«Il y a toute cette économie du football qu’il faut développer»

Nous avons développé un certain nombre de réflexions sur l’industrie culturelle et d’autres évènements dans le cadre du développement de secteurs modernes pour promouvoir la diversification économique. Nous pensons que les évènements sportifs constituent une offre bien alléchante lorsqu’on commence à diversifier ces économies

Dans cette dernière série, le directeur par intérim du Bureau sous-régional Afrique centrale de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique lève un pan de voile sur les nombreuses possibilités qui s’offrent aux pays de la sous-région en capacité d’accueillir une CAN.

Jean Luc Mastaki

Dans le cadre de la décennie de la diversification économique en Afrique centrale, comptez-vous mener une action en vue de la prise en compte des évènements sportifs et culturels internationaux comme facteur de diversification des économies notamment pour le développement du commerce des services à travers l’industrie du sport, les infrastructures, l’investissement…?

Nous y travaillons déjà. Bien que le domaine sportif et culturel ne soit pas le plus visible de notre agenda. Lorsque nous nous exprimons, nous avons tendance à nous exprimer sur l’industrie agroalimentaire, les miniers, les pétroliers, l’économie verte etc.

Nous avons développé un certain nombre de réflexions sur l’industrie culturelle et d’autres évènements dans le cadre du développement de secteurs modernes pour promouvoir la diversification économique. Nous pensons que les évènements sportifs constituent une offre bien alléchante lorsqu’on commence à diversifier ces économies. La réflexion devrait embrasser toutes ces niches qui sont souvent oubliées. Parce qu’en fin de compte, non seulement le sport fait partie du secteur des services, il permet de faire fonctionner les services autour: l’hôtellerie, les centres de formation… tous les services autour de l’écosystème du football. Lorsqu’on regarde le secteur médical, les équipementiers, il y a toute une couche d’industrie qui se superpose pour qu’il y ait un secteur footballistique performant. Et donc, tout ça constitue un potentiel pour diversifier les économies.

Je crois que lorsqu’on commencera à voir la chose de cette façon-là, pour se poser la question du football a quel contenu local? Quelle quantité de matière première il prend au sein de l’industrie locale pour évaluer les emplois qu’il crée non seulement en amont, mais aussi en aval. Exemple: l’équipementier des Lions indomptables, après les débats sur puma et sur le coq sportif, quelle est la place du coton camerounais? Quelle est la place du textile camerounais? Il n’y a pas un secteur qui peut plus porter la réputation d’un pays que les grands évènements comme ceux-ci. S’il y a, à titre d’illustration, un grand engouement publicitaire, c’est parce que les gens savent que la CAN peut renforcer l’image de marque de certains produits. Et notre coton, notre secteur textile, ne peuvent-ils pas contribuer à relever cette image de marque en participant à développer les équipements des Lions ou de nos champions?

Il y a tout un tas d’opportunités dans ce secteur-là, du vestimentaire au textile pour qu’on puisse développer nos propres équipementiers qui portent les valeurs africaines.
À la télévision, on le voit, les maillots des Lions indomptables du Cameroun à ceux des Aigles du Mali en passant par les Éléphants de Côte d’ivoire, les motifs africains commencent à être visibles. Pourtant ce sont nos motifs culturels et pourquoi pour nos motifs culturels, nous ne pouvons pas engranger des bénéfices. Ceux qui protègent les droits de propriété industrielle et intellectuelle, ce sont des marques: puma, coq sportifs etc…

Où sommes-nous? Est-ce qu’on ne peut pas intégrer tout ça dans la stratégie de développement des chaînes de valeurs du textile africain pour pouvoir développer une industrie?
Et développer une industrie du textile c’est contribuer à la diversification économique nous amenant au-delà du focus sur les matières premières comme le dit le Consensus de Douala qui est notre théorie du changement ici à la CEA. C’est un aspect.
Un autre c’est le capital humain autour du football. Quelle est la part du capital humain africain dans la prise en charge médicale, la prise en charge technique. Au-delà des questions de passion autour des nationalités des uns et des autres, c’est la capacité à générer la richesse, mais aussi à la retenir à travers le sport. Lorsqu’on par des chiffres issus de certains championnats, c’est beaucoup de ressources qui sont générées, mais quelle quantité est retenue en Afrique? Oui, c’est nous qui consommons ces équipements, mais quelle est la part qui est restée chez nous?

Ces ressources resteront chez nous lorsque les équipements seront intégrés à l’industrie du textile. Lorsqu’une part importante de la valeur ajoutée sera restée ici et c’est comme cela qu’on lutte contre la pauvreté.

Avec les grands stades que nous regardons, on peut aussi se poser la question de la part des matériaux locaux qui ont contribué à la construction: l’industrie du bâtiment. On peut se rendre compte, avec les montants évoqués, c’est un marché faramineux pour l’industrie du ciment. C’est un marché faramineux pour l’industrie du sable. Quelle est la part de notre industrie de la construction? C’est toute la problématique de l’approvisionnement local. Lequel nous permet de créer la classe moyenne.

Toutes ces approches permettent au Cameroun de cimenter le processus d’industrialisation, le processus de diversification au Cameroun. On peut être très chauvin à parler du Cameroun, mais c’est toute l’Afrique centrale qui est visée. Quelle est la place du Made in Central Africa dans les services autour des compétitions? Qu’il s’agisse des services techniques, des services médicaux, le bâtiment et les infrastructures, les équipementiers. Nous n’avons certes pas encore les grandes marques en Afrique centrale. Mais ne fut-ce que déjà la part de notre coton et le faire valoir. Et nous ne sommes pas encore une fois en train d’exporter les emplois et de payer les impôts à l’extérieur au lieu de les payer chez nous?

Si nous observons le secteur du bois, le pétrole, c’est les mêmes questions. Quelle est la part du contenu local? Lorsque nous ne pouvons pas nos grandes marques à nous, quelle est l’incitation que nous donnons pour que les grands acteurs viennent s’installer et produire à partir de chez nous ?

C’est de cette manière que ça va rencontrer les réflexions que nous faisons ici chez nous en termes de cluster industrielle. Est-ce qu’à un moment, il ne faudra pas qu’un grand pays de football comme le Cameroun ne réfléchisse à mettre un écosystème ici pour que les grands fournisseurs de football viennent s’installer ici. Le Cameroun produit déjà beaucoup de coton pour que des industriels viennent fabriquer les équipements et autres consommables de communication. Le Cameroun regorge de beaucoup de startups pour produire les habillages technologiques et digitaux que nous observons.

Il y a toute cette économie du football qu’il faut développer. Lorsqu’on va vers le capital humain, quelle est la part de nos écoles de formation? C’est à la fois le public et le privé. Nous avons appris à dire à la CEA que le leadership n’est pas seulement public. Si les industries sont naissantes, on doit les accompagner.

Votre mot de fin Monsieur le directeur. Vive la CAN? Vive l’économie du football? Ou alors Allez les Lions?
Que l’Afrique gagne! Dans les conditions de prudence, de respect des mesures strictes, de respect des restrictions anti-Covid-19. Cela vaut la peine d’être heureux, mais dans la prudence c’est mieux.

Propos recueillis par
Remy Biniou

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