Guerre russo-ukrainienne : les incidences économiques et politiques sur l’Afrique

Pour Mbandomane oyono Paul, analyste des relations internationales, même si l’éloignement géographique du conflit crée une certaine distance émotionnelle chez plusieurs Africains, cette guerre produit des incidences directes et indirectes qu’il faut adresser.

Alors que l’Assemblée générale des Nations unies (ONU) a adopté, mercredi 2 mars, à une écrasante majorité (141 Etats sur 193), une résolution condamnant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, dix-sept Etats africains se sont abstenus et sept autres, absents, n’ont pas pris part au vote. 28 pays africains ont voté en faveur de la résolution condamnant l’invasion russe. Quelque 17 pays africains se sont abstenus lors du vote à l’Assemblée générale de l’ONU. Il s’agit de l’Afrique du Sud, de l’Algérie, de l’Ouganda, du Burundi, du Sénégal, du Sud-Soudan, du Mali et du Mozambique.

Les autres pays étaient le Soudan, la Namibie, l’Angola, le Zimbabwe, la Guinée équatoriale, la République centrafricaine, Madagascar, la Tanzanie et le Congo. L’Érythrée est le seul pays africain à avoir voté contre la résolution. 8 pays africains n’ont pas voté, dont le Maroc.

L’Afrique serait-elle indifférente ?

Même si l’éloignement géographique du conflit crée une certaine distance émotionnelle chez plusieurs Africains, cette guerre produit des incidences directes et indirectes qu’il faut adresser. Elle met aux prises de grandes puissances, ce qui, comme souvent en Afrique, provoque un réflexe de non-alignement. Mais plus que ces abstentions ou le vote isolé de l’Erythrée contre la résolution, ce qu’il faut retenir, c’est la condamnation massive par des pays africains de l’invasion russe qui montre qu’une majorité de pays africains tiennent au principe d’intangibilité des frontières et au respect, par les grands pays, de l’intégrité territoriale des petits Etats.

Le conflit Russo-Ukrainien survient alors que l’Afrique s’efforce de mettre son économie sur la voie de la reprise, dans un contexte de pressions inflationnistes mondiales et de volatilité des marchés financiers et des matières premières. Alors que les exportateurs d’énergie vont pouvoir profiter de la crise, d’autres, comme le Maroc, seront durement touchés par la flambée des prix de l’énergie et des denrées alimentaires, ce qui va accentuer leurs déséquilibres extérieurs et leurs inquiétudes à propos de la hausse des prix et de l’évolution de la dette publique. L’invasion de grande ampleur de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 aura donc des répercussions politiques et économiques majeures sur le reste de la planète qui se feront sentir au cours des mois et des années à venir.

États des lieux

Selon Policy Brief – N° 11/22 – Février 2022, les perspectives économiques de l’Afrique n’étaient déjà pas favorables avant l’invasion. L’Afrique reste très exposée à la pandémie et, selon la BM (2022), le revenu par habitant dans la plupart des pays africains restera inférieur aux niveaux pré-pandémiques, au moins jusqu’en 2023. L’inflation médiane a été annoncée à 5,1 % en glissement annuel à la fin de l’année 2021. L’Afrique, et notamment du Nord, est particulièrement touchée par les prix élevés des denrées alimentaires qui représentent près de 40 % du budget des ménages dans de nombreux pays. Les niveaux de pauvreté, mesurés à 1,90 dollar par jour, sont passés de 34 % avant la pandémie à 39 % (Perspectives économiques en Afrique 2021). Selon la classification de la Banque africaine de développement (BAD), les 43 pays africains importateurs d’énergie souffrent aussi indirectement des prix élevés du charbon, du gaz et du pétrole, car ils augmentent les coûts de production des engrais et des denrées alimentaires qui sont tous deux à forte intensité énergétique.

