«Je refuse de me prononcer sur l’impact des subventions des prix du carburant à la pompe»

Le rôle principal d’une banque centrale, c’est la stabilité des prix. Et si l’inflation augmente, cela signifie que les prix ne sont pas stables. Cela va taper sur le pouvoir d’achat des consommateurs et affecter de manière immédiate tout le monde, les entreprises et les ménages. Il fallait donc véritablement maîtriser l’outil principal dont disposent les banques centrales. À savoir, les taux d’intérêt aussi bien que la régulation des liquidités pour injecter ou retrancher. Nous jouons un peu sur ces tableaux pour que l’inflation reste maîtrisée dans le cadre de la réglementation.

Abbas Mahamat Tolli

Monsieur le gouverneur de la Beac, la principale nouvelle c’est bien sûr le relèvement des taux directeurs de 50 points de base. Sachant bien qu’en début d’année, il y a eu un premier relèvement. Et vous avez bien fait de mentionner que les principales banques centrales sont en train de relever leurs taux. Peut-on dire que la Beac s’inscrit dans une logique de suivisme par rapport au mouvement enclenché par ces principales banques centrales?
Déjà en ce qui concerne la décision de relèvement l’année dernière, je rappelle que nous étions l’une, sinon la toute première banque centrale, à avoir rehaussé ses taux. Nous sommes dans le peloton de tête des banques centrales à avoir pris cette décision. Nous ne sommes donc pas dans une démarche de conformisme ou de suivisme des autres institutions. Nous avons pris cette décision parce qu’effectivement, on avait des éléments de lecture sur la conjoncture qui indiquaient que l’inflation allait progresser. Et depuis cette période, nous avons justement constaté la progression de cette inflation. Aujourd’hui, nous en sommes par mois à devoir rehausser et resserrer un peu notre politique. Encore une fois, nous ne sommes pas là dans des démarches de suivisme par rapport aux autres banques centrales.

Nous avons effectué l’exercice de programmation budgétaire, nous suivons l’évolution des prix sur les marchés des économies de la Cemac. Et c’est en rapport avec la lecture que nous avons dans cet espace et les anticipations que nous faisons grâce aux instruments de modélisation, que nous indiquons que l’inflation va augmenter. On n’a pas d’instrument aujourd’hui plus importants en termes de signal, et donc, nous prenons cela. Parce que l’inflation, c’est très important dans le mandat de la Banque centrale. Le rôle principal d’une banque centrale, c’est la stabilité des prix. Et si l’inflation augmente, cela signifie que les prix ne sont pas stables. Cela va taper sur le pouvoir d’achat des consommateurs et affecter de manière immédiate tout le monde, les entreprises et les ménages. Il fallait donc véritablement maîtriser l’outil principal dont disposent les banques centrales. À savoir, les taux d’intérêt aussi bien que la régulation des liquidités pour injecter ou retrancher. Nous jouons un peu sur ces tableaux pour que l’inflation reste maîtrisée dans le cadre de la réglementation.

Le relèvement en début d’année des taux directeurs n’a pas empêché que l’inflation continue de progresser. Vous venez d’ailleurs de projeter un taux d’inflation au-dessus du seuil de tolérance de la Communauté. Quel est finalement l’impact que la manipulation du TIAO a sur le financement des économies en rapport avec l’inflation?
Je veux ici rappeler que lorsque l’inflation est élevée, il faut véritablement la maîtriser sinon cela va affecter les entreprises et les ménages. De ce point de vue, si la Banque centrale réajuste les taux, la conséquence est le renchérissement du loyer de l’argent. Et plus globalement, cela peut avoir des effets de cession sur la croissance économique. Mais pour faire la balance des choses, l’inflation est encore pire qu’une décélération momentanée de la croissance. C’est pourquoi il fallait au plus vite la maîtriser pour éviter des situations difficiles. Voilà un peu ce qui nous amène à le faire.

