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‘’La poste survivra…’’

Younouss Djibrine

Même les pays champions du libéralisme n’ont pas ouvert leur marché avant de l’avoir encadré

Le Camerounais est depuis bientôt six ans à la tête du secrétariat général de l’Union panafricaine des postes (Upap). Du haut d’une quarantaine années d’expérience, il croit en la résurrection du secteur dans la sous-région Afrique centrale. Diagnostic et prescription. 

 

Quel état des lieux dressez-vous de l’environnement de la poste en Afrique ?
A l’image de la poste mondiale, la poste africaine est à la croisée des chemins. Car depuis une vingtaine d’années, on assiste en même temps à une baisse continue de l’activité de courrier traditionnel et à une croissance exponentielle des colis. Cette dernière activité était pratiquement morte il y a 20 ans. Ceci est dû à l’explosion du commerce électronique.

Ce qui prouve que la poste n’a plus le monopole de la communication. Victime de la libéralisation imposée, la poste a été laissée aux oubliettes volontairement pour les partenaires au développement mais inconsciemment pour les gouvernements africains. Non seulement les réformes économiques engagées dans nos Etats africains ne lui ont pas prévu un cadre de déploiement de ses activités, mais on a cessé d’y investir. Conséquence le réseau postal africain est vétuste.

La double concurrence que subit la poste africaine est une autre pesanteur. Il s’agit de la technologie et des acteurs privés. Mais pour moi, la technologie ne peut être vue comme de la concurrence. Ce n’est qu’un outil qui peut améliorer les services. Pour ceux qui est des acteurs privés, ils sont certes venus dans un marché concurrentiel mais les postes publiques africaines n’étaient pas prêtes à cette ouverture. On n’a pas aménagé des cadres règlementaires, on n’a pas modernisé l’outil de production, on n’a pas procédé au renforcement des capacités des ressources humaine. La concurrence privée a donc profité de cette situation.

Toutefois, il y a eu des réactions. Tout le monde n’est pas dans une situation morose. De manière générale, beaucoup d’initiatives émergent dans les pays africains permettant de croire qu’il y a une prise de conscience. Pour que la poste reprenne sa place de facilitateur des échanges et des communications entre les hommes.

En Afrique, de grosses multinationales exercent une forte concurrence sur les entreprises nationales. Ne faudrait-il pas y répondre ?
Toutes les postes publiques font partie du réseau postal mondial regroupé au sein de l’Union postale universelle (Upu) qui est une institution spécialisée des Nations unies en charge des services postaux dans le monde. C’est une institution intergouvernementale car ce sont les Etats qui en sont les membres fondateurs. L’article premier de la convention créant l’Upu énonce que tous les pays membres constituent un seul territoire postal. Un courrier est déposé dans un pays A, il transite dans un pays B et est distribué dans un pays C.

Tous gouvernés par une même convention. Dans ce territoire, il y a des provinces ou des régions que sont des pays industrialisés qui trouvent un malin plaisir à faire de la concurrence déloyale à d’autres démembrements de ce territoire. Des filiales de postes publiques étrangères sont en effet présentes sur le sol africain. On peut évoquer DHL (Allemagne), Chronopost (France), TNT (Hollande).

En fait l’Upu a mis sur pied en 1989 un service express universel appelé EMS (Express Mail Service). Chaque pays à travers les opérateurs publics disposait du monopole de son application sur son territoire. Très vite, les opérateurs privés ont été mis à mal. En Europe, plusieurs se sont fait racheter par les postes publiques (DHL, TNT et Chronopost).Ces opérations de rachat ont permis à ces nouveaux mastodontes de sortir de la marque EMS et de se positionner comme collecteur de courrier dans nos pays court-circuitant ainsi nos postes nationales. Résultat, vous avez des postes nationales étrangères qui collectent et distribuent le courrier en Afrique. Grace à leurs moyens considérables, elles transportent elles-mêmes le courrier en destination et en provenance de l’Afrique.

La même concurrence s’opère dans le transfert d’argent que beaucoup assimile à un service nouveau. Or, il s’agit toujours du mandat poste. Le transfert d’argent dont on parle aujourd’hui c’est l’envoie et la réception d’argent sans disposer d’un compte. Ce qui est la définition littérale du mandat poste. Dans ce secteur, la concurrence est à la fois internationale (Western Union) et nationale (Express Union). Tout cela est naturellement une résultante d’un vide juridique. Toutes les conditions étaient donc réunies pour que la poste soit dans cette situation de désuétude. Les réponses sont donc dans ce développement.

