«Le Jeune homme de sable» de Williams Sassine

Comme on peut le remarquer, il n’y a pas que la révolte qui s’exprime dans le troisième roman de Sassine. On y voit aussi de la tendresse et de l’espoir pour le peuple noir exploité, affamé et brutalisé par des gens qui étaient censés le servir et lui apporter un peu de bonheur. Car tel est le but premier de la politique: prendre soin du peuple, améliorer ses conditions de vie et de travail.

Williams Sassine

Ce roman publié en 1979 par Présence Africaine est d’abord un cri de révolte. Il s’agit de la révolte d’Oumarou, le héros. Celui-ci ne supporte pas du tout la manière dont le pays est dirigé. En fait, le président est un homme tyrannique et paranoïaque. Oumarou trouve injuste qu’il supprime l’internat accueillant les enfants démunis. Il estime que la sécheresse qui frappe le pays, tout le monde l’a vue avancer et tout le monde l’a laissée avancer”. Il ne croit pas à la fatalité. Comme il n’est pas un homme qui se contente d’être mécontent et de se plaindre dans son coin, Oumarou va participer à des manifestations contre le régime. Il fait du bruit en classe, écrit des poèmes critiques, ce qui lui vaudra d’être expulsé du lycée. Son père, qui est député, interviendra pour le faire libérer. Il lui conseillera de «se ranger du côté de ceux qui gardent leurs dents intactes, de rester dans son milieu, de cesser de faire le fou, de donner l’exemple car il est son fils aîné» ; mais Oumarou préfère écouter Tahirou, le proviseur du lycée, qui est opposé au «Guide» et qui, pour cela, sera arrêté et emprisonné. Oumarou se sentait si proche de Tahirou qu’il pouvait lui déclarer: «La bête, cette révolte intérieure contre l’injustice, elle t’a habité jusqu’au jour où elle t’a donné le courage de cracher sur les promesses dont le Guide continue à couvrir notre cité. Nous savons, tous les deux, qu’elle habite tous ceux qui doutent d’hier et de demain». La même bête habitait Oumarou. Elle lui «disait qu’être le meilleur, dans une cité affamée et assiégée par le désert, c’est se rapprocher des autres dans la commune souffrance». C’est elle qui le poussait à «crier des choses entendues par-ci, par-là ou à affirmer qu’il est temps de “rejeter notre système d’enseignement centré sur la recherche du bonheur individuel et égoïste avec ses prix, ses diplômes».
Oumarou, Tahirou et d’autres assoiffés de justice aimeraient voir ce pays d’Afrique (qui ressemble à la Guinée d’avant 1984) être débarrassé de l’homme qui règne par la terreur et qui vit dans un luxe insolent avec ses ministres et directeurs pendant que le peuple croupit dans la misère. Il y aura de nombreuses tentatives pour le dégager et mettre fin à la souffrance du peuple ; mais elles échoueront toutes. Oumarou ne cède pas pour autant au découragement. Il compte sur la jeunesse. Il garde l’espoir, mince mais pur, que cette génération ne reproduira pas les erreurs et hérésies des pères. Il croit que c’est elle qui apportera le changement, qui fera la révolution, même si les jeunes sont aussi imprévisibles que les vents de sable.

Le sable est perçu par bien des gens dans ce roman comme le symbole de la fragilité. Pour eux, il faut donc s’attacher à Dieu, le prier car il est l’alpha et l’oméga, l’omnipotent et l’omniscient. Oumarou raconte que ses neveux lui ont proposé un jour de prier souvent et qu’Allah l’aiderait. «Je leur répondis que j’attendais de connaître Allah. Alors le plus âgé des deux m’a dit : Oncle, quand tu étais dans le ventre de ta mère, tu pouvais avec tes pieds, tes mains, ta tête, la toucher. Tu ne la voyais pas mais elle était vivante. C’est après qu’on eut coupé ton nombril pour te détacher de l’obscurité de ses entrailles que tu as pu la voir. Il en va de même pour Allah. Nous sommes tous dans son sein, mais on ne peut pas le voir encore. Plus tard, oui, lorsque la mort viendra couper le lien qui t’attache à l’obscure existence terrestre… La vie, c’est le nombril qui rattache à cette obscurité.’ Cette comparaison m’a beaucoup aidé à comprendre la limite de l’homme.»
Comme on peut le remarquer, il n’y a pas que la révolte qui s’exprime dans le troisième roman de Sassine. On y voit aussi de la tendresse et de l’espoir pour le peuple noir exploité, affamé et brutalisé par des gens qui étaient censés le servir et lui apporter un peu de bonheur. Car tel est le but premier de la politique: prendre soin du peuple, améliorer ses conditions de vie et de travail.
Williams Sassine est fils d’un Libanais et d’une Guinéenne. Après ses études secondaires au lycée de Conakry, il se rend en France pour étudier les mathématiques. Un diplôme d’ingénieur en écologie tropicale et une licence en mathématiques en poche, il retourne en Guinée où il participe en 1961 à la grève des lycéens de Conakry ; mais il n’y reste pas longtemps. Il s’exile au Congo, au Gabon, au Niger, puis en Mauritanie. Il rentre en Guinée après le coup d’État de 1984. Il écrit dans plusieurs journaux de Conakry dont «Le Lynx» où il anime une chronique avant de s’éteindre, le 9 février 1997. Il avait 53 ans.

Jean-Claude DJEREKE

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