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«Le Devoir de violence» de Yambo Ouologuem

Yambo Ouologuem

Le principal enseignement que je tire de ce brûlot, c’est que le fait d’aimer l’Afrique et de se battre pour elle ne devrait pas nous empêcher d’en voir et d’en signaler les travers et les dérives. Car tout n’est pas et ne peut pas être parfait dans le comportement de nos dirigeants, dans nos partis politiques, religions ou ethnies. Il est nécessaire que nous soyons lucides, critiques et objectifs ; il est important que nous puissions allier passion et esprit critique, tuer en nous la lâcheté et le fanatisme qui sont la marque des gens médiocres et superficiels.

 

Peu d’Africains ayant fait des études secondaires ou supérieures connaissent Yambo Ouologuem. Même ceux qui s’intéressent à la littérature africaine ne savent pas toujours de quel pays il est originaire ni ce qu’il a écrit. Bref, Ouologuem n’est pas aussi célèbre que Chinua Achebe, Bernard Dadié, Ferdinand Oyono, Aké Loba, Ousmane Sembène ou Mongo Beti. Et pourtant, il a reçu, en 1968, le prix Renaudot, un des grands prix littéraires français, pour avoir publié, la même année, un livre iconoclaste, c’est-à-dire aux antipodes de ce qui était admis à cette époque .

Différence
Pourquoi « Le Devoir de violence » était-il considéré comme un livre différent des autres ? En quoi innovait-il ? Qu’est-ce qui distinguait le Malien des autres auteurs africains ? Revenons un peu en arrière : avant la parution du roman de Ouologuem, que disait l’Occident sur l’Afrique ? Hormis l’ethnologue allemand Leo Frobenius qui définit l’Afrique comme un continent hautement civilisé (« Histoire de la civilisation africaine », 1903) l’Occident, arrogant et ignorant, soutient que les Africains n’ont rien inventé, qu’ils sont dépourvus d’écriture et de civilisation alors que l’écriture bamoun (Cameroun), pour ne citer que cet exemple, existait depuis la fin du 19e siècle. Ainsi, Hegel parle dédaigneusement d’une Afrique au seuil, en marge et dans l’enfance de l’Humanité. Pour sa part, le Français Gobineau considère que les Africains sont d’une race inférieure (cf. « Essai sur l’inégalité des races humaines », Paris, Librairie Firmin Didot Frères, 1851). Autant d’inepties qui seront battues en brèche par la Négritude, concept forgé par le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, le Guyanais Léon-Gontran Damas et le Martiniquais Aimé Césaire. Des chercheurs sérieux et accomplis comme Cheikh Anta Diop et Joseph Ki-Zerbo vont plus loin en démontrant par A+B que l’Afrique avait une organisation politique et des savants avant sa rencontre avec l’Occident. À leur suite, d’éminents hommes de lettres, sociologues et historiens africains rabattront le caquet à l’inculte de Nicolas Sarkozy qui avait osé affirmer à Dakar en 2007 que l’homme africain n’était pas assez entré dans l’Histoire. 

Vérité historique
Nul doute qu’il était bon et juste de rétablir cette vérité historique mais la tentation était en même temps réelle d’idéaliser « cette Afrique-là » (je reprends ici le titre d’un roman du Camerounais Jean Ikelle Matiba), de laisser croire que tout y allait bien, qu’on y vivait heureux, en un mot qu’aucun problème ne s’y posait. Certains romanciers comme Camara Laye dans « L’Enfant noir » ont succombé à cette tentation en donnant de l’Afrique une image bucolique ou paradisiaque. Mongo Beti lui répondit sèchement en l’accusant de ne parler que de « fêtes stupidement interminables, de se complaire dans l’anodin et surtout le pittoresque le plus facile, d’ériger le poncif en procédé d’art ». Stanislas Adotevi, lui, s’en prit violemment à Senghor, insistant sur le fait qu’une littérature en dehors du combat révolutionnaire était sans intérêt pour les Africains exploités et dominés par la France. Le philosophe Marcien Towa se demandait, quant à lui, si la négritude senghorienne n’était pas une servitude masquée.

Démystification
Mais Ouologuem est indiscutablement celui qui alla le plus loin dans la démystification de cette Afrique idyllique. De quelle manière ? En donnant à voir des Nègres complices des colons, des rois et chefs sanguinaires comme les Saïfs, conquérants et maîtres du mythique empire Nakem où se pratiquait, au 13e siècle, l’esclavage. Si « Le Devoir de violence » ne se montre peut-être pas tendre avec cette Afrique innocente, le roman fustige aussi le colonialisme occidental et les prétendus spécialistes de l’Afrique pompeusement baptisés africanistes. C’est donc tout le monde – Noirs et Blancs – qui en prend pour son grade dans ce roman traduit en neuf langues. Comme l’ont bien perçu Alain Rouch et Gérard Clavreuil, « L’auteur malien se refuse à faire le procès du seul colonialisme et montre que les violences et les atrocités de toutes sortes ont parsemé l’histoire de l’Afrique ». Ils ajoutent : « Il n’épargne rien, ni personne en affirmant (au sujet des religions) que l’Islam s’est servi de l’animisme pour exploiter la naïveté du peuple et que le Christianisme a encouragé les Noirs à se soumettre au pouvoir temporel tout en pillant l’Afrique de ses créations artisanales les plus authentiques.

« Le Devoir de violence » n’a pas eu le succès qu’il méritait, probablement parce qu’il fut retiré assez vite de la vente par Seuil (l’éditeur), après que l’auteur fut accusé par un certain Éric Sellin d’avoir plagié « Le dernier des Justes » d’André Schwarz-Bart. Il faudra attendre 2003 pour que, grâce à la maison d’édition « Le Serpent à Plumes », le livre soit de nouveau accessible aux lecteurs.

Enseignement
Le principal enseignement que je tire de ce brûlot, c’est que le fait d’aimer l’Afrique et de se battre pour elle ne devrait pas nous empêcher d’en voir et d’en signaler les travers et les dérives. Car tout n’est pas et ne peut pas être parfait dans le comportement de nos dirigeants, dans nos partis politiques, religions ou ethnies. Il est nécessaire que nous soyons lucides, critiques et objectifs ; il est important que nous puissions allier passion et esprit critique, tuer en nous la lâcheté et le fanatisme qui sont la marque des gens médiocres et superficiels.

En un mot, Ouologuem, qui tira sa révérence le 14 octobre 2017 à Sévaré, invite chaque Africain à se faire violence pour dire ce qu’il pense réellement de ce qui se passe autour de lui. Car c’est à cette condition que nous serons vraiment utiles à nos chefs, partis, communautés religieuses et pays. Il était fils unique et avait vu le jour le 22 août 1940 à Bandiagara (dans le pays dogon). Docteur en sociologie, il enseigne, de 1964 à 1966, au Lycée de Charenton-le-Pont (Val-de-Marne).

Jean-Claude DJEREKE

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