…Le Cameroun a une loi qui date de 2006 mais elle n’est pas mise en application. Des forces occultes se sont mises en travers de sa mise en œuvre pour leurs propres intérêts. Pourtant, le but final de la loi postale est de protéger le service public aux citoyens…

L’environnement postal de l’Afrique centrale se caractérise par la non-convergence des mécanismes d’encadrement et de réglementation, l’étroitesse du marché… Y-a-t-il un avenir pour la poste dans cette région ?
La poste a survécu à beaucoup de choc. Elle survivra parce que tant qu’il y aura le besoin de communiquer entre les hommes, le besoin d’échanger des biens, des capitaux et des informations, il y aura toujours la poste. C’est sa raison d’être. La preuve en est que sur le marché camerounais, on recense plusieurs centaines d’opérateurs privés. Si la poste publique a des obligations de service public et de service universel, que cherchent les autres opérateurs privés qui mènent des activités postales si le marché n’est pas intéressant ? Il y a un proverbe de la forêt qui dit «si quelqu’un se courbe c’est qu’il y a quelque chose à ramasser».

C’est vrai qu’en Afrique centrale la situation est pire qu’ailleurs. Et le secteur postal n’est pas la seule victime. C’est de notoriété publique : nous sommes en retard sur plusieurs tableaux. C’est ma région, je peux en parler sans provoquer d’incident diplomatique. L’Afrique centrale est le maillon le plus faible des plus faibles. Parlons de l’encadrement réglementaire. J’ai évoqué l’ouverture du marché postal sans préalable. Dans certains pays européens et même aux Etats-Unis, certains pans du marché postal sont fermés aux opérateurs privés. Même les champions du libéralisme sont lucides à ce niveau. Le récent du sommet du G7 nous montre que lorsque des intérêts ne sont pas convergents, les penseurs du libéralisme ne parlent pas d’une même voix. Mais nous, on veut nous rendre plus royaliste que le roi !

Le problème de l’Afrique centrale est donc d’avoir complétement libéralisé l’activité postal ?
J’ai une expérience modestement suffisante dans la poste internationale qui me permet de savoir que même les pays champions du libéralisme n’ont pas ouvert leur marché avant de l’avoir encadré et avant d’avoir préparé opérationnellement et commercialement leur opérateur public. C’est sur 20 ans que l’Union européenne a fini de libéralisé le marché postal. Ils ont échelonné les ouvertures sectorielles et ont souvent réajusté les échéances de démantèlement. Simplement parce que leurs opérateurs publics n’étaient pas prêts.

Les nôtres, personne ne s’est occupé d’eux. Et lorsque le marché a été libéralise, il s’est trouvé que les opérateurs privés n’avaient pas la préoccupation de servir l’ensemble des citoyens. Ils sont entrés dans nos marchés et ils ont fait de l’écrémage. Ils s’installent dans les segments porteurs où il y a un gros volume à capter et où la charge d’exploitation n’est pas importante. Généralement c’est dans les capitales (politique, économique) et dans les grandes villes, où il y a des aéroports. La petite collecte de l‘arrière-pays et du citoyen lambda n’était pas leur souci. Le secteur public universel a été mis à mal. Des citoyens ont été exclus. Le droit à la communication à travers la communication postale a été baffoué et il y a eu entorse sur les droits de l’Homme.

Or avec la gangrène Afrique, des influences ont empêché la prise de mesures de régulation. Le Cameroun a une loi qui date de 2006 mais elle n’est pas mise en application. Des forces occultes se sont mises en travers de sa mise en œuvre pour leurs propres intérêts. Pourtant, le but final de la loi postale est de protéger le service public au citoyen. Elle permet à l’opérateur public de remplir des obligations précises et exigeantes dans un marché concurrentiel. La loi postale camerounaise a inspiré plusieurs pays qui l’ont déjà mis en œuvre (Sénégal, Burundi). Même des pays non africains s’en sont inspirés. Mais en Afrique centrale, aucun pays n’y est parvenu en interne. Ils attendent de voir comment le Cameroun va y parvenir. Mécaniquement, il n’existe pas de stratégie ou de réglementation au niveau régional. La convention de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac) a exclu les opérateurs publics postaux dans son champ d’action.

…Il n’existe pas de stratégie ou de réglementation au niveau régional. La convention de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac) a exclu les opérateurs publics postaux dans son champ d’action… 

A travers ses services et produits, la poste peut concourir à une meilleure inclusion financière et territoriale en Afrique centrale. Quelle en est l’opérabilité au regard de la concurrence des solutions technologiques telles que les Fintech et la relative bonne implantation du système financier classique ?
La poste est une infrastructure de base essentielle, incontournable pour l’inclusion socio-économique. Pas seulement l’inclusion financière. Parce que le bureau de poste est un guichet unique pour offrir des services publics. Et je peux me réjouir qu’il en existe déjà en Afrique. Le seul bureau de poste peut remplir le rôle de 10 bâtiments d’administration publique. C’est le cas avec Guduma Center en Afrique de l’Est. La même solution est implémentée en Tunisie, en Ethiopie, au Malawi.

Elle permet de souscrire à une assurance, payer ses impôts, régler ses factures de consommation (eau, électricité, télévision…), s’inscrire sur les listes électorales, établir une pièce d’identité, établir un acte de naissance, contrôler sa tension artérielle…Ce qui offre une économie d’échelle à l’Etat qui délivre plusieurs services en un lieu, dans un bâtiment, avec un branchement électrique… Pour les citoyens, c’est plusieurs services en un seul et même endroit. Ce qui augure un gain de temps et une réduction des dépenses et des efforts de déplacements.

En matière d’inclusion financière, la poste obéit à une seule règle sur l’ensemble du territoire mondial. C’est le service de proximité. Contrairement aux banques dont les tarifs peuvent êtres différents. Les transferts d’argent à la poste sont assujettis à la tarification de l’Upu. En plus, les opérations de la poste sont traçables. Contrairement aux nouvelles offres. En matière de TIC, la poste utilise le I et C car elle Informe et Communique. Par contre la technologie est l’outil d’amélioration de son offre. Prenons le cas de l’Algérie. Ce pays a 40 millions d’habitants et 24 millions d’entre eux sont propriétaires de compte à la poste.

L’ensemble des banques réunis n’égalent pas le nombre de clients. Pendant les deux semaines du mois de ramadan, la poste algérienne enregistrait 4 millions de transaction par jour. Et en général, c’est en termes de moyens de paiement. Sortons du continent. La Suisse est connue pour ses valeurs : le chocolat, les montres et le système bancaire. Dans ce pays, la post Bank est le 4ème établissement financier. Au japon, la banque postale est la première. Au plus fort de la crise financière en 2008, les clients ont retiré leur argent des banques pour le protéger dans les banques postales.

…Le seul bureau de poste peut remplir le rôle de 10 bâtiments d’administration publique. C’est le cas avec Guduma Center en Afrique de l’Est. La même solution est implémentée en Tunisie, en Ethiopie, au Malawi. Elle permet de souscrire à une assurance, payer ses impôts, régler ses factures de consommation (eau, électricité, télévision…), s’inscrire sur les listes électorales, établir une pièce d’identité, établir un acte de naissance, contrôler sa tension artérielle… 

Quel rôle peut jouer la poste précisément dans les transferts d’argent ?
La Banque africaine de développement et la Banque mondiale estime que l’apport de la diaspora représente 4 fois l’aide publique au développement. Mais les canaux de transferts de fonds utilisés coutent 4 fois plus cher que l’offre postale. Avec la solution postale, vous comprenez que les montants transférés par la diaspora pourraient être plus important. Plus important, l’argent des migrants (diaspora) n’est transféré que dans des centres urbains. Or, il est parfois destiné à des personnes vivant dans les ruralités. La solution postale permet un service de proximité.

La poste peut contribuer au financement de l’industrialisation africaine et donc à la transformation structurelle. Par le truchement de la mobilisation des épargnes. Cette épargne peut être distribuée sous forme de crédit à des porteurs de projets industriels. Ou alors au financement des projets structurants à forte valeur ajoutée. C’est le cas du livret A en France. Enfin, la poste contribue à l’éducation financière. Le seuil minimum pour les comptes d’épargnes n’est pas toujours à la bourse de tout le monde dans les banques. Les microfinances, elles, ont un cycle de vie court en Afrique. Or, la poste offre un seuil démocratique. Et des tarifications nulles. D’où l’intermédiation financière de proximité.

