John Fru Ndi :  » J’ai invité mes ravisseurs au dialogue « 

Kidnappé par des sécessionnistes vendredi le 27 juin 2019, le Chairman du Social democratic front (Sdf) a été libéré le lendemain autour de 21h30. Il parle de sa détention, ses ravisseurs et de leurs revendications.

 

Comment s’est déroulé votre enlèvement ? 

Je suis rentré de l’hôpital Baptiste de Mbingo où j’étais allé me soigner. Si vous voyez même mes bras, vous allez découvrir les cicatrices du prélèvement de sang pour des examens de laboratoire dont le résultat a démontré que j’ai quelques soucis de santé. Et le médecin a fait des prescriptions. Quand je suis arrivé à la maison, étant donné que je n’aime pas prendre des médicaments dans un ventre vide, j’ai pris un léger déjeuner. Environ dix minutes après avoir avalé mes médicaments, j’ai entendu des coups de feu dans ma concession et même au salon. J’étais pris de court au point où je suis sorti en T-shirt et pantalon, pour m’enquérir de la situation. Quand j’ai ouvert la porte pour prendre le couloir, j’ai vu un jeune homme baraqué et armé, qui m’a dit dans une tonalité arrogante, « viens ici ». Il m’a tenu au collet en me tirant comme un vulgaire malpropre. Alors je lui ai demandé ce qui ne va pas, en lui indiquant que je sors de l’hôpital. Il m’a traîné au sol depuis le couloir en passant par le salon, la cour, jusqu’à leur véhicule stationné hors de la barrière.

Ils m’ont embarqué dans leur voiture. Et comme je vous dis, ils m’ont traîné comme un porc qu’on mène à l’abattoir. Quand je me suis retrouvé dans leur véhicule, ils ont asséné cinq coups de crosse de leurs armes sur ma tête. Je leur ai demandé quel est mon crime pour mériter un tel traitement. Ils ont asséné deux coups de poing sur mon ventre en disant : « regarde comment il a un gros ventre ». Je leur ai demandé : « ne dois-je pas avoir un gros ventre? » Ils ont rétorqué :  » Nous le disons parce que nous sommes en train de mourir en brousse et les choses ne marchent pas comme elles étaient supposées à cause des traîtres comme vous ». J’ai rétorqué, « si je suis pieds-noirs, vous êtes pieds-sombres ». Chemin faisant, ils m’ont masqué et tenté de me suffoquer. Je leur ai dit que s’ils veulent me tuer, qu’ils me disent les crimes dont ils m’accusent avant de me fusiller. Je leur ai dit qu’ils n’ont pas besoin de m’étrangler ainsi, parce qu’ils ont des armes. Je leur ai dit que ces fusils sont des armes de lâches. J’ai invité mes ravisseurs au dialogue. Ils m’ont trainé jusqu’à leur cellule, où ils m’ont installé sur un banc en bambou. Je n’avais pas mangé et n’avais pas pris les autres médicaments que le médecin avait prescrits. Je rappelle que je suis un hypertendu. J’ai dormi sur un banc en bambou sans manger, ni prendre mes médicaments. Le lendemain ils sont revenus et ont dit : « Mr le Chairman, nous pouvons dialoguer maintenant ».

Que vous reprochent-ils?

Je leur ai dit voilà ce à quoi je m’y attendais et non le mauvais traitement qu’ils m’ont administré. Je leur ai dit merci pour ce mauvais traitement et que Dieu les bénisse. Je leur ai demandé quel est leur problème. Ils m’ont dit de déclarer devant leur caméra: « nous voulons que tu rappelles tes députés, sénateurs du parlement et maires des mairies dans les 24h ». Je leur ai dit vous ne pouvez pas me demander de faire une telle déclaration sous la menace des fusils. Je leur ai dit que je m’excuse, je ne peux pas faire une telle déclaration parce que vous devez me dire pourquoi ? Ils m’ont dit que c’est parce que les parlementaires constituent un obstacle à leur cause. Je leur ai demandé pourquoi seulement les élus du Sdf. Ils ont rétorqué, que c’est parce que les élus du SDF sont leurs parlementaires. Par conséquent, une fois sortis des instances où ils siègent, ils sauront quoi faire d’eux. J’ai dit, très bien.