La Banque centrale examine cela. On a fait notre propre examen et à la suite des échanges, les membres du Comité de politique monétaire (CPM) ont décidé que c’était la bonne décision à prendre. D’où maintenant l’annonce faite sur cette décision.

Nous voyons que de septembre 2022 à mars 2023, le taux d’inflation va presque doubler. Qu’est-ce que le CPM a préconisé comme solution. Et puisque nous sommes toujours dans les échanges, qu’en est-il des petites coupures et des pièces de monnaie?
S’agissant des pièces de monnaie, nous avons lancé à plusieurs reprises, au moins deux fois, des commandes. D’autres sont en cours. Je pense que nous allons pouvoir avec cela réguler la situation. La Beac a également pris la décision de mobiliser les signes monétaires de certains centres de certains pays vers d’autres où ce problème est signalé. Nous en attendons donc une amélioration compte tenu du rythme de commandes en phase de livraison.

Monsieur le gouverneur, l’actualité de la Beac ces derniers mois a beaucoup porté sur les tensions suite au concours de recrutement lancé par votre institution. Il semblerait également qu’il se pose un problème de postes et de sanctions. Qu’en est-il exactement aujourd’hui?
J’observe d’abord qu’il y a beaucoup de questions qui n’ont pas de lien avec l’objet de la conférence de ce jour. Laquelle porte sur les décisions du CPM. Je voudrais néanmoins vous dire en ce qui concerne la question relative aux postes, que nous sommes en mission, nous sommes des mandataires. Le moment venu, les États choisiront de remplacer ou de reconduire. C’est notre cas. D’autres ont déjà été appelés à d’autres fonctions.

C’est le cas de l’ancien vice-gouverneur de la Beac et actuel président de la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (Bdeac), (Dieudonné Evou Mekou, Ndlr). Monsieur Désiré Guedon, le secrétaire général de la Banque centrale, représente désormais les pays africains au sein de la Bad. Il y en a qui n’ont pas encore achevé leur mandat. Et de ce point de vue, je ne vois pas très bien à quel niveau se situe le problème. À moins que vous ayez d’autres informations que vous avez choisi de garder pour vous.

S’agissant du recrutement, c’est par voie de concours que la Beac recrute chaque fois qu’elle fait face à des déficits de personnels. C’est le cas actuellement. Un concours a été lancé. Le processus suit son cours. Vous avez suivi beaucoup de choses çà et là. Mais je crois qu’aujourd’hui c’est le moment que la Banque centrale se réapproprie ce débat en interne à travers son système de gouvernance.

Pour ma part, je tiens à rassurer qu’il n’y a pas de famille à la Beac. Le travail est encadré par les textes. C’est une institution multinationale dans laquelle chaque pays est représenté à tous les niveaux. Aussi bien au niveau du gouvernement qu’au niveau de son staff et des organes de décision. Nous sommes également encadrés par des systèmes de contrôles systématiques. Commissaires aux comptes, censeurs, administrations, commissariats. Au moins 16 réunions. On a ici en permanence tous ces organes de contrôle. Je suis donc en ce qui me concerne très serein. Je ne veux pas aller plus loin et je reste de ce fait sur mes propos sur cette affaire.

La plupart des pays de la Cemac sont producteurs de pétrole. Il serait déjà intéressant de savoir si l’impact de la guerre en Ukraine est positif de ce point de vue. De façon à atténuer cette crise que connaissent plusieurs pays dans le monde? Et histoire de savoir exactement comment ces pays producteurs de pétrole arrivent à atténuer les effets de la crise.

Ils sont cinq pays de la Cemac à produire du pétrole. Mais tous les pays de l’ensemble sous-régional importent des produits finis. C’est à peu près cela. Et quand vous importez, avec des frais d’approche en plus, c’est plus cher. Et c’est d’autant plus cher qu’au niveau des prix à la pompe, il y a les subventions des États. Est-ce que cela annule les effets de la hausse des prix dans ces pays, je ne veux pas me prononcer. Mais il y a quand-même des effets vertueux sur la soutenabilité extérieure. Lorsqu’il y a des rapatriements, cela vient augmenter le produit extérieur consolidé du portemonnaie et sa qualité. Et donc, il y a des effets positifs à ce niveau.

