INTERVIEWPANORAMA

«Sans l’Afrique centrale, il n’y aurait jamais eu de France libre»

Le président Macron s’est rendu à Londres pour remercier les Anglais. Il n’est pas venu à Douala, Brazzaville ou Dakar, alors que Douala a fait de loin plus que Londres pour la France

Le représentant de l’Union des populations du Cameroun (UPC) en Afrique australe et centrale est également président de l’Alliance patriotique, une plateforme de partis et d’organisations ayant pour objectif la fin de la guerre dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest Cameroun. En homme politique, il dévoile l’hypocrisie de la France dans la commémoration des 80 ans de libération de Paris du Nazisme pendant la Seconde Guerre mondiale, et démontre le rôle salvateur des troupes de l’Afrique centrale (Afrique équatoriale française) et du Cameroun.

 

Daniel Yagnye Tom

Vous êtes président du mouvement citoyen Alliance patriotique. Quelle autre casquette avez-vous?
Je suis neuropsychiatre exerçant dans ma clinique à Luanda. Upéciste depuis 1977, ancien représentant spécial de l’Union des populations du Cameroun (UPC) en Union soviétique et dans les pays de l’Europe de l’Est de 1982 à 1986. À partir de 1986, représentant spécial de l’UPC en Afrique australe et secrétaire général adjoint de l’UPC de 2004 à 2008. Actuellement, représentant de l’UPC en Afrique australe et centrale, président de l’Alliance patriotique qui est une plateforme de partis et d’organisations ayant pour objectif la fin de la guerre au Cameroun occidental et la solution du contentieux historique national.

Certaines informations vous disent en exil. Est-ce exact? Oui, je suis exilé politique depuis mai 1986.

Quelles en sont les raisons?
Comme je viens de le dire, je suis Upéciste. Or, malgré les apparences et tout le folklore, l’UPC, la vraie, n’a pas encore d’existence légale dans le pays. Le gouvernement ayant créé son UPC qu’il ne laisse d’ailleurs pas fonctionner normalement puisqu’elle est actuellement bicéphale.

Au secrétaire général élu Baleguel, le ministre de l’Administration territoriale a nommé un deuxième secrétaire général Bapooh Lipot. Nous, les upécistes d’avant 1991 n’avons pas d’existence légale. Je souhaiterais bien rentrer dans mon pays si les conditions sont réunies pour une expression libre des citoyens. L’espace civique étriqué inquiète et on ne peut, dans ces conditions, servir aisément notre patrie. Il m’est donc impossible de rentrer, malgré ce désir ardent.

Nous connaissons votre leadeurship et votre combat pour la reconnaissance des faits historiques du 27 août 1940 dans l’Afrique équatoriale française. Quelle appréciation avez-vous de la convocation par le président congolais Denis Sassou Nguesso d’un colloque international en octobre prochain sur les 80 ans de l’entrée en scène des troupes africaines dans la Deuxième Guerre mondiale et les 60 ans d’indépendance des pays d’Afrique francophone?

Parler en même temps des 80 ans de l’entrée en guerre des pays africains dits «francophones» et des 60 ans de leurs indépendances est en réalité évoquer les deux principaux volets du contentieux historique franco-africain, c’est-à-dire ce litige susceptible d’être porté devant l’ONU et devant la justice internationale. Il s’agit d’un contentieux constitué par les actes délictueux commis dans les territoires africains par la France en dehors du cadre légal des Nations unies, dans la poursuite de son principal objectif qui était de créer des États africains complètement sous son influence. Parmi ces crimes, on peut citer les disparitions de Barthélemy Boganda, Um Nyobe, Felix Moumié, Sylvanus Olimpio… ainsi que les multiples ingérences militaires et les génocides. Espérons que la convocation de ce colloque par le président Sassou Nguesso sera une grande opportunité pour nous réapproprier l’histoire et le destin de la sous-région.

L’Afrique centrale, au travers de l’Afrique équatoriale française, a été le poumon de la libération de la France face à l’occupation nazie et facilitée par la collaboration. Est-ce une vue de l’esprit ou un make-up réactionnaire des faits historiques?
L’Afrique centrale n’a pas été seulement le poumon de la libération de la France. Sans l’Afrique centrale, il n’y aurait jamais eu de France libre ni cette France que nous connaissons aujourd’hui. Un mois après son appel de juin à partir de Londres, le général de Gaulle était presque seul. Pourtant, des milliers de Français résidaient à Londres. Son appel était donc largement ignoré par les Français. Il ne s’agit donc pas de vue de l’esprit, mais de la pure vérité. C’est à partir de Douala, le 27 août 1940, que renaissent l’espoir et la matérialisation de la France libre. C’est à partir de Douala que se feront les ralliements de Bangui, Brazzaville et Libreville. Ce sont nos pays qui ont supporté humainement, matériellement et financièrement cette guerre jusqu’en 1943 où l’Afrique occidentale et le Maghreb sont entrés en guerre.

Vous indiquez qu’à travers la déclaration du capitaine Philippe de Hauteclocque alias Leclerc (général), le Cameroun devrait comptabiliser 80 ans d’indépendance le 27 août 2020. Le président Paul Biya est invité au colloque de Brazzaville à l’effet de délivrer un message. À quel message vous attendez-vous?
Vous comprenez certainement la difficulté pratiquement insurmontable que vous me posez à propos du message du président Paul Biya. Qui suis-je? Je ne vais donc pas m’y aventurer. Par contre, à mon avis, ce serait une souveraine occasion de dire la vérité sur le 27 août 1940 à la jeunesse africaine. Afin de conquérir l’adhésion des Camerounais dans la guerre, Leclerc a proclamé, au nom de la France, l’indépendance économique et politique du Cameroun avec toutes les implications et conséquences que cela devrait imposer à l’issue de cette guerre.

À mon humble avis, au lieu d’être inquiets, les milieux universitaires devraient plutôt être obnubilés par l’ardent désir de relever le défi de la réécriture de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale. Il s’agit non seulement d’une injustice, mais d’une insulte aux sacrifices et au sang versé par les Africains lors de cette guerre. Vous ne rencontrerez nulle part le nombre de Camerounais, Congolais, Centrafricains, Gabonais, Tchadiens, Sénégalais, Maliens, Burkinabè, Nigériens… tués pendant cette guerre, alors que nous avons eu des centaines de milliers de morts.

Un moment aussi pour rappeler l’ingratitude de la France, car dernièrement, le président Macron s’est rendu à Londres pour remercier les Anglais. Il n’est pas venu à Douala, Brazzaville ou Dakar, alors que Douala a fait de loin plus que Londres pour la France. D’autre part, lors des commémorations du 27 août 1940, l’une des recommandations retenues par l’Alliance patriotique est de proposer à l’État camerounais la création par les pays africains ayant participé à la Deuxième Guerre mondiale d’un organisme panafricain ayant pour objectifs la recherche de la vérité et de la justice historiques. En effet, à l’heure actuelle, le rôle capital de l’Afrique pendant cette guerre n’est pas connu ni reconnu; que dire des réparations matérielles et financières.

Dans les milieux universitaires, on s’inquiète de la portée du colloque de Brazzaville. Est-ce une polémique de plus? Quelle réparation serait digne des pays d’Afrique centrale, 80 ans après l’engagement de ses fils pour la libération de la France?
À mon humble avis, au lieu d’être inquiets, les milieux universitaires devraient plutôt être obnubilés par l’ardent désir de relever le défi de la réécriture de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale. Il s’agit non seulement d’une injustice, mais d’une insulte aux sacrifices et au sang versé par les Africains lors de cette guerre. Vous ne rencontrerez nulle part le nombre de Camerounais, Congolais, Centrafricains, Gabonais, Tchadiens, Sénégalais, Maliens, Burkinabè, Nigériens… tués pendant cette guerre, alors que nous avons eu des centaines de milliers de morts.

Quel mépris pour la vie de l’Africain!!! Bien au contraire, tout a été fait dans nos pays pour créer des conditions générales d’une amnésie collective. Allez ailleurs dans le monde et vous trouverez des musées, des places, des monuments sur cette guerre. À Moscou par exemple, le nom d’un participant vous permet de savoir les lieux où il a combattu. S’il est mort au combat, vous aurez les détails des circonstances de cette mort. La dette et les réparations sont un problème réel et objectif. Dans ce chapitre, l’implication des universitaires est capitale afin que justice soit réellement faite. À part l’aspect moral et psychologique avec d’importantes implications diplomatiques à l’instar de la relation diplomatique franco-allemande de l’après-guerre… contrairement à ce qui est vécu, l’histoire des relations franco-africaines ne met pas le rapport de force en faveur de la France; une correction s’impose. Quant à la dette matérielle proprement dite, il s’agirait, à base des données réelles objectives, de calculer ce que doit la France à notre continent.

Les États membres de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) sont en pleine réflexion sur l’avenir de leur monnaie commune, après l’arrivée à échéance des accords monétaires. Est-ce là une occasion de poser les bases d’une autonomie monétaire des pays de cette sous-région?
En vérité, le temps n’est plus à la réflexion, car c’est de notre souveraineté monétaire qu’il s’agit. Il est regrettable pour nos populations, pour ne pas dire malheureux, que, 60 ans après les indépendances, notre sous-région, pourtant si riche, ait été incapable de se doter de sa propre monnaie. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. L’heure est non seulement venue pour notre souveraineté régionale monétaire, mais également politique, alimentaire, économique, sanitaire, etc.

Interview réalisée par

Rémy Biniou

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *