cela, que reste-t-il ? Le résultat est-il moins poétique ? Bien au contraire, c’est l’essence même du poème qui surgit, brute et immaculée…
C’est comme en cuisine, on peut adorer une recette sophistiquée, avec de multiples ingrédients chers, utilisant un savoir-faire compliqué pour les mettre en valeur en un feu d’artifice de saveurs et de textures… Mais, pour certains, rien ne vaut la pureté d’un sashimi, un simple morceau de poisson cru d’une fraîcheur exquise, dont la saveur explose en bouche sans que l’attention soit distraite par les multiples ingrédients qu’on y rajoute.
C’est cela qu’a tenté Timba Bema, par ailleurs Grand Prix Littéraire d’Afrique Noire pour une œuvre tout aussi poétique, mais presque à l’opposé de celle-ci, Les seins de l’amante, puisque c’est un poème long, d’une soixantaine de pages, utilisant à merveille toutes les techniques de la narration, de la métaphore, de l’analogue, de l’art de varier le rythme pour tenir constamment le lecteur en haleine sans jamais le lasser et susciter en lui une profonde réflexion…
L’exercice ici est inverse et réussi tout aussi magnifiquement ! Je n’ai jamais lu, résumé en aussi peu de mots ni avec autant de force des sujets aussi variés que l’essence de la poésie.
Un poème
Sera toujours
La rencontre de l’œil
Avec l’esprit de l’œil
La solitude de celui dont le regard va au-delà des apparences
Tu es étrangement seul
Toi qui oses
Visiter
Les profondeurs du monde
La puissance corruptrice de l’argent
Or
Métal des dieux
À peine montrais-tu ton visage aux hommes
Que tu les convertissais à la folie
Le risque totalitaire
Est à craindre
Toute
Société
Fière de ses lois
La pureté d’une joie qui éclate
Joie !
Dans la demeure
Tu as déposé ton fardeau
Joie !
La beauté de la nature
L’estuaire
Est comme un coquillage
Enroulé sur lui-même
Mystère d’une terre accouchée par les eaux
Les drames de l’identité déchirée par immigration, un thème également omniprésent dans Les seins de l’amante et dans son autre recueil, Les bateaux sombrent-ils en silence ?
Immigré
Tu es
La défaite
Du souvenir
L’ennui d’un travail répétitif
Je vivais
Entre les morts
Du lundi matin
Au vendredi soir
Les ambiguïtés de certaines relations amoureuses
Après
Une nuit d’amour avec son bien-aimé
Après
Elle lui découpa le cœur en morceaux
Et tant d’autres thèmes…
Michel Chevalier, éditeur