La France doit se décoloniser pour mieux apprécier l’apport des Noirs

Le mois de l’histoire des Noirs (Black History Month en anglais) commémore une fois par an la contribution des Noirs à la construction et au développement des États-Unis.

 

Au début, en 1926 plus précisément, la manifestation était prévue pour durer une semaine. On parlait donc de Negro History week. La paternité de l’initiative revient à l’historien afro-américain Carter G. Woodson et au pasteur Jesse E. Moorland . Ce sont eux qui choisirent la deuxième semaine de février 1926. Pourquoi la deuxième semaine? Pour ne pas gêner les anniversaires d’Abraham Lincoln (le 12 février) et de Frederick Douglass (le 14 février), deux anniversaires que les communautés noires américaines avaient coutume de célébrer depuis la fin du XIXe siècle. Kent State University accueille en février 1970 la première célébration du mois de l’histoire des Noirs. 6 ans plus tard, à la faveur du bicentenaire des États-Unis, le mois de l’histoire des Noirs est officiellement reconnu par le gouvernement américain. Gerald Ford, son président, invite toute l’Amérique à “saisir l’opportunité d’honorer les réussites trop souvent ignorées des Noirs américains dans tous les domaines à travers notre histoire”. L’exemple des https://fr.wikipedia.org/ wiki/%C3%89tats-Unis Etats-Unis est suivi par le Royaume uni en 1987, par le Canadahttps:/ /fr.wikipedia.org/wiki/1995_au_Canada en 1995.
En France, il faudra attendre 2018 pour voir l’association Mémoires & Partages organiser à Bordeaux le premier Black history Month. Pourquoi les Français ont-ils tardé à emboîter le pas aux Américains, aux Anglais et aux Canadiens? Pour certains, la France a du mal à regarder en face son passé colonial. C’est le cas de l’historienne française Christelle Taraud qui explique que l’État français a choisi la glorification de la colonisation, le déni des crimes et massacres, le récit officiel selon lequel la France s’est libérée toute seule de l’occupation nazie entre 1940 et 1944. Or, poursuit-elle, “des tirailleurs sénégalais et algériens, des goumiers marocains, des soldats indochinois, malgaches, antillais, avaient été au cœur de la libération de la France”. L’on sait aussi que la 2e Division Blindée du général Philippe Leclerc commença en Afrique, que Brazzaville était la capitale de la France libre et que le gouverneur guyanais Félix Éboué fut parmi les premiers à se rallier à Charles De gaulle qui avait appelé à la résistance. Enfin, il est de notoriété publique qu’Africains et Antillais participèrent à la construction des Trente Glorieuses. Créée par Jean Fourastier, cette expression désigne “une période exceptionnelle de croissance qui profite à quasiment tous les pays industrialisés, durant une trentaine d’années : de la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au premier choc pétrolier, soit de 1945 à 1973” (cf. «Les Trente Glorieuses ou la révolution invisible», Fayard, Paris, 1979).
Egésipe Légitimus, élu député de la Guadeloupe en 1898 à 28 ans, le Sénégalais Battling Siki, qui devint champion du Monde en battant Georges Carpentier en 1922, le Guyanais Gaston Monnerville, qui dirigea le Sénat français de 1958 à 1968, le Guadeloupéen Lilian Thuram qui, en inscrivant les deux seuls buts, permit aux Bleus de remporter la Coupe du monde le 8 juillet 1998 font partie de ces Africains et Antillais à qui la France doit son rayonnement. Ce n’est ni en étant opposée à la repentance, ni en refusant d’assumer un pan peu glorieux de son histoire, ni en faisant l’apologie de la colonisation qui fut “une chosification [parce qu’elle] arracha des millions d’Africains à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la danse, à la vie, à la sagesse” (Aimé Césaire, «Discours sur le colonialisme», Paris, Présence Africaine, 1950) que la France aura des relations apaisées avec les descendants des colonisés. Emmanuel Macron, qui qualifia en 2017 la colonisation de crime contre l’humanité et confia, le 24 juillet 2020, à l’historien Benjamin Stora une mission sur la mémoire de la colonisation et la guerre d’Algérie, l’a-t-il compris? Il est permis d’en douter au regard de sa politique africaine qui se démarque peu de celle de ses prédécesseurs. Tous les présidents de la Ve République ont effectivement en commun les tares suivantes : arrogance, maintien des bases militaires françaises en Afrique, éloge du franc CFA, pillage des richesses du sous-sol africain, soutien à des dirigeants incompétents et autoritaires, etc.
Bref, l’histoire et l’apport des Noirs sont cachés aux Français parce que, dans le subconscient de ces derniers, les Afro-Antillais restent “des Français entièrement à part et non des Français à part entière” selon la belle formule d’Aimé Césaire, parce que la France a “décolonisé sans s’auto-décoloniser (Achille Mbembe), parce qu’elle a écrit son histoire de façon monochrome (Pascal Blanchard dans “Noirs de France” le documentaire qu’il a réalisé en 2012 avec Juan Gélas. «Faute de donner une place à ces nouveaux Français dans notre récit national, la situation ne peut que perdurer et alimenter violences urbaines et tensions communautaires», analyse pour sa part l’universitaire Séverine Labat. .
Je ne saurais terminer cet article sans citer le Franco-Togolais Kofi Yamgnane. Voici ce qu’il déclarait en 2020:»Intrinsèquement, la République française est une République inclusive. Aucun Malien, aucun Togolais, aucun Tchadien ne vient pour envahir la France. Ils suivent tous des projets individuels. Mais, quand ils arrivent, la République les met dans des départements, des quartiers où ils se regroupent. Tout cela n’a aucun sens. Nous n’agissons pas bien avec eux. Il faut laisser les gens s’installer où ils veulent et, surtout, faire en sorte qu’ils se mélangent. Évidemment qu’il y a des racistes en France… Et des racistes, on en trouve dans tous les corps de métier… Avant les indépendances de leur pays respectif, l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny et le Sénégalais Léopold Sédar Senghor furent ministres français. Il y eut, après, au gouvernement, notamment, des hommes comme Roger Bambuck, puis moi qui venait d’Afrique, et plus récemment Laura Flessel ou Sibeth Ndiaye.» (cf. «Le Point: du 13 juin 2020).

Jean Claude Djéréké

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