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Banques / CDEC/COBAC : Ça joue au tir à la corde

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Le duel entre les trois parties ressemble à une intrigue de série télé où chacun jure vouloir « protéger l’intérêt général », tout en gardant un œil discret sur la caisse.

Les banques, habituées depuis des décennies à dormir sur des dépôts dormants, ironie du sort, voient soudain la CDEC (Caisse des Dépôts et Consignations du Cameroun) venir toquer à la porte pour les réveiller. Malheur : l’État veut désormais savoir où se trouvent ses sous, ce qui, convenons-en, met toujours un peu de tension dans une relation. Pour les banques, la création de la CDEC n’est pas seulement un irritant administratif : c’est un risque réel de voir fondre une partie de leur liquidité, un peu comme un coussin trop moelleux qu’on vous retire brusquement pendant la sieste. Ces fonds, consignations judiciaires, pensions oubliées, dépôts inactifs, constituaient un matelas confortable. On comprend donc qu’elles n’applaudissent pas à l’idée de les transférer vers une institution publique qui, de surcroît, ambitionne de financer le développement sur le long terme.
La CDEC, de son côté, campe tranquillement sur sa mission régalienne. Elle se voit déjà en grande ordonnatrice de l’épargne nationale, avec la noble tâche de transformer ces ressources parfois oubliées en investissements productifs. Infrastructures, logements, innovation : le tout avec la rigueur d’un notaire et l’enthousiasme d’un investisseur patient. Son discours est simple : « Je sécurise, je centralise, je développe ». Un mantra qui, forcément, donne quelques sueurs froides aux établissements bancaires qui préféraient jusque-là sécuriser, centraliser… pour leurs propres bilans.

Le choc de légitimités institutionnelles

Le différend qui oppose la CDEC aux banques commerciales dépasse largement la simple querelle administrative entre institutions. Il met en lumière les failles d’un système financier où cohabitent, parfois difficilement, une architecture bancaire communautaire et une institution publique nationale encore en quête de place et de ressources. À l’origine de la tension, une question sensible : la gestion des avoirs en déshérence. Ces fonds, souvent oubliés par leurs titulaires, représentent une ressource financière non négligeable. Pour certains observateurs, ils constituent même un enjeu stratégique pour la jeune CDEC, qui ne bénéficie pas encore des « ressources longues » habituelles des Caisses de Dépôts dans d’autres pays. C’est ce que souligne l’économiste Sylvère Martin Kamdoum, spécialiste des finances publiques : « Le problème est moins juridique que structurel. La CDEC s’appuie sur une loi nationale qui lui attribue un droit direct sur ces fonds, tandis que les banques invoquent la réglementation COBAC, qui prime sur les législations nationales en matière bancaire. Cette divergence de lecture crée mécaniquement un terrain conflictuel ». Autrement dit : chacun lit le même texte, mais pas avec les mêmes lunettes.
Pour un ancien cadre de la supervision bancaire, la confrontation était prévisible : « On ne peut pas superposer une institution nationale à un système bancaire communautaire sans clarifier les frontières. Le résultat, ce sont des collisions administratives et juridiques ».
Cette analyse rejoint celle d’Aline Nanga, juriste en droit financier communautaire. Elle évoque une « tension classique entre souveraineté nationale et intégration régionale » : « La COBAC supervise les banques, pas la CDEC. La CDEC applique une loi camerounaise, pas les règlements communautaires. Tant que cette dualité de tutelles persiste, chaque acteur défendra son périmètre. » Dans ce climat tendu, les actions engagées par la CDEC (procédures judiciaires, saisies, correspondances envoyées aux maisons-mères des banques) sont perçues par certains comme des mesures trop agressives pour un secteur qui repose avant tout sur la stabilité et la prévisibilité.
L’analyste indépendant Marc Dibango Ndome met en garde : « Les banques détestent l’incertitude. Si elles considèrent qu’une partie de leurs dépôts peut être retirée par contrainte, elles resserreront leurs conditions de crédit. L’impact pourrait se répercuter sur l’économie réelle».

La lettre (du 13 novembre dernier) du directeur général de la CDEC, Richard Evina Obam, accusant la COBAC d’être « instrumentalisée » illustre d’ailleurs ce choc de légitimité, désormais visible au grand jour. Au-delà des tensions actuelles, le débat montre surtout la nécessité de clarifier, voire d’harmoniser, les textes encadrant les avoirs en déshérence dans l’espace CEMAC. Tant que les acteurs évolueront dans des référentiels juridiques parallèles, le risque de friction restera élevé. L’enjeu n’est pas seulement de départager la CDEC et les banques, mais de sécuriser un environnement financier déjà fragilisé par la conjoncture. Un compromis fondé sur une lecture commune des textes, une meilleure coordination entre institutions nationales et communautaires, et une clarification du régime des fonds en déshérence apparaît indispensable.

Jean-René Meva’a Amougou

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