Grande consommation : Les fans zones, nouveaux champs de bataille des brasseurs
Mis sur pied à l’occasion de la CAN 2021, ces lieux de grande ferveur sportive tapent à l’œil des fabricants de bières basés au Cameroun.
Ébolowa, lieu-dit «Angale» ce 21 janvier 2022. Des commerciaux d’une société brassicole passent partout où se trouve un fan zone. Objectif: convaincre les promoteurs de ces «lieux d’ambiance CAN» de référencer leur bière. Hier 20 janvier, apprend-on, le chef de secteur d’une autre enseigne brassicole a remporté une victoire clé au «Carrefour Tam’e Zu» (Ebolowa 2e). «J’ai pu obtenir que le plus grand fan zone de la ville ait son toit, ses chaises et ses murs peints aux couleurs de notre produit dont la qualité ne souffre d’aucune contestation au niveau international depuis des siècles», vante notre interlocuteur. Et selon lui, cette tendance se poursuit «jusqu’à la finale de la CAN, même s’il y a plusieurs scénarios qui circulent dans nos têtes».
À Nkoabang (banlieue de Yaoundé), dans la fan zone nichée au lieu-dit «Mba’asan», une grosse bouteille et son étiquette surmontée du logo de la CAF trônent. «Actuellement, les ventes de notre produit phare depuis le début cette CAN progressent de 10% dans cette localité», relève quelqu’un qui se présente comme «Point focal Nkoabang». Au passage, ce dernier signale que «ça joue vraiment serré puisque c’est un marché d’environ 1 000 consommateurs quand nos Lions Indomptables jouent». À l’épreuve de la confrontation, ce chiffre n’est pas systématiquement démenti par quelques promoteurs de fans zones de Yaoundé.
Explications
Dans l’absolu, cette boutade est anodine. Mais en creusant un peu, elle révèle une guerre sans merci que les sociétés brassicoles basées au Cameroun se livrent par réclames interposées depuis le début de la CAN et avec la prolifération de fans zone à travers le pays. «Dans ces lieux à forte concentration humaine les jours de grandes affiches, les défis lancés par les brasseurs sont complexes; puisque chaque marque de bière veut s’approprier tous les fans zones par le moyen de l’orchestration stratégique créant ainsi une multitude de situations inédites», postule Michel Ndjeng, économiste. Il poursuit: «le positionnement économique des fans zones ayant répondu à une réelle attente sociale, constitue un indicateur suffisamment distinctif et pertinent que les brasseurs exploitent, parce que justement, en un mois de CAN, les fans zones deviennent un vecteur de compétitivité majeur entre les bières, parce que justement le marché de la bière est vaste».
Quoi qu’il en soit, il s’agit bien d’une guerre ancrée dans un périmètre d’image économique de proximité. «En ciblant les fans zones, les promoteurs passent par une recomposition des stratégies et des discours avec l’intégration d’innovations souvent tactiques», prouve Michel Ndjeng. «Voyez-vous, dit-il, un brasseur vous dit que c’est lui qui fabrique la bière officielle de la CAN. Pendant ce temps, un autre vous apprend qu’il est le supporter N°1 des Lions Indomptables. D’un côté comme de l’autre, chacun cherche à brouiller les cartes stratégiques de celui qui se positionne comme son concurrent, en intensifiant les difficultés de référencement de ce dernier».
Drames
Dans cette bataille, les fans zones deviennent des espaces d’application de plusieurs schémas du marketing concurrentiel. Selon des indiscrétions obtenues à Ébolowa, par exemple, un drame s’est noué sur le site de la fan zone de Ngalan. Des récits concordants indiquent que deux sociétés brassicoles de la place ont dû faire mousser la colère du préfet de la Mvila. Ce dernier, signale-t-on, a dû suspendre le site pour «atteinte à l’ordre public». La chronique rappelle qu’un brasseur aurait misé sur la modicité de la somme remise au propriétaire du site par un autre brasseur.
À en croire d’autres informations difficilement vérifiables, quelques maires promoteurs de fans zones ont été approchés par des sociétés brassicoles. Celles-ci auraient versé de copieux pécules à certains élus locaux pour s’assurer l’exclusivité de la présence de leur marque lors des matches des Lions Indomptables.
Jean-René Meva’a Amougou à Ebolowa
