Depuis 2014, rien ne filtre sur l’argent encaissé annuellement par ces formations sanitaires.
700 milliards FCFA! À la mi-août 2022, le ministère des Finances (Minfi) avait bien voulu sortir ce chiffre de ses tiroirs. Le pactole représentait alors ce que perd annuellement le Trésor public du fait des transactions en espèces lors des paiements de services médicaux. Selon diagnostic établi par le Minfi à cette époque, l’origine du problème était bien connue : certains employés du secteur de la santé ont manipulé des failles dans le système manuel pour falsifier des données et commettre des fraudes. Pour espérer en finir avec ce «cancer généralisé», les pouvoirs publics, avec l’appui du gouvernement américain, envisageait alors de numériser entièrement le paiement dans les hôpitaux publics. Dans sa phase pilote, le projet était structuré autour de trois postes de recettes : paiement des consultations, des certificats médicaux et médico-légaux, ainsi que des frais mortuaires. «À travers cette ambition se profilait un mécanisme promoteur d’une vision globale des ressources financières réellement encaissées», soupire Matilde Essama.
À partir de l’observation des récurrences dans les jeux d’acteurs et les pratiques, cette économiste de la santé publique identifie ce qu’elle appelle «une contradiction institutionnelle». «De façon officielle, on connait la part de recettes que perd l’État chaque année. Seulement, en matière de recettes depuis presque 10 ans, on n’en sait rien», assume Matilde Essama. Elle martèle que les seules données disponibles sur l’argent encaissé par environ 2500 établissements hospitaliers publics implantés à travers le pays datent de 2014. Cette année-là, en effet, un audit avait été réalisé dans des formations sanitaires publiques de 1ere à la 4e catégorie par le Comité de Pilotage de suivi de la réalisation de l’audit des hôpitaux publics du Cameroun (sur décision du ministre de la Santé publique No 0131/D/MINSANTE/SG/DOSTS/SDOS du 27 mars 2014). Depuis lors, plus rien.
Arguments
Et le problème soulevé réside donc dans la non-publication exhaustive des entrées d’argent dans les caisses des hôpitaux publics du pays. Au Minfi, des arguments invoqués en faveur de la transparence, et au nom de la transparence, sont omniprésents dans la réponse portant sur les recettes dans les hôpitaux publics. «Sauf que, pour ceux-ci, il faut éviter une surveillance dysfonctionnelle parce qu’un hôpital public n’a pas à réaliser l’équilibre de ses comptes», explique (en off) un cadre. Si cette formulation est un point de départ intéressant, elle laisse également deviner que le cadre attaché à la protection des données sur les recettes est assez contraignant. «Les données sont disponibles mais y accéder se fait dans le respect des règles déontologiques de l’administration», informe-t-on au Minfi. «Dans un tel contexte, enchaîne Dr Albert Ze (un autre économiste de la santé publique), il n’est pas facile de poser un diagnostic ; puisque les procédures sont en même temps fort défaillantes, les mailles du filet bien larges, le tout faisant un foyer idéal pour les réseaux de détournements».
Jean-René Meva’a Amougou