Je vais me rendre à Yaoundé. Je vais tenir une réunion avec mes parlementaires et maires. Nous allons cogiter et voir ensemble la meilleure manière pour s’y prendre. Je sais que les parlementaires Sdf ont tout fait pour inscrire en vain en plénière le problème anglophone. Lors de la première mandature au sénat, les sénateurs Sdf qui étaient tous francophones se sont battus en vain pour inscrire en débat ledit problème, ceux de la seconde mandature ont essayé en vain. Mais nous avons notre manière à nous et je leur ai expliqué cette approche hors micro et caméra. Et je leur ai dit que s’ils pensent que je dois rappeler ces parlementaires, je dois d’abord aller à Yaoundé discuter avec eux avant de me prononcer. Pas en 24h comme ils disent, parce que ce n’est pas ainsi que fonctionne la démocratie. Je leur ai dit que j’ai été devant les juges de la Cour suprême et je leur ai dit que nous sommes dans un pays de lois, les armes n’ont pas de place.

Je dois aller discuter avec mes parlementaires à Yaoundé avant revenir voir mes ravisseurs. Ils me reprochent de ne pas passer les voir. Alors, je leur ai demandé de m’inviter comme les autres l’ont fait.

Je prie Dieu de pardonner à ceux qui m’ont traîné devant mes enfants, tiré et blessé par balle mon garde du corps dans mon salon. Deux choses négatives ne peuvent être positives. A vous journalistes, je crois que nous avons des problèmes dans ce pays parce que chacun qui se fait une opinion croie qu’il a raison. Mais je crois toujours en la démocratie que le Sdf a apportée dans ce pays ; je crois toujours au rôle de la loi, à la justice dont nous parlons depuis 1990.

Si aujourd’hui, on doit boxer les gens pour leur imposer une conduite à tenir, c’est regrettable.

Monsieur Biya ne nous a jamais invités à discuter de quelque sujet que ce soit. Il a formé la Commission du bilinguisme et du multiculturalisme. Je me suis demandé qu’est-ce que le bilinguisme a à faire dans le problème que nous traversons dans ce pays. Ils ont créé la Commission de désarmement, il a envoyé le nouveau Premier ministre ici, alors que l’ancien était ici et on lui a dit les pistes de sortie de la crise. Mais je veux dire une chose, je crois toujours en la démocratie.

La violence, les rapts et  demandes de rançon ainsi que l’incendie des édifices constituent leur mode opératoire avez-vous discutez cet aspect avec eux ?

La crise anglophone est centrée sur Fru Ndi. Quand j’étais en captivité, ils m’ont accusé d’avoir fait tuer leurs collègues à Baba II. Je leur ai dit que vos frères ont été tués à Baba parce qu’ils ont incendié ma maison. Si vous mettez en place un système où on brûle la maison et on laisse partir le pyromane, quelle genre de société on est en train de bâtir ? Je condamne l’incendie des édifices, l’enlèvement des personnes et demandes de rançon. Je condamne fermement l’incendie des maisons, aussi bien par les séparatistes que par les forces régulières. Les Camerounais anglophones ne sont pas libres aujourd’hui de se déplacer ; ils ne sont pas en sécurité dans leurs maisons ; certains dans la nuit dorment sous leurs lits. Je crois que lorsque quelqu’un veut prendre soins des gens, il doit être humble. Je les ai exhortés à faire preuve d’humanité dans leur combat. Je leur ai dit que tant que les vrais Ambazoniens ne condamnent pas des actes de kidnappage et de demandes de rançon, je vais continuer à les condamner pour leurs actes.

Chairman comment s’est passé votre libération?

En matinée, ils ont procédé à une séance de prise de photos avec moi devant leur drapeau, avant d’exécuter ce qu’ils considèrent comme leur hymne. Après la discussion que j’ai eue avec eux, ils ont dit qu’ils vont me libérer. J’ai attendu toute la journée en vain. C’est vers 21h30mn qu’ils sont venus m’extirper de la cellule et m’ont libéré. En captivité, ils m’ont donné une paire de sandale et ont forcé une chemise sur moi, parce qu’au moment où ils me traînaient dans leur véhicule partant de chez moi, j’étais pieds-nus et lorsqu’ils me ramenaient, ils étaient tellement pressés qu’un pied de la sandale est tombé.

Propos rassemblés par

Zéphirin Fotso Kamga

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