Kalala Omotunde : la bulle de savoir négro-africain

Portrait d’un érudit de la pensée africaine contemporaine.

 

Aménageons donc d’abord un peu de silence pour entendre la voix du journal France-Antilles-Guadeloupe. «Vous voilà retourné au monde des Ancêtres de notre Humanité! Pas mort! Vivant par les paroles fortes, les écrits nombreux, et toutes les études et recherches que vous avez menées à bien! Nous sommes très tristes, les peuples du monde sont tristes! La parole de force, d’espérance et de conviction ne résonnera plus dans nos sphères universitaires, et de grande proximité avec tous les peuples de la terre, à commencer par l’Égypte et l’Afrique toute entière!», écrit le média dans sa publication du 18 novembre 2022. À la limite, les phrases, les mots eux-mêmes, s’estompent en pure suggestion sonore. Mais simultanément, l’ensemble rend compte d’une douleur vive et vaut avant tout comme l’expression d’une grande perte pour le savoir noir.

C’est entendu: il y a matière à broderie légendaire dans la pensée négro-africaine. Mieux, «des noms qui font jaillir sensations ou sentiments; des noms qui permettent à cette pensée de se ressouder, s’articuler, se comprendre, au-dehors tout autant qu’au-dedans», selon le Pr Charles Binam Bikoï, professeur de lettres dans plusieurs universités africaines et européennes. Pour lui, «Kalala Omotunde, voilà un nom qui échappe au diktat du moment présent et à certains de ses effets dissolvants».

On pourrait encore grossir le nombre de ces témoignages que la mort de Kalala Omotunde ne convaincrait pas de son effectivité, si l’on se remémore les images du palais des Congrès de Yaoundé, le 28 octobre lorsqu’il a été élevé à la distinction de Maître des Sciences et des Traditions Africaines, pour sa contribution à la valorisation des Humanités Classiques Africaines. Et pourtant, l’écrivain et égyptologue est décédé le 14 novembre 2022 dans sa Guadeloupe natale, officiellement des suites d’une crise cardiaque, à l’âge de 55 ans. Farouche défenseur de la pensée africaine, il avait choisi de se rebaptiser d’un nom authentique kamite, Nioussérê Kalala Omotunde. Nioussérê d’origine égyptienne, comme le berceau du savoir selon ses thèses, et Kalala, comme l’organe traditionnel de résolution de problèmes du Congo.

Que la Renaissance Africaine soit!
Pourquoi, parmi les nombreuses figures dont la présence emblématique aurait pu déclencher cette profusion de discours et d’images, est-ce celle de Kalala Omotunde se trouve jouer ce rôle aujourd’hui ? Répondre à cette question empêche de penser que le nom Kalala Omotunde, aujourd’hui, à ce moment, de cette manière, a quelque chose d’une actualité provenant de deux directions. «La première, assure le Pr Charles Binam Bikoï, l’œuvre du disparu continue son chemin dans la pensée africaine et retentit en profondeur sur ceux qui, cherchant une nourriture spirituelle, s’accordent à son rythme intérieur».

À en croire l’universitaire camerounais, «la seconde est que Kalala Omotunde a dérangé de son vivant, arrange par sa mort, on va pouvoir le célébrer, montrer combien on l’appréciait, on l’estimait, sans que sa voix puisse crier au mensonge». Et le togolais Pitalounani Barcola de résumer: «On peut ne pas l’aimer, mais l’objectivité oblige de reconnaître son intelligence, sa lucidité d’esprit, son art oratoire et son dévouement sans réserve pour l’Afrique et au peuple noir, notre peuple».

Destruction de mythes
«Jean-Philippe Kalala Omotunde s’en est allé. Yako à nous tous. Il laisse derrière lui des livres indispensables et des millions d’esprits qu’il a contribué à éveiller. Bonne transition, frère», sanglote Nathalie Yamb sur sa page Facebook ce 18 novembre 2022. Les livres en question sont tournés vers l’Afrocentricité, qui cherche à déconstruire les savoirs pour repositionner l’homme noir, contrairement à la négritude de Senghor et Césaire. Ce ne peut être un pur hasard si le travail de repérage de ses écrits place en première ligne «Les racines africaines de la civilisation européenne» (Menaibuc Éditions, 2004).

Grâce à Kalala Omotunde, on sait aujourd’hui de façon formelle que les plus grands intellectuels de la Grèce antique, à savoir. Thales, Pythagore, Eudoxe, Solon, Platon, etc….furent a l’origine des disciples des prêtres nègres de l’Égypte ancienne, tels Wunuphis et Seknuphis d’Heliopolis (Iounou), Conuphis et Pammenes de Memphis (Men Nefer), Sonchis de Sais, etc….. On sait également que la plupart des découvertes scientifiques faites par les Frecs dès le 6e siècle avant J. C., avaient déjà été maitrisées par les Africains anciens avant même le 3e millénaire avant. J.C.: astronomie, géométrie, maïeutique, écriture, médecine, navigation, théorèmes de mathématique, etc.

Dans le «Discours afrocentiste sur l’aliénation culturelle» (109 pages, Menaibuc Editions, 2006). Kalala Omotunde s’emporte et révèle l’existence d’une relation conflictuelle secrète et intérieure, entre un Moi africain continuellement agressé et un sur-Moi occidental agresseur et conquérant, désireux d’imposer par tous les moyens au Moi africain, sa vision du monde. Pourquoi cette agression et que cache-t-elle ? Au-delà des analyses faites par Frantz Fanon et Aimé Césaire, Jean Philippe Omotunde souhaite aujourd’hui apporter une vision et une solution afrocentriste, à ce mal qui ronge nos consciences et engendre complexe.

