Jamais scrutin n’a été autant scruté au Cameroun. Des collines du Nord aux collines de Yaoundé, des Grassfields aux forêts de l’Est, des smartphones aux salons enfumés, chacun y est allé de sa loupe et de son soupçon.

On a compté, recompté, tweeté, prié, crié. Mais au bout du compte, ce 27 octobre 2025, c’est le Conseil constitutionnel qui a eu le dernier mot. « Le candidat Biya Paul est donc proclamé président élu de la République, ayant obtenu la majorité des suffrages exprimés », a déclaré Clément Atangana, président du Conseil constitutionnel. Selon l’institution, Paul Biya a obtenu 53,66 % des voix contre Issa Tchiroma Bakary, qui a obtenu 35,19 % des suffrages. Cabral Libii a recueilli 3,41 % des voix, Bello Bouba Maïgari 2,45 %, Tomaïno Ndam Njoya 1,66 % et Joshua Osih 1,21 %. Les autres candidats (Caxton Ateki Seta, Jacques Bougha-Hagbe, Samuel Iyodi Hiram, Pierre Kwemo, Serge Espoir Matomba, Akere Muna) ne sont pas parvenus à franchir la barre des 1 % de suffrages obtenus.
Le Cameroun a donc voté. Ou plutôt, il a assisté, une fois encore, à la grande liturgie électorale : affiches rutilantes, meetings clairsemés, bulletins timides, puis cette longue attente où l’on guette le miracle d’une alternance que personne n’ose plus vraiment espérer. Et quand le verdict tombe, c’est comme une ritournelle qu’on connaît trop bien. Paul Biya, encore et toujours, gagne. Mieux encore : il triomphe là même où il n’est pas entendu, dans cette partie anglophone meurtrie où les voix du canon couvrent celles des urnes. Miracle ou ironie de l’histoire, le peuple a parlé — ou on a parlé pour lui.
Les observateurs internationaux, eux, notent la sérénité du scrutin avec la componction des diplomates bien élevés. La paix, disent-ils, est sauve. Le peuple, disent-ils, a choisi la stabilité. Mais derrière ces mots polis, chacun lit l’autre vérité : celle d’un pays figé dans un présent éternel, où la démocratie se conjugue au futur indéfini. On y célèbre la victoire du même homme depuis quatre décennies, avec la même ferveur officielle et la même lassitude populaire. À force de scruter le scrutin, on en oublie le scrutin lui-même.
Pourtant, quelque chose a changé, imperceptiblement. Ce n’est plus seulement la jeunesse qui s’interroge, c’est le pays entier qui soupire. Les blagues de taxi sur « l’éternel recommencement » ne font plus rire qu’à moitié. Même les plus fidèles des fidèles savent que l’histoire, un jour, demandera des comptes. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, on applaudit, on proclame, on remercie Dieu et le chef, en attendant que la poussière retombe. Car au Cameroun, l’élection n’est pas un acte de rupture, c’est un rituel d’endurance. Elle mesure moins la volonté du peuple que sa capacité à patienter. Chaque bulletin déposé dans l’urne est un soupir plié en quatre, chaque proclamation un poème d’immobilité. Et pendant que les chiffres défilent sur les écrans, la vie continue, obstinée : le taxi-moto klaxonne, la vendeuse de beignets sourit, et le fonctionnaire ajuste sa cravate pour la photo souvenir.
Jamais scrutin n’a été autant scruté…Et pourtant, jamais le pays n’a semblé si immobile. C’est peut-être là le plus grand paradoxe du Cameroun : un peuple éveillé dans un système assoupi. Le spectacle électoral s’achève, les acteurs saluent, les projecteurs s’éteignent. Mais la pièce, elle, ne change pas. Elle recommence. Et pendant que les commentateurs s’épuisent à débattre du score, la vraie question demeure : combien de temps encore le Cameroun pourrait-il danser sur place sans perdre le rythme ?
Jean-René Meva’a Amougou