Les incidences sur le continent Africain

Du point de vue économique :

Sur les 54 pays que compte l’Afrique, 11 sont de grands exportateurs d’énergie et les autres sont des importateurs nets d’énergie, ou en quasi-autosuffisance. Pour illustrer les effets de la guerre sur l’Afrique, nous nous concentrerons sur six grandes économies. Trois sont des exportateurs d’énergie : l’Algérie, l’Angola et le Nigeria. Deux sont proches de l’autosuffisance énergétique : l’Égypte et l’Afrique du Sud. Le Maroc, pour sa part, est fortement tributaire des importations d’énergie et de denrées alimentaires. Ces six économies représentent ensemble plus de 60 % du PIB africain. Les exportateurs de pétrole tireront de gros bénéfices de la hausse des cours du pétrole et du gaz de ces dernières semaines, sachant que les exportations de pétrole de l’Algérie représentent 18,9 % de son PIB, celles de l’Angola 36,5 % et celles du Nigeria 10,3 %. Ainsi, une augmentation de 20 à 30 % des cours du pétrole et du gaz, correspondant à ce qui a été observé ces derniers mois, si elle se maintient, entraînera une hausse de 4 à 6 % du revenu national de l’Algérie. Si ces pays sont également dépendants, à des degrés divers, d’importations de denrées alimentaires (le Nigeria étant le moins dépendant), le coût supplémentaire de la hausse des prix des denrées alimentaires serait éclipsé par les gains réalisés sur les exportations d’énergie.

Les effets de la guerre sur les importateurs d’énergie africains, qui ont également tendance à être des importateurs de produits alimentaires, sont fortement négatifs. Le Maroc est la plus grande économie africaine la plus susceptible de subir un choc négatif important du fait de la guerre, car ses importations de pétrole, de gaz et de charbon représentaient 6,4 % du PIB en 2019, soit environ le double de celles de l’Égypte et de l’Afrique du Sud, qui réalisent également d’importantes exportations d’énergie. Le Maroc est également un gros importateur de céréales. Le coût des céréales importées en tant que part du PIB s’élevait à 1,4 % en 2019, mais en raison d’une mauvaise récolte attendue en 2022, les importations pourraient être deux fois plus importantes, soit trois fois plus importantes que celles de 2021. Cela signifie que l’effet combiné de la hausse des cours du pétrole et des céréales, s’il se maintient, pourrait coûter au Maroc entre 1 et 2 % du revenu national cette année.

Du point de vue politique :

Moscou et l’Afrique ont déjà entretenu par le passé, au moment de la Guerre froide, des relations d’influence très fortes. En 2019, un grand sommet « Russie-Afrique » à Sotchi en octobre était co-présidé par Vladimir Poutine et son homologue égyptien Abdel Fattah al-Sissi réunissant une trentaine de Chefs d’Etat Africains. La présence russe en Afrique se traduit aussi sur le plan militaire voire paramilitaire avec la société de sécurité privée Wagner.

Le président en exercice de l’Union Africaine et le président de la Commission de l’Union Africaine exhortent les deux parties à l’instauration d’un cessez le feu et à l’ouverture de négociations politiques sous l’égide des Nations Unies, afin de préserver le monde des conséquences d’un conflit planétaire, pour la paix et la stabilité dans les relations internationales au service de tous les peuples du monde. L’Union africaine s’est également déclarée préoccupée par les informations selon lesquelles des Africains en Ukraine se verraient refuser le droit de traverser la frontière pour se mettre en sécurité. Toutefois, la réaction du Continent semble mitigée, car cette réticence pourrait s’expliquer par l’intensification de la « cour que la Russie fait aux dirigeants africains » ces dernières années, y compris le renforcement du soutien militaire et du renseignement par la Russie. Les dirigeants africains mettent donc peut-être en balance leur engagement individualiste en faveur de la souveraineté et de l’intégrité territoriale et le soutien matériel et militaire concret d’un dirigeant dont ils soupçonnent les intentions, mais dont le soutien sans conditions s’est avéré utile.

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