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«Les Damnés de la terre» de Frantz Fanon

Tout ceci nous fait voir que la pensée de Fanon garde toute sa force et toute sa pertinence. La jeunesse noire devrait se l’approprier en lisant ou en relisant cet essai qui inspira bien des mouvements de libération d’autodétermination. L’ouvrage Les Damnés de la terre fut et continue d’être une source d’inspiration parce qu’il porte un message simple mais puissant: “Nous réaliserons tous ensemble et partout le socialisme révolutionnaire ou nous serons battus un à un par nos anciens tyrans.”

 

 

L’essai “Les Damnés de la terre” (Paris, Maspero, 1961) est moins connu que “Peau noire, masques blancs” où il est question de Nègres et de Négresses aliénés et complexés, c’est-à-dire peu fiers de la couleur de leur peau, de leur nez épaté, de leurs cheveux crépus, de leurs cultures. Et pourtant, c’est le livre où l’analyse de la psychologie du colonisé est la plus pointue et la plus brillante. C’est dans ce livre que le psychiatre martiniquais se livre véritablement en livrant son point de vue sur le colonialisme, la lutte anticolonialiste et les incohérences des Africains ayant succédé au colon dans la gestion de nos pays. C’est le livre qui, quoique destiné aux Noirs, parle du colon, de ses mensonges et crimes.

 

Jean-Paul Sartre l’a bien perçu dans sa préface qui interpelle ses compatriotes en ces termes: “Européens, ouvrez ce livre, entrez-y. Après quelques pas dans la nuit vous verrez des étrangers réunis autour d’un feu, approchez, écoutez: ils discutent du sort qu’ils réservent à vos comptoirs, aux mercenaires qui les défendent. Ils vous verront peut-être, mais ils continueront de parler entre eux, sans même baisser la voix. Cette indifférence frappe au cœur: les pères, créatures de l’ombre, vos créatures, c’étaient des âmes mortes, vous leur dispensiez la lumière, ils ne s’adressaient qu’à vous, et vous ne preniez pas la peine de répondre à ces zombies. Les fils vous ignorent: un feu les éclaire et les réchauffe, qui n’est pas le vôtre. Vous, à distance respectueuse, vous vous sentirez furtifs, nocturnes, transis: chacun son tour; dans ces ténèbres d’où va surgir une autre aurore, les zombies, c’est vous.”

 

France

Pourquoi le philosophe français accepta-t-il d’introduire le livre de Fanon? D’abord, parce qu’il appréciait la plume alerte et incisive de Fanon; ensuite, parce qu’il voulait faire comprendre à ses compatriotes que la politique coloniale française a échoué, que le Nègre s’est mis debout et que la violence qu’il a subie injustement se retournerait tôt ou tard contre l’ancien oppresseur.

Fanon considère que le colonialisme a lamentablement échoué parce qu’il est, non pas “une machine à penser, mais la violence à l’état de nature et [qui] ne peut s’incliner que devant une plus grande violence”. Pendant la campagne électorale de 2017, Emmanuel Macron, Yannick Jadot et Benoît Hamon estimaient que le temps était venu, pour la France, de regarder en face son passé, d’exprimer des regrets et de présenter des excuses aux peuples qu’elle a massacrés.

Fort bien si l’on pouvait passer des discours aux actes mais les Noirs devraient-ils se contenter de regrets et d’excuses alors que les Juifs continuent d’être dédommagés pour l’Holocauste? Pour Fanon, la réponse est “non” comme le montre le passage suivant: “ Le colonialisme et l’impérialisme ne sont pas quittes avec nous quand ils ont retiré de nos territoires leurs drapeaux et leurs forces de police. Pendant des siècles les capitalistes se sont comportés dans le monde sous-développé comme de véritables criminels de guerre.

Les déportations, les massacres, le travail forcé, l’esclavagisme ont été les principaux moyens utilisés par le capitalisme pour augmenter ses réserves d’or et de diamants, ses richesses et pour établir sa puissance. Il y a peu de temps, le nazisme a transformé la totalité de l’Europe en véritable colonie. Les gouvernements des différentes nations européennes ont exigé des réparations et demandé la restitution en argent et en nature des richesses qui leur avaient été volées.” Il ajoute: “Pareillement, nous disons que les États impérialistes commettraient une grave erreur et une injustice inqualifiable s’ils se contentaient de retirer de notre sol les cohortes militaires, les services administratifs et d’intendance dont c’était la fonction de découvrir des richesses, de les extraire et de les expédier vers les métropoles. La réparation morale de l’indépendance nationale ne nous aveugle pas, ne nous nourrit pas. La richesse des pays impérialistes est aussi notre richesse.”

Autant Fanon est contre des excuses sans réparation, autant il est opposé à ce qu’il nomme les “mimétismes nauséabonds”. Il est persuadé en effet qu’il faut quitter “cette Europe qui n’en finit pas de parler de l’homme tout en le massacrant partout où elle le rencontre, à tous les coins de ses propres rues, à tous les coins du monde”. Il poursuit: “Voici des siècles qu’au nom d’une prétendue aventure spirituelle elle étouffe la quasi-totalité de l’humanité… Alors, frères, comment ne pas comprendre que nous avons mieux à faire que de suivre cette Europe-là. Cette Europe qui jamais ne cessa de parler de l’homme, jamais de proclamer qu’elle n’était inquiète que de l’homme, nous savons aujourd’hui de quelles souffrances l’humanité a payé chacune des victoires de son esprit. Allons, camarades, le jeu européen est définitivement terminé, il faut trouver autre chose. Nous pouvons tout faire aujourd’hui à condition de ne pas singer l’Europe, à condition de ne pas être obsédés par le désir de rattraper l’Europe. Camarades, ne payons pas de tribut à l’Europe en créant des états, des institutions qui s’en inspirent.”

 

Spiritualité

Bref, Frantz Fanon appelle les Noirs à tourner le dos à l’Europe parce que cette dernière est en train de “basculer entre la désintégration atomique et la désintégration spirituelle”, parce qu’elle “ne s’est montrée parcimonieuse qu’avec l’homme, mesquine, carnassière homicide qu’avec l’homme”.

Difficile de terminer la présentation de “Les Damnés de la terre” sans citer la fameuse phrase de Fanon: “Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir.” Les Houphouët, Senghor, Sékou Touré, Modibo Keïta, Nyerere, Kenyatta, Nkrumah et Kaunda avaient pour mission d’arracher l’indépendance politique. La génération suivante devait conduire les pays africains à l’indépendance économique qui passe par une transformation de nos matières premières sur place. Pourquoi n’y est-elle pas parvenue? Qu’est-ce qui l’en a empêchée? Pour tout dire, a-t-elle trahi sa mission? Ceux qui, aujourd’hui, ont entre 20 et 40 ans ont compris que l’Afrique ne peut redevenir libre et souveraine que si le franc CFA est remplacé par une monnaie créée et gérée par les Africains, s’il n’existe plus de bases militaires françaises en Afrique, si l’Union africaine cesse d’être financée par l’Union européenne, si l’Afrique peut juger elle-même ses criminels, etc. Et il est heureux de constater que cette génération-là est déterminée à mener ce combat aussi loin que possible.

Tout ceci nous fait voir que la pensée de Fanon garde toute sa force et toute sa pertinence. La jeunesse noire devrait se l’approprier en lisant ou en relisant cet essai qui inspira bien des mouvements de libération et d’autodétermination. L’ouvrage Les Damnés de la terre fut et continue d’être une source d’inspiration parce qu’il porte un message simple mais puissant: “Nous réaliserons tous ensemble et partout le socialisme révolutionnaire ou nous serons battus un à un par nos anciens tyrans.”

Au total, il s’agit d’un livre iconoclaste et décapant. Et nul doute que Sartre en a fait la meilleure présentation en écrivant ceci: “Il ne dissimule rien; ni les faiblesses, ni les discordes, ni les mystifications. Ici, le mouvement prend un mauvais départ; là, après de foudroyants succès, il est en perte de vitesse; ailleurs, il s’est arrêté: si l’on veut qu’il reprenne, il faut que les paysans jettent leur bourgeoisie à la mer. Le lecteur est sévèrement mis en garde contre les aliénations les plus dangereuses: le leader, le culte de la personne, la culture occidentale et, tout aussi bien, le retour du lointain passé de la culture africaine: la vraie culture, c’est la Révolution; cela veut dire qu’elle se forge à chaud. Fanon parle à voix haute.”

 

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