On retient également «Histoire de l’esclavage: Critique du discours eurocentriste», une sorte d’élan contre le négationnisme, Omotunde tente de corriger la falsification de l’historiographie des razzias négrières et de l’esclavage. Nombreuses questions sont abordées dans ce livre dont entre autres: l’influence des berceaux historiques des sociétés issues du nomadisme et du patriarcat la nature du contact Europe/Afrique à l’époque impériale l’importance de la Résistance africaine dans le processus qui a conduit aux abolitions.
Et puis, il y a «Initiation aux mathématiques africaines pour les enfants de 5 à 15 ans et +» (Anyiart, 2015). Le projet de Omotunde est simple: permettre aux jeunes, à leurs parents mais aussi aux encadrants pédagogiques de découvrir une part de cet univers, afin que l’égalité des chances dans l’accès au savoir ne soit plus un vain mot.

«La monnaie au temps des Pharaons: Une antériorité africaine» (2016). Ligne de force de Omotunde: démontrer que la réalité est beaucoup plus complexe et qu’il faut toujours se méfier des déclarations gratuites de chercheur occidentaux ayant perdu toute notion d’objectivité. Car c’est bien l’Afrique noire qui a inauguré le tout premier lexique économico-financier de l’histoire humaine et les termes modernes actuels ont des racines qui viennent en réalité de très loin.

On ne dira donc pas qu’évoquer Kalala Omotunde, c’est ouvrir une porte à un inconnu. «Par sa connaissance, à la fois intime et érudite, voici un homme dont la pensée a un intérieur et un extérieur. L’intérieur est l’explication des phénomènes politiques dans 1’Afrique. L’extérieur est la portée de ces phénomènes politique pour 1’Afrique dans sa relation avec le monde. En interne, la façon dont 1’Afrique se définit, influence, en externe la façon dont elle définit ses relations avec le monde. Ainsi donc, la force interne qu’elle génèrera au point de vue politique, calibrera la puissance externe qu’elle aura dans le jeu mondial. Tels sont les deux volets de notre modeste réflexion dont, comme deux faces d’une même pièce, 1 ‘intérieur et extérieur sont presque toujours en relation», commente le politologue camerounais Belinga Zambo.

«Esprit»
La preuve, l’on s’en souvient, c’était à la fondation AfricAvenir International à Douala le 9 mars 2011. Kalala Omotunde animait alors une conférence sur le thème: «L’Afrique: berceau historique des concepts monétaires: une base pour relever le défi de la souveraineté monétaire aujourd’hui ?» Il avait souligné qu’»en vertu de sa grandeur et de celle de ses peuples, l’Afrique mérite d’avoir un adversaire à la hauteur de cette grandeur. Et l’Occident est un grand adversaire. Ce qui devrait être une fierté pour les Africains car cet adversaire qui est en fait une coalition de peuples (Français, Anglais, Allemands, Espagnols, Italiens, Américains (USA)…) amène les Africains à se surpasser et aller chercher à l’intérieur d’eux-mêmes pour affirmer aux yeux du monde entier leur grandeur. Cela suppose que les Africains doivent se connaître eux-mêmes d’abord.

Cette connaissance de soi-même est le préalable de toute connaissance; référence faite à la célèbre citation «connais-toi toi-même… et tu connaîtras les dieux et l’univers». Seulement en l’état actuel, faisait observer l’éminent conférencier, les Africains sont loin de là. À ses yeux, ils sont encore dans le monde virtuel créé par l’Europe pour les aliéner et les asservir. Ce monde virtuel postule que les Africains sont pauvres, ignorants, sous-évolués et incapables de s’autodéterminer, d’où «l’œuvre de civilisation par le truchement de la colonisation et toute la batterie d’aide et assistance néocoloniale que nous voyons aujourd’hui. Cette situation est entretenue par l’armada médiatique occidentale qui s’organise pour organiser l’ignorance des peuples africains.

Il précise ainsi que le problème de l’Afrique est à la base géostratégique car elle souffre de toutes ses richesses que le divin a bien voulu concentrer sous et sur sa terre y compris les Hommes eux-mêmes. Il s’interroge alors en ces termes: « Est-ce de notre faute si le Bon Dieu a bien voulu concentrer 90% des richesses humaines, animales, végétales et minérales de la planète sur la terre africaine».

À propos de la monnaie, il démontrait alors que le système monétaire appliqué aujourd’hui en Afrique empêche aux pays africains de s’enrichir. C’est un système qui, selon lui, a été introduit, en guise d’application du nazisme monétaire, depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale par le général de Gaulle à travers le F CFA (Franc des Colonies Françaises d’Afrique) selon la parité 1FF = 100 F CFA pour spolier les territoires africains et enrichir la métropole.

Pour appuyer sa pensée, Kalala Omotunde avait battu en brèche les thèses eurocentristes qui affirmaient qu’avant l’arrivée des occidentaux, les Africains n’appliquaient que le troc comme système d’échange de biens et services. À son avis, cela constituait «une véritable escroquerie intellectuelle, car des recherches ont révélé que le premier étalon monétaire de l’humanité était africain: c’est le shâty (anneau d’argent de 6,2g) employé 3000 ans avant l’ère chrétienne en Égypte pharaonique. Ceci est une preuve de la souveraineté et la puissance économiques du peuple africain».

Aujourd’hui, la dépendance économique et monétaire de l’Afrique est pratiquement le premier facteur de l’hégémonie occidentale sur l’Afrique. Pour en sortir, Kalala Omotunde avait sa solution: «les Africains se doivent de construire leur projet civilisationnel différent de celui de l’occident qui proclame la supériorité de la matière sur l’esprit afin de s’affranchir et réaffirmer leur liberté et leur autonomie au monde entier».

Jean-René Meva’a Amougou

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