Home AMBASSADES Europe : que le sermonneur accepte le sermon !

Europe : que le sermonneur accepte le sermon !

0

Le monde change, dit-on, et l’Europe, toujours élégante avec un temps de retard, s’éveille en sursaut comme un vieux professeur découvrant que sa classe n’écoute plus ses maximes.

L’Afrique, autrefois sommée d’applaudir poliment aux discours sur la bonne gouvernance, ose désormais regarder ailleurs, comparer, négocier, parfois claquer la porte. Quelle insolence. Pendant des décennies, il suffisait pourtant de brandir le mot démocratie comme un talisman pour sécuriser ports, minerais et marchés.

Puis est arrivé le moment de révélation, celui où l’Europe découvre, stupéfaite, que d’autres savent faire des affaires sans distribuer de bulletins de morale à l’entrée. Du 23 au 25 novembre dernier à Luanda, les nouveaux hérauts du souverainisme ont donc déclamé leur répertoire préféré : fin des leçons, place aux transactions. Traduction simultanée : moins de sermons, plus de signatures. Et tant pis si les anges quittent la salle, l’important reste que les contrats entrent en vigueur.

Devant ce miroir un peu cruel, l’Europe hésite. Continuer à parler de valeurs qu’elle range parfois dans un tiroir discret, ou se convertir franchement à la diplomatie brutale des intérêts nus, façon grand bazar géopolitique. Ici, pas besoin de réformes, pas d’élections trop propres, pas de rapports gênants. Juste des mines, des ports, du gaz, du blé, et quelques poignées de main bien huilées. La souveraineté devient alors un argument marketing, recyclable à volonté.

Évidemment, cette nouvelle élégance est présentée comme un immense respect des peuples africains. Respect si absolu qu’il s’arrête prudemment aux portes des prisons, des caisses publiques et des constitutions révisables à l’infini. Car il ne faut pas confondre indépendance et impunité. L’une élève, l’autre arrange. Et dans ce grand théâtre, chacun fait mine d’ignorer que le rideau finit toujours par tomber, souvent sur les mêmes spectateurs.

Le marché est pourtant séduisant. L’Afrique gagne des partenaires pressés, des financements expéditifs et des dirigeants rassurés. En échange, elle cède parfois ce détail encombrant qu’on appelle libertés. L’Europe, elle, conserve ses intérêts à court terme et perd lentement ce qui faisait encore illusion : une parole audible, une influence singulière, un semblant de cohérence. Mais qu’importe, se dit-on, tant que les flux commerciaux circulent et que les discours restent polis. Car la vérité, la vraie, celle qu’on préfère évoquer à voix basse dans les salons climatisés, est que l’on ne bâtit pas des alliances durables sur des putschs périodiques et un cynisme revendiqué comme ligne diplomatique. Troquer les valeurs contre des parts de marché ressemble toujours à une bonne affaire, jusqu’au jour où l’on découvre que le marché a changé de propriétaire, et que les valeurs sont parties avec la caisse.

Les relations euro-africaines ne se joueront pas dans l’encre tiède des communiqués, mais dans un choix simple et brutal : accepter un monde nouveau sans renoncer à ce qui évite de sombrer. Dans cette guerre d’influence où chacun se croit gagnant, beaucoup risquent de découvrir, avec un sourire crispé, qu’ils ont surtout appris à perdre avec assurance.

Jean-René Meva’a Amougou

NO COMMENTS

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here

Quitter la version mobile