«Les effets de chaînes de la guerre vont souffler sur les économies fragiles de la Cemac»

Barnabé Okouda

La France, le Royaume Uni et l’UE en général, qui est notre premier partenaire commercial, seront impactés… Les gains éventuels sur une flambée des cours du pétrole pour les pays exportateurs de la Cemac, ne vont pas compenser les pertes dues à la contraction de la demande, notamment en Europe et en Amérique du Nord, qui va se répercuter sur les pays de la sous-région.

 Le directeur exécutif du Camercap a procédé à la compilation d’un ensemble de données et de paramètres sur la guerre en Ukraine. L’économiste et statisticien livre au final son analyse sur l’impact que ce conflit de portée internationale aura sur les prévisions de la Beac telles que présentées dans le Test prévisionnel de conjoncture de la Cemac au premier trimestre 2022.

  

La Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) a rendu public en début février 2022, les résultats du Test prévisionnel de conjoncture de la Cemac au premier trimestre. Entre-temps, la guerre en Ukraine est survenue. Et on se demande d’emblée si ce seul fait ne fausse pas les prévisions et les anticipations des institutions et des chefs d’entreprise de la sous-région?

Dans la pratique des sciences sociales (en Économie notamment), les prévisions ne sont pas faites pour être réalisées, sinon cela devient de la prestidigitation. Elles vous indiquent que si rien ne change dans les conditions observées à l’instant «t», voilà comment le phénomène observé devrait se comporter. Les anticipations ne sont donc pas faussées parce que le contexte n’est plus le même. La chose à faire en ce moment est d’intégrer les nouveaux paramètres dans le modèle et simuler la réactivité des économies avec des incertitudes à très court terme, puisque personne ne peut prédire avec exactitude le comportement des acteurs dans la situation de guerre (et donc d’instabilité) actuelle.

L’invite est donc à un ajustement à très court terme et à une adaptation pour ne pas dire s’inventer au jour au le jour.

Les prévisions disent en gros que le secteur primaire devrait connaître une dynamique assez favorable, avec de bonnes performances dans l’agriculture et l’activité minière. Les hydrocarbures devraient également porter le secteur au premier trimestre 2022, en dépit du ralentissement de la production sylvicole. Le secteur secondaire serait le moins performant, avec en particulier une branche des BTP atone, faisant face à une demande publique en berne. Enfin, dans le tertiaire, l’activité devrait maintenir ses bonnes performances, avec des télécommunications toujours sur un trend haussier, un transport ferroviaire en regain de performance et l’hôtellerie restauration dopée par une demande étrangère plus importante. Qu’est-ce qui va changer pour la Cemac?

 Sans vouloir contredire les hypothèses des auteurs du rapport, si le Pref-Cemac par exemple était déroulé selon ce qui est projeté avec le lancement des projets intégrateurs dans la sous-région, la mise en œuvre effective de la SND-30 et la finalisation des chantiers de la CAN 2021 au Cameroun, avec tous les autres projets annoncés, en principe, le secteur des BTP ne devrait pas être sans relief.

Avec la situation internationale en crise, il est évident que la demande mondiale va se rétrécir et par conséquent, avoir un impact sur les exportations des matières premières de la zone, ainsi qu’un renchérissement des importations. Ce qui peut provoquer une inflation dans les pays, où les cris se sont fait entendre bien avant la guerre au sujet des produits de consommation courante et des matériaux de construction.

Tenez, du fait de l’embargo sur le gaz et le pétrole, ainsi que d’autres matières russes par les pays occidentaux, l’effet boomerang sur les entreprises européennes commence à se ressentir avec des fermetures pour l’instant temporaires de certaines entreprises et du chômage technique en conséquence. L’Italie avoue par exemple que si la situation perdure au-delà du mois de mars 2022, le pays n’aura plus assez d’énergie pour ses usines qui seront amenées à fermer. La France, le Royaume Uni et l’UE en général, qui est notre premier partenaire commercial, seront impactés et les effets de chaînes et en cascades ne vont pas manquer de souffler sur les économies fragiles comme celle de la zone Cemac.

De manière directe dans échanges avec la Russie et l’Ukraine, il est évident que le prix du blé va avoir des conséquences énormes sur un produit de grande consommation qui est la farine et ses produits dérivés. 

Quelles autres dimensions de la guerre en Ukraine doit-on également prendre en compte et qui auront un impact économique direct sur la sous-région?

En plus de ce que nous venons de signaler plus haut, il y aura certainement les effets de transfert dans les engagements financiers au titre des partenariats divers et de la coopération bilatérale et multilatérale. On peut citer notamment les décaissements en provenance de l’UE, qui est engagée en tant qu’entité politique (elle fournit des armes et de l’aide financière à l’Ukraine), des pays membres de l’UE, ainsi que ceux d’Amérique du Nord. Il est évident aujourd’hui que la priorité de ces pays va désormais à l’Ukraine et par une logique de discrimination, il pourrait y avoir une éviction des flux financiers, toutes natures confondues, vers l’Afrique au profit de l’Ukraine. Nous pensons aux IDE (quand il faudra reconstruire le pays après la guerre), aux prêts et flux d’aide au développement, dons et transferts divers.

À cela, on ne saurait passer par pertes et profits ou sous silence, l’impact psychologique et social des traitements parfois inhumains subis par les ressortissants des pays africains et de la Cemac en particulier dans les pays en guerre et les pays d’accueils des réfugiés. Cette situation sociale des émigrés va forcément impacter par exemple les transferts monétaires en provenance de cette diaspora vers les pays de la zone. Beaucoup de ressortissants africains vont se retrouver en situation précaire et de perte d’emplois. La Beac nous le dira certainement dans les prochains mois. 

Le prix du pétrole et du gaz a déjà justement atteint des niveaux record sur le marché international. Et l’embargo américain sur les hydrocarbures russes vient encore en rajouter aux craintes d’une plus grosse volatilité. D’abord, peut-on imaginer que cette situation profite finalement à la Cemac dont les pays sont presque tous, à des degrés divers, exportateurs de pétrole?

Je ne pense pas, parce que cette situation n’est pas un cas de hausse conjoncturelle souvent appelée «win-fall» qui peut se produire dans un climat mondial apaisé n’impliquant pas nos partenaires majeurs. Or dans ce cas, il s’agit d’une situation de guerre avec un horizon incertain quant à la durée et à son ampleur géographique. Les gains éventuels sur une flambée des cours du pétrole pour les pays exportateurs de la Cemac, ne vont pas compenser les pertes dues à la contraction de la demande, notamment en Europe et en Amérique du Nord, qui va se répercuter sur les pays de la sous-région.

Ensuite, comment de façon concrète, la hausse du prix du pétrole brut sur le marché international, peut-elle affecter négativement les secteurs primaire, secondaire et tertiaire de la sous-région et contribuer au contraire au ralentissement de l’activité économique en zone Cemac?

Nos économies sont essentiellement extraverties et ce sont nos partenaires qui sont concernées et/ou impactés: l’UE et ses États membres, la Russie et l’Amérique du Nord. La seule issue qui nous reste c’est les pays d’Asie, du Moyen- Orient et d’Amérique Latine. Il nous faut donc explorer et intensifier nos échanges avec ces régions pour ne pas sombrer totalement.

Au niveau national, elle peut entrainer une augmentation des prix à la pompe pour les produits pétroliers, ce qui est une menace forte et une source d’inflation. Au niveau international, le pétrole est un produit très sensible pour les industries et le transport/fret international. Toutes choses qui vont avoir un impact fort sur les prix des importations. Et c’est la balance commerciale qui continuera à se creuser dans le sens du déficit.

Les pays de la Cemac n’ont pas eu à l’Assemblée générale de l’Onu, la même position vis-à-vis l’opération russe en Ukraine. Et la Russie ne pèse pas non plus du même poids dans les échanges commerciaux avec ces six pays. Les Russes sont par exemple présents dans le secteur pétrolier et énergétique au Cameroun. Ils se déploient au plan sécuritaire en RCA avec un impact bénéfique sur l’économie de ce pays. Peut-on craindre que ces divergences n’affectent la coopération entre les pays de la sous-région au point de ruiner la bonne dynamique économique retrouvée?

L’intégration dans la sous-région souffre du déséquilibre des économies situées à des niveaux très hétéroclites. Une position commune de la Cemac n’est donc pas possible (pour l’instant comme l’UE l’a démontré). Ce qui fragilise le Commission en tant qu’exécutif politique, chaque pays regardant à priori ses intérêts. Le président de la Commission de la Cemac n’étant en réalité qu’un haut fonctionnaire communautaire et non une autorité politique, à l’instar de la Dame de l’UE qui prend des décisions supranationales. La solution à notre humble avis viendra du relèvement économique de chaque État, lorsque les besoins prioritaires de sécurité et de pauvreté seront atténués. Une union et une coordination des politiques est fragile entre les pauvres.

L’appropriation de la Zlecaf n’est encore qu’à un stade embryonnaire. Mais est-ce qu’une fois de plus, après la pandémie de Covid-19 et toutes les crises qui en ont résulté, il n’est pas temps de renforcer les échanges commerciaux intra africains et partant intracommunautaires? Et quel peut être le déclencheur?

On ne peut vendre que ce dont les autres ont besoin et qui satisfait leurs attentes. Il faut donc sortir des discours et des stratégies sur papier pour aller dans l’action. Être sur le terrain, produire, transformer selon les normes requises et créer des couloirs de commercialisation.

Le déclencheur, c’est l’action. Faire, puis évaluer. Corriger pour améliorer et avancer. C’est comme cela que l’on innove. From imitation to innovation. That’s the way to follow (De l’imitation à l’innovation, c’est la voie à suivre, Ndlr)!

 La Bourse des valeurs mobilières de l’Afrique centrale (BVMAC) est-elle également exposée aux aléas du marché international? Sinon, en quoi peut-elle être aussi une solution pour surmonter la nouvelle crise déjà à nos portes?

Combien d’entreprises de la sous-région sont-elles cotées à la BVMAC?

 

Interview menée par Théodore Ayissi Ayissi

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