PANORAMAPORTRAIT DÉCOUVERTE

Josué Visiga : «Boko Haram a changé de tactique pour frapper à Tourou»

Le Prince Hidé revient en détail sur les trois mois de terreur qu’il vient de passer aux côtés de sa famille dans cette localité du Mayo-Tsanaga à l’Extrême-Nord au Cameroun.

Vous sortez fraîchement du Mayo-Tsanaga, à l’Extrême-Nord, plus précisément à Tourou. Est-ce que vous pouvez faire le point de la situation de ce côté, relativement à Boko Haram?
Moi je sors de l’arrondissement de Tourou où j’ai passé trois mois pour vivre de près ce que ma famille me disait subir. Et quand je suis parti, je croyais que c’était une blague. Arrivé là-bas, j’ai vécu l’enfer pendant un trimestre. Quand je partais de Tourou en fin août, Boko Haram commettait des gaffes. Ils tuent, ils brûlent les maisons, ils font des récoltes à nos places, ils ramassent les biens des gens et les maisons sont abandonnées. Maintenant, nous sommes regroupés au centre de Tourou. Je tiens à préciser qu’il y a les hommes en tenue, mais nous ne pouvons pas nous épanouir.

À votre niveau, est-ce que vous ressentez les efforts fournis par le gouvernement, bref les moyens mobilisés depuis un certain temps?
Avant, on disait qu’il n’y a pas Boko Haram, depuis un temps, le gouvernement travaille face aux problèmes que ces derniers posent. Mais malgré la présence des forces de l’ordre, il y a des exactions. Boko Haram sort du Nigéria, donc c’est là-bas qu’il faut agir beaucoup plus. En fait, c’est leur base arrière. Ces éléments se cachent dans la forêt qui existe entre le Cameroun et le Nigéria. Pour plus de détails, c’est dans la nuit qu’ils viennent au centre pour tuer les gens.

Comment procèdent Boko Haram actuellement pour frapper, quelle est la nouvelle stratégie adoptée par cette secte?
Actuellement, ces éléments ne viennent plus comme avant. Ils criaient souvent Allah akbah, avec des motos, voitures et les armes avec lesquelles ils tiraient des rafales et tout le monde fuyaient dans la montagne. Maintenant, ils ont changé de tactiques, ils ne parlent pas, ils viennent en cachette avec des éclaireurs dans les montagnes. Ils torchent pour mieux se renseigner et c’est le matin, qu’on entend qu’il y a des morts. Bref ils procèdent par assassinat maintenant. Quand les militaires passent en patrouilles, ils se cachent entre les collines ou les roches et ne parlent ou ne font des bruits, c’est le matin que tu vois les morts.

À combien est-ce qu’ils viennent maintenant lors de ces opérations?
Ils venaient en un seul groupe avant, on pouvait avoir 80 ou 100 éléments. Maintenant, Ils se répartissent déjà en trois ou quatre groupes de 2 ou 3 éléments. Quand ils attaquent ici, le groupe de vigilance se rue là-bas, après on dit qu’ils sont dans un autre secteur et tout le monde perd la tête. Maintenant au centre où nous sommes groupés, ils sont là. Mais avec les forces de défense et Dieu, les souffrances sont limitées.

Lors de votre séjour là-bas à Tourou, comment est-ce que vous viviez pendant les trois mois que vous y avez passés? Que reproche-t-il aux populations?
C’est la souffrance, Nous dormons dans la colline, avec les moyens de bord. Et c’est dans ces collines que Boko Haram, attaque en petits groupes. Ils poursuivent les gens dans les montagnes. Malgré les efforts que je fournis pour les aider, ça ne va pas pour ma famille. Là où j’ai construit, elle n’habite pas là. On ne dort même pas, on finit la nuit debout, y compris les enfants.

Pour la deuxième partie de la question, je sais qu’ils sont islamisques et que nous partageons la même tradition. Dans notre localité, quand tu compte 100 chrétiens, tu comptes 3 musulmans. Comme ils nous reprochent d’être chrétiens et ils jurent que tant que nous ne nous islamisons pas, ils vont nous massacrer. Nous avons un village qui s’appelle bien-aimé Jésus, ça les énerves et ils veulent le changement de nom.

Comment avez-vous fait pour entrer et ressortir en sécurité de Tourou?
C’est vers le Nigéria que le Boko Haram reste, on entre normalement du côté camerounais, parce que l’armée est présente. Les attaques proviennent donc du Nigéria. Et nous sommes mélangés aux Nigérians. Bref, ils disent qu’ils veulent reconstruire le Khalifa.

Est-ce qu’en rentrant de Tourou, il y avait des attaques?
Je vous dis que je suis parti de Tourou le vendredi 30 août 2022, il y a eu une attaque du Boko Haram. Ils sont venus par surprise, ils sont montés sur la montagne pour tendre l’embuscade. Mais les militaires les ont vus ce qui a permis à ceux–ci de mieux se défendre et ils ont été mis en déroute. Je précise que les groupes étant très petits en effectifs, lorsqu’ils entrent en action, on ne connaît pas les plans qu’ils élaborent. Lors de l’attaque, le comité de vigilance a vu la torche de loin. Ils ont posé la question de savoir qui est-ce qui tient la torche. Les populations se sont tues et ont alerté l’armée et nous-mêmes, nous sommes partis vers eux. À moins d’une heure, il y a eu des tirs et ils ont fui.

Les récoltes approchent dans cette partie du pays. Êtes-vous craintif au sujet des exactions que Boko Haram pourrait commettre?
Les militaires étaient là et nous pouvions cultiver sans être dérangé. Boko Haram ne venait pas en journée. Mais, ils ont réussi à prendre trois femmes qui étaient au champ en otage et ils ont demandé la rançon tout en exigeant que les familles ne parlent pas. Ils ne veulent pas que les militaires sachent comment est-ce qu’ils procèdent en journée. Actuellement comme c’est la récolte de maïs, ils récoltent aussi. Et même plus que nous. Voilà l’une des raisons pour lesquelles ils ne veulent pas qu’on sache qu’ils viennent en journée. Donc en octobre, ils vont récolter le mil à notre place.

Le bétail ayant disparu, ils prennent maintenant les céréales que nous cultivons. Quand ils trouvent une chèvre ou un mouton, ils sont contents parce qu’ils recherchent les animaux en ce moment. Il n’y a plus d’élevage dans le Mayo-Tsanaga, seul ceux qui sont au centre peuvent avoir des chèvres. Plus de bœufs, parce que l’on ne peut aller au pâturage.

Vous disiez être particulièrement visé par la secte islamiste, qu’en est-il actuellement?
Ma famille est particulièrement visée, parce que c’est la chefferie de Tourou. Ils me tendent les pièges parce que ma maison étant neuve, ils croient que ma famille ira là-bas pour rester. Mais lorsqu’ils parlent avec les villageois, ils rêvent me capturer.

Interview réalisée par
André Gromyko Balla

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *