Quel collégien ou lycéen de l’Afrique sub-saharienne n’a pas lu et aimé « Le Mandat » de l’écrivain sénégalais Sembene Ousmane ? Qui n’a pas prouvé la compassion pour Ibrahima Dieng, le personnage central de cette nouvelle ? Qui n’a pas été bouleversé et révolté par les humiliations que lui fait subir une administration corrompue et inutilement tatillonnée ? En effet, Dieng peine à entrer en possession de l’argent envoyé par son neveu qui vit et travaille en France. À certaines personnes, la somme de 25.000 F. CFA, le montant du mandat, pourrait paraître dérisoire, mais pas à Dieng qui est au chômage et croule sous les dettes. Le jour où le facteur lui apporte ce fameux mandat, Dieng croit revivre, car ce mandat lui permettra de payer ses dettes et de donner quelque chose à sa famille ainsi qu’à ses voisins. Mais les choses ne se sont pas passées comme il avait imaginé. En effet, lorsqu’il se rend à la poste pour retirer le mandat, un agent lui demande de fournir sa carte d’identité. Une pièce qu’il n’a pas et qu’il n’aura jamais car, en Afrique, avant d’obtenir ce genre de documents, il faut, à défaut d’avoir le bras long, graisser la patte ou mouiller la barbe à plusieurs personnes, ce qui ne peut se faire que si on a de l’argent et beaucoup d’argent. Un véritable cercle vicieux qui ruinera les immenses espoirs que Dieng avait placés dans ce mandat. En un mot, l’oncle d’Abdou ne verra jamais la couleur des 25. 000 F. CFA. avant d’obtenir ce genre de documents, il faut, à défaut d’avoir le bras long, graisser la patte ou mouiller la barbe à plusieurs personnes, ce qui ne peut se faire que si on a de l’argent et beaucoup d’ argent. Un véritable cercle vicieux qui ruinera les immenses espoirs que Dieng avait placés dans ce mandat. En un mot, l’oncle d’Abdou ne verra jamais la couleur des 25. 000 F. CFA. avant d’obtenir ce genre de documents, il faut, à défaut d’avoir le bras long, graisser la patte ou mouiller la barbe à plusieurs personnes, ce qui ne peut se faire que si on a de l’argent et beaucoup d’ argent. Un véritable cercle vicieux qui ruinera les immenses espoirs que Dieng avait placés dans ce mandat. En un mot, l’oncle d’Abdou ne verra jamais la couleur des 25. 000 F. CFA.
Tares et abus de l’administration
Sembene Ousmane se sert de cette triste histoire pour critiquer les tares et abus de l’administration et de la police sénégalaises ; mais aussi pour nous parler du petit peuple africain des villes, impuissant face à certains fonctionnaires sans cœur, ni éthique. Un peuple toujours humilié, grugé et brutalisé par des gens censés être à son service. Un peuple dont les conditions de vie ne se sont que légèrement améliorées après le départ du colon. Un peuple qui continue de broyer du noir malgré les belles promesses des politiciens qui ne leur rendent visite qu’à l’approche des élections.
Au-delà du Sénégal, c’est donc l’Afrique des indépendances qui est clouée au pilori par Sembene Ousmane dans «Le Mandat» publié en 1965 par Présence Africaine, la maison d’édition de son compatriote Alioune Diop qui travailla et se dépensa beaucoup pour le rayonnement des littératures et cultures africaines.
Quand on relit cette nouvelle et qu’on regarde comment nos pays sont gérés actuellement, comment le petit peuple y est traité, on a l’impression que l’Afrique n’a pas beaucoup changé, dans la mesure où les paysans continuent d’ être méprisés et exploités, dans la mesure où les petits fonctionnaires font toujours preuve d’arrogance et de cupidité, dans la mesure où, partout règnent le faux et la tricherie, toutes choses qui font dire à Ibrahima Dieng que «l’honnêteté est un délit de nos jours ».
Sembene est un de mes auteurs favoris, parce qu’il n’a pas vendu son âme au diable pour devenir riche et puissant, parce qu’il ne s’est pas contenté de stigmatiser les abus et exactions de la colonisation, ni de chanter sans cesse que l’Afrique est «le berceau de l’humanité». En effet, dès qu’il réalisa que les fausses indépendances des années soixante tardaient à déboucher sur la construction de routes, d’hôpitaux et d’écoles dignes de ce nom, sur la bonne gouvernance, sur le respect des deniers publics et sur l « Amélioration de la situation des paysans et ouvriers, il a pris sa plume pour crier et protester ».
Si j’aime le lire, c’est aussi parce qu’il ne s’est jamais mis au service de la Françafrique que feu François-Xavier Verschave décrivait comme « un système caractérisé par des pratiques de soutien aux dictatures, de coups d’ États et d’assassinats politiques mais aussi de détournements de fonds et de financement illégal de partis politiques » (cf. F.-X. Vershave, « La Françafrique : le plus long scandale de la République », Paris, Stock, 1998). Le 19 janvier 2011, quatre (4) penseurs africains ˗le Camerounais Achille Mbembe, le Béninois Paulin Hountondji, le Congolais Élikia M’Bokolo et le Sénégalais Mamadou Diouf˗ donnèrent un grand coup de main à la Françafrique en cosignant une tribune publiée par des universitaires français dans « Le Monde ». En endossant cette tribune qui présentait à tort Laurent Gbagbo comme un « chef ethnocentriste qui refuse sa défaite » sans apporter la moindre preuve, ils apportaient leur prudence à Sarkozy qui s’apprêtait à bombarder la Côte d’Ivoire et à installer Dramane Ouattara à la tête de la Côte d’Ivoire. Sembene n’aurait jamais participé à cette entreprise criminelle. Le natif de Ziguinchor (Casamance), qui étudiait le cinéma à Moscou et quitta ce monde le 9 juin 2007, ne faisait pas partie de ces Nègres complexés et cupides qui se joignaient facilement au Blanc pour diaboliser ou assassiner les résistants africains. C’est sans doute pour cette raison ˗le refus de pactiser avec les ennemis ou bourreaux de l’Afrique ̵̵̵ que lui et Mongo Beti ne reçurent jamais de prix littéraire en France. Feu Bernard Zadi Zaourou ne disait-il pas que les prix littéraires ont un prix ? Traduction : pour recevoir un prix littéraire en France, il y a un prix à payer.
La jeunesse africaine, en quête d’hommes et de femmes dignes et libres, sera édifiée en lisant Sembene Ousmane. Elle puisera des valeurs dans «Le Mandat» qui campe admirablement des personnages aussi hilarants que Mety et Aram (les deux femmes d’Ibrahima Dieng), le facteur Bah, le boutiquier Mbarka ou le pique-assiette Gorgui Maïssa.
Jean-Claude DJEREKE