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Herve Wouemetah : « La loi en question est méconnue par les praticiens »

En prélude à la tenue à Douala les 1 er et 2 novembre prochain, du séminaire sur la « Loi relative à la pénalisation du non-remboursement des crédits, trois ans après : bilan à mi-parcours », le Président du Centre régional d’arbitrage et la médiation du secteur financier jettent un regard sur l’application du texte et du niveau de son appropriation par l’opinion publique.

 

 

La loi fixant certaines règles relatives à l’activité de crédit dans les secteurs bancaires et de la micro finance au Cameroun promulguée le 24 décembre 2019 prévoit désormais que le non remboursement des crédits bancaires c’est-à-dire ceux accordés par les établissements de crédit et les établissements de micro finance. Avez-vous l’impression que son application a été efficace jusqu’ici ?

 De manière générale, la loi N° 2019/021 du 24 décembre 2019 fixant certaines règles relatives à l’activité de crédit dans les secteurs bancaire et de la microfinance au Cameroun et pénalisant le non remboursement des crédits, a été accueillie très favorablement par les professionnels de la banque et de la microfinance, en ce sens que sa seule existence constituait déjà une épée de Damoclès vis-à-vis des emprunteurs qui, en ayant eu connaissance, devraient œuvrer pour ne point verser dans la défaillance, au risque de se voir priver de liberté.

Cette loi qui a ainsi marqué un sérieux tournant dans l’écosystème bancaire avait aussi pour objectif de contribuer à réduire considérablement le volume des créances douteuses qui ne cessait d’augmenter en dépit de l’existence des mécanismes juridictionnels  classiques de recouvrement des créances. Or, trois ans après la promulgation et l’entrée en vigueur de ce texte de loi, l’on constate paradoxalement que les créances douteuses que le législateur croyait réduire par le truchement de ladite loi, ont plutôt connu une croissance, mieux une augmentation. Et à l’analyse, il apparaît que la loi en question est méconnue par les praticiens ou encore fait l’objet d’une diversité d’interprétation au sein de ceux-ci; certains établissements de crédit ou de microfinance ont engagé des procédures pénales qui n’ont pas prospéré au motif pris des difficultés de compréhension dont auraient fait l’objet les agents ou officiers de police judiciaire chargés de diligenter les enquêtes préliminaires consécutives aux plaintes. Des magistrats qui ne comprennent pas toujours les dispositifs processuels convoqués par le législateur pour régir les procédures de mise en œuvre de l’action pénale ; des avocats qui bien que nantis de la volonté d’accompagner leurs clients demandeurs ou défendeurs à l’instance, souffrent d’un déficit de compréhension des notions techniques et parfois complexes, tirées de la complexité même du droit bancaire ; ce qui a contribué à paralyser l’écosystème dans son ensemble. Il était par conséquent impérieux de mobiliser les praticiens autour du séminaire entrepris, à l’effet de convoquer les difficultés rencontrées dans la pratique et d’y apporter des solutions harmonisées. Il était aussi indispensable d’améliorer leur compréhension sur le contexte et le texte de loi en question, pour ainsi leur permettre d’accomplir efficacement les missions à eux dévolues dans le cadre de la mise en œuvre de la loi pénalisant le non remboursement des crédits bancaires et microfinanciers.

 

Pensez-vous que face au constat de l’indélicatesse des débiteurs d’une part et dans le souci de protection des droits des établissements de crédits d’autre part, le mérite national a donc adopté la loi N°2019/021 du 24 décembre 2019 fixant les règles relatives aux conditions d’octroi de crédit par les établissements bancaires et les microfinances au Cameroun, le procédé a procédé à travers ce texte de loi au durcissement des peines appliquées à l’encontre des mauvais emprunteurs ?

Son application est plus ou moins mitigée en raison des facteurs évoqués ci-dessus. L’on peut faire mieux et c’est la raison d’être du séminaire entrepris, car au-delà des critiques colorées de juridisme qui avaient inondé l’opinion publique au lendemain de la promulgation de cette loi, il est un idéal tiré de ce qu’elle est manifestement susceptible d’apporter un changement de mentalité ou de paradigme dans l’esprit des consommateurs des produits et services bancaires ou microfinanciers. La composition de l’équipe des panélistes qui animeront les modules du séminaire est d’autant éloquente qu’elle reflète nos réelles ambitions à apporter des solutions réelles aux problématiques qui seront soulevées à l’occasion de ces travaux.

 

Il a été démontré que le secteur informel représente la grande partie de l’économie des pays de l’Afrique subsaharienne et du Cameroun en particulier. Dans l’état actuel de cette législation, on ne voit pas à l’aide de quoi l’on peut prouver une insolvabilité intentionnelle. Que répondez-vous à cela ?

Fondamentalement, l’esprit qui a animé le législateur dans l’adoption de ce texte de loi était préventionniste ou dissuasif ; en réalité il ne s’agissait pas de voir absolument les débiteurs indélicats purger une peine privative de liberté pour cause de non remboursement, mais de les déterminer à la faveur des procédures pénales – qui sont plus dangereuses et coercitives que les procédures civiles – à s’exécuter de leurs obligations de paiement. Même si in fine, certains débiteurs récalcitrants qui s’obstineraient notamment à ne pas payer en dépit de la mise en œuvre des procédures pénales, pourraient être frappés des sanctions allant jusqu’à la privation de leur liberté. Le législateur a relativement été rigide à travers les peines privatives de liberté encourues, dans le seul dessein de sauvegarder l’épargne publique qui jusque-là souffrait sérieusement entre les mains des débiteurs indélicats avec pour conséquence éventuelle de déboucher sur les risques systémiques.

 

Entre la protection des libertés individuelles et la protection des intérêts socio-économiques, avez-vous l’impression que le camerounais a fait le choix de l’équilibre en donnant à ces derniers un instrument de pression ?

Les libertés individuelles sont contenues et proclamées dans la déclaration universelle des droits de l’Homme ; elles sont sacrées et fondamentalement protégées par les différents contextes nationaux.  Elles ne peuvent mieux s’exprimer que dans un contexte socio-économique propice à leur développement. Les agrégats économiques sont le socle par excellence du développement et l’on comprend mieux la philosophie du législateur qui par le truchement de cette loi, a davantage marqué sa volonté à préserver le tissu économique et partant le développement. Le remboursement spontané de leurs dettes par les débiteurs impacte positivement le développement socio-économique à travers la stabilité du système bancaire qui en est l’une des conséquences.

 

Propos recueillis par Jean-René Meva’a Amougou

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