En ces heures sombres où le Cameroun, cette terre de nos ancêtres, est secoué par des convulsions violentes, une angoisse profonde et existentielle m’étreint. Au-delà de l’immédiateté des troubles, ce sont les fondements mêmes de la résilience quotidienne de notre peuple qui sont ébranlés, me poussant à une série de réflexions désolées sur le jour d’après.

I. L’asphyxie progressive : La fin des ressources vitales
La crise actuelle n’est pas seulement une rupture ponctuelle ; c’est un processus d’épuisement qui menace de laisser un vide derrière lui.
L’isolement numérique : Dans une économie de plus en plus dématérialisée, que deviendront nos concitoyens lorsque leurs forfaits téléphoniques, ce dernier lien avec le monde, l’information et les opportunités, arriveront à expiration ? Où trouveront-ils le capital, ne serait-ce que pour cette recharge vitale, quand les circuits économiques ordinaires sont paralysés ? Cette question, en apparence anodine, symbolise l’effondrement des réseaux de communication et d’échange.
La menace de la faim : Aujourd’hui, la préoccupation est dans les marmites. Mais que se passera-t-il demain, lorsque les dernières réserves seront consommées ? Cette angoisse est celle de la disette qui guette, du retour à une précarité alimentaire que l’on croyait révolue. C’est la peur de voir le repas familial, ce ciment social, devenir un luxe inaccessible.
II. L’anéantissement des filets de sécurité économique informelle
Le véritable drame se joue au niveau de ces millions de Camerounais dont la survie dépend d’une économie de débrouillardise et de courage, aujourd’hui méthodiquement démantelée.
Le sacrifice des mamans débrouillardes : Que dire de ces héroïnes anonymes, ces mères et ces filles qui, bravant les intempéries et l’inconfort, installent leurs braises et leurs comptoirs au bord des routes pour braiser du poisson, griller du plantain ou du maïs ? Elles ne sont pas seulement des commerçantes ; elles sont les piliers économiques de leurs familles, assurant la scolarité des enfants, les soins de santé et le loyer. Les voir aujourd’hui privées de leur outil de travail – leurs comptoirs réduits en cendres, leurs marmites brisées –, c’est assister à la destruction programmée de la résilience familiale. Comment, sans capital, sans soutien, pourront-elles se relever ?
III. La destruction du capital et l’héritage brisé de l’entrepreneur
Enfin, au-delà de l’économie de subsistance, c’est le tissu entrepreneurial camerounais qui est saigné.
La perte d’un patrimoine et d’un avenir : Comment mesurer l’ampleur du désastre pour ces compatriotes qui, après des années de labeur et de sacrifices, ont vu leurs boutiques, ateliers et petites entreprises systématiquement pillés, vandalisés ou réduits en cendres ? Ils ne perdent pas seulement un stock de marchandises ou un local ; ils voient s’envoler le fruit de toute une vie d’épargne, l’héritage qu’ils comptaient transmettre à leurs enfants, et l’emploi qu’ils procuraient à leur communauté. Leur demander « comment ils vont faire » revient à leur demander de recommencer à zéro, sans moyens, dans un environnement de défiance et de peur.
Conclusion : Une nation au bord du précipice
Ces questions ne sont pas rhétoriques ; elles sont le cri étouffé d’un peuple confronté à une régression sociale et économique dramatique. La véritable inquiétude n’est pas seulement dans les destructions visibles, mais dans l’effondrement silencieux qui suivra : l’appauvrissement généralisé, la perte de confiance, et la fracture durable du lien social. Le défi, pour le Cameroun de nos ancêtres, ne sera pas seulement de panser ses plaies, mais de retrouver les moyens de sa dignité et les ressorts de son espérance.
Dr BITANG Marcel Yves