Jean de Dieu Momo : Clerc-obscur au service de Biya

Depuis l’avènement du Renouveau, jamais membre du gouvernement n’a autant été boudé par les siens et ses compagnons d’hier. 

Jean de Dieu Momo

Il est révolu le temps où la politique était «d’abord l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde». Et cela enchante bien Jean de Dieu Momo. Le nouveau ministre aime parler de ce qui le regarde. À croire que c’est la raison de sa sortie à Dschang (Menoua) le 16 février dernier. A-t-il alors commis une erreur d’appréciation? Non ! Il sait que dans cette ville, et même dans une bonne partie de la région de l’Ouest, son entrée au gouvernement, le 4 janvier 2019, a suscité une vague de commentaires haineux.

On peut supposer que «Monsieur le ministre» a bien préparé sa voix de baryton, toujours prête pour un bon mot ou une engueulade. Disposant d’un bel instant pour défendre sa personnalité, ses idées et son bilan de 59 années de vie, il s’est taillé un programme : distiller, en langue Yemba, l’image d’un vétéran revenu de toutes les guerres. «Les gens ont dit que j’ai demandé que l’on abatte les Bamilékés. Est-ce possible que quelqu’un le dise?», interroge-t-il. Plus loin, on l’entend dire: «Les gens de la Menoua se détestent entre eux.

Voila qu’on a nommé un fils de la Menoua alors que vous êtes allés voter l’opposition. Paul Biya devait-il nommer un fils de la Menoua quand on a voté l’opposition en masse? Il le fait, et il y’en a qui trouvent à redire. C’est quel ministre qu’on nous donne comme ça ? Je demande aux fils de la Menoua bougrement riches d’arrêter de tromper la population. Ils l’ont trompée en demandant de voter l’opposition, parce que c’est un frère de Baham. Pourtant c’est grâce à Paul Biya qu’ils ont eu de l’argent pour s’acheter ses grosses voitures».

Polémiques
En clair, l’avocat international sait une chose : il n’est pas en odeur de sainteté avec ses congénères. Depuis son ralliement à Paul Biya à la veille de l’élection présidentielle d’octobre 2018, certains lui reprochent sa gouaille et son appétit médiatique. Au lendemain de son entretien avec Ibrahim Chérif sur le plateau de l’émission Actualités Hebdo sur la CRTV, une polémique durable régente les Grassfields. Quelques critiques concluent que les phrases ministérielles résonnent avec l’actualité entretenue par le MRC (Mouvement pour la Renaissance du Cameroun), le parti de Maurice Kamto. Les puristes estiment que leur fils a trahi le peuple Bamiléké.

Au ministre Momo, ils conseillent moins de verticalité et d’arrogance, et plus de respect des corps intermédiaires, chefs traditionnels en tête. Pour protester, ces derniers ne trouvent pas mieux : bouder les festins organisés par leur ministre de fils. Ils le fustigent dans sa politique, et peut-être encore plus avec ses déclarations provocatrices. Ils jugent que Jean de Dieu Momo a poussé à l’extrême ce mépris, en oubliant son corollaire, le risque du décrochage, le risque de devenir un «déchet social» ou de n’être «rien». Ils estiment aussi qu’à travers le rapprochement fait, en mondovision, entre le peuple juif et les Bamiléké, c’est aussi le sens de la destinée de cette communauté qui s’estompe.

Cris d’orfraie
Du reste, on peut comprendre le ministre. Même s’il est difficile d’établir la frontière entre soutien à son « créateur » et performance théâtrale. Et pendant qu’on hésite encore, Jean de Dieu Momo explique à Cheta Bilé à quel point il fait bon vivre dans un bureau ministériel. Une certaine presse voit en cette sortie médiatique le trauma de l’indigène mal décolonisé. Le mot « clientélisme» n’est pas prononcé. À peine, on parle de « réussite d’un fils de tailleur ». Plus ouvertement, on met le subalterne direct de Laurent Esso soit dans la fourchette des profiteurs d’un système à la dérive, soit dans celle des profiteurs du résultat d’une élection présidentielle au terme de laquelle le taux d’abstention a été, selon eux, le plus grand gagnant.

Ceux qui poussent les cris d’orfraie se recrutent parfois dans les rangs du G20. Chacun, dans cette coalition de partis politiques acquis à Paul Biya, y est selon les intérêts électoraux immédiats. De temps en temps, quelqu’un sort une affaire des limbes. À une poignée de journalistes, quelqu’un, issu de ce G20, explique que « Jean de Dieu Momo a su trouver seul les autres manières d’accéder au pouvoir quand, on ne sait pas l’exercer : l’exagération, le mensonge et le lancement d’anathèmes contre les siens ».

Visée
On comprend alors que sur le plateau de Canal Presse, le président des Patriotes démocrates pour le développement du Cameroun (PADDEC) ait renié sa propre formation politique qu’il a pourtant créée lui-même en mars 2010. Parmi les invités, il apparaît comme « porte-parole du RDPC », aidé en cela par son mètre 90 et ses 110 kilos. Un soir, à l’Arène diffusée sur les antennes de Canal 2 International, Jean de Dieu Momo se fend en une déclaration : « S’il (Biya, NDLR) me fait l’honneur de me distinguer, je serai très heureux de servir ma patrie et d’apprendre auprès d’un sage. Si vous me donnez votre plateau et la possibilité de dire au président que “parmi les 25 millions de Camerounais si vous pensez que je peux soutenir un côté, je serai ravi de le tenir”. Est-ce que moi j’ai besoin de me cacher? »

Au sein du G2O, on a compris. Dans le verbe comme dans les actes, Momo roule pour lui-même et non pour le groupe. Dans sa démarche, il est conforté par le flou sur la distribution des prébendes, entretenu (selon un président de parti membre du G20) par le RDPC lui-même. La manœuvre est à grands traits assez simple : laisser prospérer les querelles d’appareils et autres obscures stratégies individuelles. Et lorsque d’aucuns appellent à sortir des sables mouvants et à profiter de l’incertitude générale pour prendre les devants, Jean de Dieu Momo est déjà bien positionné, parce qu’il ventile bien la rhétorique populiste de son « employeur ». En solo, le challenger de Paul Biya en 2011 a une marge parfumée à l’encens du cabinet civil de la présidence de la République. La suite se lit sur sa table de ministre délégué auprès du ministre d’État de la Justice, Garde des Sceaux.

 

Jean-René Meva’a Amougou

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