Mais il ne faut pas perdre de vue que nous avons par ailleurs des effets néfastes. Ils sont globalement liés à l’inflation du fait de tout ce que nous importons. Et la décision prise aujourd’hui par le CPM cherche à freiner un peu cette inflation. Si vous exportez, c’est bon, vous avez plus de recettes. Mais pour nos économies, les factures d’importation coûtent aussi chères. C’est d’autant plus cher qu’aujourd’hui, nous sommes dans une conjoncture où, avec le resserrement des politiques monétaires des banques centrales et principalement de la FED (Federal Reserve, Réserve fédérale des États-Unis d’Amérique, Ndlr), le dollar devient plus cher. Cela a des conséquences par rapport au franc CFA.

Qu’en est-il par ailleurs de la mise sur le marché d’une nouvelle gamme de pièces de monnaie et de billets de banque d’ici la fin de l’année que vous avez annoncée. Est-ce que ce projet reste d’actualité?
Pour ce qui est des nouveaux signes monétaires. Je donne rendez-vous aux festivités du cinquantenaire de la Beac au mois de novembre. Nous aurons des nouvelles à vous annoncer à cette occasion.

Quelle est en définitive la position de la Beac sur la cryptomonnaie. Quand on sait qu’un pays s’est détaché et a décidé de faire cavalier seul?
Nos équipes étudient un peu le phénomène de la cryptomonnaie. La situation dans la Cemac indique que beaucoup de gens l’utilisent. Pour moi, ce n’est pas une monnaie. Ce sont des actifs hautement spéculatifs. Nous déconseillons fortement les bons citoyens d’aller investir dans cela. Puisqu’on a vu que depuis le début de l’année, les crypto-actifs ont perdu 70% de leur valeur. Et il n’y a pas de supports.

Ce n’est pas comme une monnaie digitale des banques centrales. Il n’y a pas de sous-jacent ou quoi que ce soit d’autres qui les soutient. C’est juste la confiance que les gens qui investissent peuvent avoir. Le jour où la confiance va tomber, ce sera la panique. Même les cryptos avec ancrage sur les monnaies stables, ne sont pas stables. Mais on cherche tout de même à encadrer cela en zone Cemac. Nous sommes en train de voir dans notre zone, quelle est l’importance de l’activité des crypto-actifs dans la Cemac, et éventuellement, chercher à en encadrer l’usage. Toutes les banques centrales le font.

Il se dit que la Banque centrale, avec le régulateur, a décidé de suspendre les mesures d’accompagnement prises lors de la survenue de la crise Covid-19. Est-ce que vous confirmez? Et si tel est le cas, quel bilan tirez-vous de la dynamique mise en place?
Comme j’avais indiqué tout à l’heure en début de mon propos, il y a eu des enquêtes qui avaient été menées par la Cobac et ses équipes. Elles indiquent que globalement, le système bancaire montre des signes de résilience. Et que le renforcement de sa stabilité globale peut se traduire par l’augmentation des trésoreries des banques. On a enregistré 5700 milliards FCFA. Nous avons aussi noté que les créances en souffrance s’amenuisent et le volume de crédit augmente.

Les banques continuent donc à renforcer leurs situations. Celles qui sont en conformité avec la réglementation prudentielle deviennent de plus en plus nombreuses. Et dans cette conjoncture avec la reprise économique, nous avons estimé tout simplement qu’il était temps d’amorcer une levée progressive de ces mesures. Ces mesures ont été prises dans un contexte particulier. La Banque centrale elle-même a mis en place des politiques d’assouplissement inédites, notamment avec le rachat des titres publics des États sur le marché secondaire et l’injection des volumes énormes de liquidités. Son action a aussi consisté à desserrer un peu l’appréciation que la Banque centrale a sur les collatéraux privés et public pour booster et éviter justement une crise de liquidités.

Propos recueillis par Théodore Ayissi Ayissi

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *