Guerre Ukraine-Russie: l’Afrique tactique, l’Afrique stratégique

Le 20 juin 2022, Volodymyr Zelensky a parlé aux pays membres de l’Union africaine. En s’adressant à l’organisation panafricaine, le président ukrainien a surtout défendu sa version du conflit et des responsabilités dans la crise alimentaire subie par le continent. Volodymyr Zelensky a procédé à une forte diabolisation de son adversaire russe, avec l’espoir de mobiliser l’Afrique derrière son pays. La logique est ici plus subtile: l’Ukraine entend marquer son adversaire russe en réduisant sa capacité d’ «absorption» de l’Afrique. Pour ce faire, une double logique de «ralliement» est mise en œuvre: conserver les convaincus de la première heure et capter les indécis ou les déçus. Le but ici n’est pas de convaincre pour gagner des voix dans la durée mais plutôt de produire des discours alignés sur les thèmes du moment: sentiment anti-russe, dérèglement des économies et crise alimentaire en Afrique. «L’Afrique est l’otage de ceux qui ont commencé la guerre contre notre État», a-t-il lancé, en référence à la Russie. Comme effet d’aubaine, le dirigeant ukrainien a entrepris une offensive de charme. Après avoir rappelé la contribution de l’Ukraine aux missions de maintien de la paix en Afrique et les liens commerciaux qui l’unissent au continent, le président Volodymyr Zelensky a annoncé la nomination prochaine d’un envoyé spécial pour l’Afrique et proposé l’organisation d’une «grande conférence politique et économique Ukraine-Afrique».

En dépit des opportunités qu’il peut offrir, le projet ukrainien se heurte à une méfiance persistante, y compris de la part d’États africains (supposés à tort ou à raison) très proches de Kiev. Au niveau stratégique, en tout cas, la priorité est ailleurs: «Nous ne sommes pas vraiment dans le débat de qui a tort, qui a raison. Nous voulons simplement avoir accès aux céréales et aux fertilisants», comme l’a si bien énoncé le président en exercice de l’UA et président du Sénégal, Macky Sall.

Au niveau tactique, la question du pourquoi s’affirme ici comme essentielle. L’Afrique est en train d’équilibrer l’équation «fins, voies, moyens» pour sa sécurité alimentaire. La guerre entre l’Ukraine et la Russie étant un duel à vaste échelle, l’aspect global de la position africaine porte au-delà des contingences immédiates. Mieux vaut donc, pour les Africains, se rappeler le précepte du maréchal Montgomery: «Rendre tactiquement possible ce qui est stratégiquement désirable».

Oui! Stratégie et tactique, l’Afrique se trouve à l’une comme à l’autre extrémité. Et la position qu’elle adopte depuis le déclenchement de la guerre entre l’Ukraine et la Russie semble bien rechercher la meilleure efficience opérationnelle. Celle qui évite la bataille ou en la réduisant au minimum, celle qui privilégie la manœuvre dans les différents espaces de la guerre, celle qui attend l’essentiel de la décision des protagonistes, celle qui recherche une situation avantageuse permettant au mieux d’imposer sa volonté. Évidemment, tout en restant capable d’ouverture et soucieux de coopération internationale, l’objectif revient à ne froisser ni la Russie, ni l’Ukraine.

En tout cas, l’Afrique, sans le savoir, détient les clefs d’une nouvelle donne. La guerre entre la Russie et l’Ukraine devrait rappeler au continent la nécessité d’inventer une nouvelle forme de partenariat, plus agile, plus structuré, plus ambitieux aussi. Moscou cherchant à bâtir une alternative au monde de Bretton Woods, tandis que l’Occident s’accrocherait aux acquis du passé, l’Afrique serait bien inspirée de mettre les pendules à l’heure avec la définition d’une méthode et d’un agenda qui lui seraient favorables. Pourquoi ne pas commencer maintenant en profitant des angoisses qui, de part et d’autre, travaillent l’Occident et la Russie.

Jean René Meva’a Amougou

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