Un score, une stratégie. Décryptage du politologue.
35 % pour Tchiroma, c’est un score historique. Qu’est-ce que cela révèle selon vous ?
C’est un tremblement de terre politique. Le Cameroun n’a pas l’habitude des surprises électorales, surtout venant d’un homme que beaucoup voyaient comme quelqu’un en panne d’arguments après avoir démissionné juste quelques mois avant le scrutin du 12 octobre 2025.
Vous parlez de vote « ventral » ?
Oui ! Les Camerounais n’en peuvent plus des discours sur les taux de croissance ou les autoroutes. Tchiroma a su transformer le désespoir collectif en capital électoral. Le peuple a voté avec son ventre, pas avec les bilans. Quand la marmite est vide, la macroéconomie devient une langue morte. Tchiroma a su parler ce langage oublié : celui de la faim. Il a fait de la pauvreté un sujet noble et de la misère un drapeau. C’est à la fois tragique et brillant.
Comment expliquez-vous son immense succès auprès de la diaspora ?
Il a retourné la question de la double nationalité à son avantage. Là où certains y voyaient une trahison, il en a fait un symbole d’ouverture. La diaspora s’est reconnue en lui parce qu’il est un pont entre deux mondes : celui du Cameroun des embouteillages et celui des papiers administratifs européens. Pour une fois, les Camerounais de l’étranger ont eu le sentiment que leur voix comptait.
Issa Tchiroma a souvent été moqué pour son style burlesque. Ce ton léger a-t-il joué pour lui ?
Absolument. Le Cameroun adore le rire, surtout quand tout va mal. Tchiroma a compris que l’humour est une arme politique redoutable. Il s’est présenté comme un candidat du bon sens, celui qui dit tout haut ce que tout le monde chuchote. Le peuple s’est dit : « Au moins, lui, il nous comprend ». C’est de la communication émotionnelle à l’état pur.
Peut-on parler d’un vote de rupture ?
Oui, mais pas idéologique. C’est une rupture de patience. Les Camerounais ne veulent plus qu’on leur parle de béton, ils veulent du bouillon. Ce vote est une gifle symbolique adressée au pouvoir central : « vos routes sont belles, mais nos marmites sont vides ». 35 %, c’est un bulletin d’humeur national.
Comment réagit le « système » à ce séisme ?
Avec incrédulité, comme vous pouvez l’imaginer. On fait semblant de ne pas comprendre, on cherche des causes techniques. Mais le message est clair : il existe un fossé entre la politique officielle et la réalité quotidienne. Tchiroma a mis le doigt ou la cuillère dans la plaie.
Et sur le plan sociologique ?
Ce score révèle un électorat en mutation. Les jeunes, les précaires, les citadins débrouillards, la diaspora : ils ont trouvé en Tchiroma une figure anti-système, mais joyeuse. Il ne promettait pas le paradis, juste de quoi survivre avec dignité. C’est ce réalisme qui a séduit.
Certains disent que c’est un vote de la dérision. Vous êtes d’accord ?
Oui, mais attention : la dérision n’est pas la bêtise. C’est la sagesse du peuple quand il a tout essayé. Quand on rit du pouvoir, c’est qu’on n’en a plus peur. Le burlesque de Tchiroma, c’est une forme de résistance douce.
Dernière question : que reste-t-il après ce séisme ?
Une évidence. Le Cameroun n’a pas changé de président, mais il a changé de conversation. On ne parle plus d’inaugurations, on parle de survie. Et ça, c’est déjà une révolution silencieuse.
Propos recueillis par JRMA