Le continent africain est engagé à accroitre la mobilité des personnes, des capitaux et des biens. L’Afrique centrale amorce elle aussi cette optique. Quelle contribution la poste pourrait-elle apporter ?
La poste est un facilitateur de transaction commerciale. Un intermédiaire entre l’acheteur et le vendeur. Elle offre un service tridimensionnel. Les bureaux de postes sont désormais des plateformes de commerces qui hébergent les produits des commerçants. En ligne, il est possible de faire des achats. Mais il faut résoudre le problème de l’infrastructure de base. L’outil technologique, la connectivité, l’électricité, les locaux…
Dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale (ZLEC), le réseau postal permet la circulation de tout type d’informations et facilite la mobilité des capitaux, des biens et des personnes. Il permet la mise en réseau des institutions, des créateurs de richesse et des citoyens.

Des préalables sont indispensables pour que la poste se déploie. C’est le cas des transports. Fort heureusement, le dernier sommet de l’Union africaine a vu la présentation du projet sur le marché unique du transport aérien. Il faudrait également harmoniser le transport terrestre et routier. Puis mettre en réseau les douanes africaines. C’est ainsi que le commerce transfrontalier pourrait être plus fluide et plus sécurisé. La poste ne définit aucune de ces règles mais en a besoin pour contribuer à une ZLEC efficiente. C’est à l’Afrique de prendre ses responsabilités pour regarder ses et servir ses citoyens.

…Nous voulons être le premier secteur à soumettre une directive africaine au parlement panafricain. Nous souhaitons consolider un territoire postal unique sur le continent avec des transactions identiques et plus fluides. Il s’agira d’une directive sur les échanges postaux intraafricains. Il s’agira de les harmoniser….

Avec votre expérience à l’Union panafricaine des postes (Upap), quelles solutions d’optimisation envisagez-vous pour la création des chaines de valeurs postales en Afrique ?
Je n’ai que six ans au sein de l’Union panafricaine des postes. L’une des dernières institutions d’intégration à porter le qualificatif « panafricain ». Mais toute ma vie, je l’ai passé à œuvrer à l’améliorer des conditions d’exercice de la poste, soit une quarantaine d’années.
Au niveau du continent africain, nous travaillons avec les autres acteurs. Notamment avec le Parlement panafricain. Nous voulons être le premier secteur à soumettre une directive africaine au parlement panafricain.

Nous souhaitons consolider un territoire postal unique sur le continent avec des transactions identiques et plus fluides. Il s’agira d’une directive sur les échanges postaux intraafricains. Il s’agira de les harmoniser. C’est une de nos missions, harmoniser les politiques et règlementations africaines. Nous allons bientôt publier les termes de références d’une étude préalable. Des consultants vont nous élaborer une directive continentale. Nous allons la soumettre aux instances africaines. J’ai promis au président Nkodo Dang que nous serons prêts lorsqu’ils seront opérationnels pour légiférer.
Nous travaillons également à l’harmonisation opérationnelle.

Avec les pays africains membres de l’Upap, nous élaborons un plan quadriennal que nous appelons plan de développement régional Afrique. C’est une déclinaison tropicalisée de la stratégie postale mondiale que l’Upu a adoptée. Nous avons identifié les domaines prioritaires pour rendre la poste opérationnelle avec de la valeur ajoutée. Comme domaines prioritaires, nous avons : le commerce électronique, les services financiers et l’amélioration de la qualité des services.

Qu’est-ce qui a déjà été fait à ce jour dans le vaste chantier de réanimation de la poste africaine ?
Nous pouvons déjà nous réjouir de l’adoption de la résolution L12 relative à la promotion de l’inclusion financière à travers le réseau postal. Les ministres africains de l’économie, de la planification et des finances ont reconnu la poste comme acteur d’inclusion financière notamment des populations à faible revenu et des zones rurales reculées.

Ils se sont engagés à moderniser le réseau postal reconnaissant son état de désuétude. Un appel a été lancé envers les bailleurs de fonds pour la réhabilitation de la poste africaine. En 2016, les chefs d’Etat l’ont adopté et ont réinstruit leurs ministres des finances et de l’économie de mettre procéder à sa mise en œuvre. La même résolution reconnait la spécificité des services financiers postaux. Et pour sa régulation, il y a besoin d’une collaboration entre les régulateurs financiers et les régulateurs postaux sectoriels.

Interview réalisée par
Zacharie Roger Mbarga

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