Gouvernance : L’Union africaine charge l’Afrique centrale

Un rapport de l’organisation continentale, publié le 2 mars dernier, dénonce le recul de l’Etat de droit dans la région. 

La dernière conférence des Chefs d’Etat de la Ceeac remonte à 2016

«L’Afrique centrale a besoin d’un choc de gouvernance pour réveiller le potentiel dormant dont elle est dotée». C’est l’une des principales conclusions du rapport sur la gouvernance en Afrique. La première édition a été présentée le 2 mars dernier à Pretoria en Afrique du Sud. Le rapport de l’UA est une production du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (Maep), un organe spécialisé de l’organisation continentale.

Forte dépendance aux matières premières, aggravation des inégalités, stagnation et recul en matière de démocratie, absence de perspective pour la jeunesse, corruption en état de noce… Voilà autant de maux dont souffre l’Afrique centrale, selon le Maep.

Indicateur
La mauvaise gouvernance coûte cher à la sous-région. Dans l’indice Mo Ibrahim sur la gouvernance en 2018, plusieurs grands pays, parmi lesquels figurent la RDC et le Cameroun, sont considérés comme étant dans un état de «détérioration croissante» sur la période 2008-2017. En ce qui concerne le respect des droits de l’homme, selon plusieurs ONG, l’Afrique centrale a également pris du retard par rapport à ses voisins. L’indice de développement humain des Nations unies, un indicateur prenant en compte un large éventail de marqueurs tels que la santé, l’éducation et la dignité, montre également que cette partie du monde est à la traîne — la République centrafricaine se classe au dernier rang mondial (188e), tandis que la RDC est 176e.

La région a connu la plus faible croissance du continent en 2017 (0,9 %), après une année déjà très difficile en 2016 (0,1 %). Bien que 2018 ait été meilleure, les taux restent inférieurs à ceux du reste du continent (3,6 %). Cette faiblesse est due, en grande partie, aux économies qui dépendent encore fortement des matières premières abondantes dans de nombreux pays de la région. La chute des prix et de la demande a eu un impact dévastateur. Bien que ces chiffres cachent un certain degré de disparité (l’effondrement de la Guinée Équatoriale et la stabilité relative de la République centrafricaine), les résultats dans tous les États sont bien en deçà des attentes et des besoins, notamment pour compenser une forte dynamique démographique.

La région est la moins intégrée du continent en matière d’échanges intracommunautaires (2,5 %). L’Afrique centrale dispose du niveau d’inégalité, selon le rapport 2018 de l’UA, sur le développement. Le même rapport indique que les perspectives d’emplois pour les jeunes sont plus de l’ordre du sous-emploi, quand ils ne sont pas au chômage. Tout ceci se passe dans un niveau de protection sociale en deçà des standards.

Recommandation
L’Afrique centrale est l’une des régions les moins stables en sécurité du continent. Entre extrémisme violent, crises sociopolitiques, voire socioéconomiques et banditisme transfrontalier, la région est en riposte sécuritaire et humanitaire. Avec 3 opérations de maintien de la paix, 5 grands foyers de réponses humanitaires et des mécanismes de dialogue politique dans la quasi-totalité des pays, il est évident que la quiétude est une réalité en quête dans cette région.

Pour venir à bout du sombre tableau, l’Union africaine (UA) invite les leaders de cette région à réorienter le logiciel de gouvernance. Pour Eddy Maloka, directeur général du Mécanisme africain d’Évaluation par les Pairs (MAEP) « la bonne gouvernance est la solution aux problèmes du continent africain. Les défis en matière de paix et de sécurité traduisent surtout des problèmes de gouvernance, telle la gestion des élections. Même les problèmes liés au terrorisme, à la gestion de la diversité, au développement ont trait à la gouvernance. En Afrique, la bonne gouvernance facilite tout, sinon il y a des blocages. C’est la clef ! La gouvernance judicieuse permettra à l’Afrique d’être reine du siècle ».

Zacharie Roger Mbarga

Gouvernance économique

Aggravation de la pauvreté et des inégalités 

Malgré des tentatives de croissance, la corruption, le chômage et la diversification insuffisante transforment l’écosystème économique de l’Afrique centrale en reproducteur des classes sociales.

Le processus de création des richesses en Afrique centrale échoue à assurer une redistribution juste des gains à la croissance économique. Voilà pourquoi il n’y a que très peu de corrélation entre les avancées économiques tant vantées et le vécu des populations. «Au cours de la décennie écoulée, marquée par la forte croissance économique du continent, la transformation structurelle de l’Afrique centrale s’est avérée quasi nulle», indique le rapport.

La construction des infrastructures est insuffisante pour garantir l’accès à l’eau courante, à l’électricité et à la pleine mobilité aux citoyens. Selon les chiffres de l’Agence intergouvernementale panafricaine, Eau et Assainissement pour l’Afrique (EAA), 1 habitant sur trois en Afrique centrale a de l’eau de manière permanente. Le taux d’électrification, à en croire le Pool énergétique de l’Afrique centrale (Peac), est d’environ 13 %. Le chômage, malgré une concurrence des chiffres, est assez élevé.

Fracture
Dans un contexte où l’on s’attend à une croissance de + 30 % de la population de la région en âge de travailler (15-64 ans) sur les dix prochaines années, la détérioration de l’environnement des entreprises est alarmante. Les faiblesses structurelles de la plupart des pays en offre d’emplois décents à la population en âge de travailler sont toujours plus nombreuses. L’accès à un emploi est parfois lié à ses origines ethniques ou sociétales.

En milieu rural, ces conditions sont encore deux fois plus difficiles. L’absence de décentralisation et d’investissement dans les localités contraint soit à la conversion à une activité de survie, soit à l’aventure urbaine à travers l’exode rural. Pour Nathalie Delapalme, directrice générale de la Fondation Mo Ibrahim, un tel environnement est «une industrie à disparités».

Le rapport du Maep invite les pays de l’Afrique centrale à la diversification économique, à la transformation structurelle et à la croissance de la productivité. De tels progrès exigent d’investir dans des activités à plus forte productivité, dans les secteurs et entre les secteurs, notamment vers l’industrie manufacturière, l’agriculture moderne et les services. De tels changements créeraient des emplois stables et productifs et une répartition plus équitable des revenus.

Zacharie Roger Mbarga

Gouvernance politique

Le glissement autoritaire

Moins de contre-pouvoirs, d’expressions, de redditions des comptes, l’Afrique centrale noie ses avancées provisoires en démocratie. 

Les rapports successifs de l’Onu sur l’Afrique centrale soulignent un durcissement des autorités de la région

La principale critique du rapport sur la gouvernance est la reconstitution des États-personne. « Plusieurs États ont vu les pouvoirs de leur dirigeant s’accroitre sans cesse depuis les dernières années», observe-t-il. Face à des institutions « renouvelables », le Maep s’inquiète du renforcement des prérogatives des dirigeants. Plusieurs pays ont revu leur constitution ces dernières années, tout en verrouillant la primauté du chef. En l’absence de certains, il est parfois difficile d’assurer autre chose que le service minimum de l’État.

Pour le Maep, c’est là le fondement de la non-adhésion de certains pays membres de l’UA à son mécanisme d’évaluation qui se veut participatif. En effet, seuls 38 États ont adhéré, et à peine 20 ont été évalués. En Afrique centrale, le Tchad est l’unique pays à être passé en revue.

Inclusion
En Afrique centrale, les contre-pouvoirs n’ont pas une grande marge de manœuvre. Le rapport souligne à cet effet l’existence inopérante de la société civile, à travers la récurrence des restrictions ou le peu d’implication de celle-ci dans la conception et la mise en œuvre des politiques publiques. L’inclusion de la société civile est un levier essentiel pour l’instauration d’une gouvernance redevable face aux populations.

Le fonctionnement des institutions reçoit un net satisfecit, notamment avec la stricte application du respect de la position de l’Union africaine (UA) sur les changements anticonstitutionnels de gouvernement. Cette pondération est contradictoire aux observations de l’indice Mo Ibrahim. Le rapport Mo Ibrahim craint que les timides évolutions démocratiques dans la région ne se consument progressivement. À titre d’illustration, les lendemains d’élections dans certains pays ont vu des opposants être mis sous pression, voire emprisonnés, comme à Brazzaville.

En outre, on la longévité. La région compte déjà plusieurs des chefs d’État les plus «durables» du continent et de la planète. «La raison en est précisément que la corruption et l’absence de règle de droit permettent de tels abus, ce qui signifie que ces abus sont l’effet plutôt que la cause. Des élections crédibles sont le résultat d’États dotés d’une bonne gouvernance et non le point de départ», tranche Nathalie Delapalme, lors de la présentation du rapport du Maep à Pretoria.

L’absence d’un système judiciaire indépendant et les ressources limitées qui lui sont allouées sont au cœur des difficultés rencontrées dans ce domaine. La justice est le parent pauvre des États de la région. Les programmes d’assistance internationale existent dans de nombreux domaines, de la sécurité à la santé ou à l’éducation, avec des degrés d’efficacité différents, mais rarement dans le domaine de la justice. Et les pays d’Afrique centrale continuent d’accumuler de mauvais indicateurs.

Selon la Fondation Mo Ibrahim, le système judiciaire est l’un des plus faibles du monde. « Un système de justice quelque peu fiable est fondamental, tant pour les gros investisseurs que pour les petites et même les très petites entreprises. Sans moyens judiciaires, ils ne peuvent pas sécuriser leurs avoirs, qui sont à la merci des puissants et des corrompus. Dans ces conditions, tout décollage économique est impossible» a indiqué, lors du lancement du rapport, un représentant d’une société française basée à Bangui.

Zacharie Roger Mbarga

 

Gouvernance sociale

Des services sociaux à adapter 

Le système de formation et l’infrastructure sanitaire doivent obéir aux besoins du marché de l’emploi et à la demande en soins de santé.

 

Du rapport de l’UA intitulé « Dynamique du développement en Afrique», on apprend que « le taux de scolarisation primaire (68 %) est positif, malgré le faible taux de scolarisation secondaire (25%), et pourrait encourager plus d’investissements. Depuis 1999, le taux de mortalité infantile a été réduit d’environ 50% dans presque tous les pays, à l’exception du Tchad et de la RDC. Les zones rurales demeurent défavorisées, comme le montre l’exemple du Cameroun, où 86 % des citadins ont accès à l’électricité, contre 22 % seulement des ruraux. Par ailleurs, l’accès à Internet reste faible, 10 % de la population, par rapport au reste du continent, qui est à 24 % ».

De nombreux Africains n’ont toujours pas accès à l’éducation de base : environ 34 millions d’enfants d’âge primaire (6-11 ans) ne sont pas scolarisés ; sur ce total, 45 % n’iront jamais à l’école, 37 % sont scolarisés tardivement et 17 % décrochent. En 2015, 6 % seulement des Africains étaient inscrits dans l’enseignement supérieur. Un jeune d’Asie de l’Est et du Pacifique a quatre fois plus de chances d’atteindre ce niveau d’enseignement qu’un jeune Africain.

Professionnalisation
La qualité de l’éducation continue de poser un sérieux problème pour le marché de l’emploi en Afrique. Au sud du Sahara, 61,4 % des jeunes travailleurs n’ont pas le niveau d’instruction requis pour être productifs au travail.
Plus de 10 % des élèves inscrits au secondaire en Afrique suivent des filières techniques et professionnelles (EFTP). Mais les programmes d’EFTP ne bénéficient en moyenne que de 2 à 6 % des budgets de l’éducation. En Afrique subsaharienne, 7 % seulement des étudiants du supérieur optent pour des études de science, technologies, ingénieries et mathématiques (STIM).
L’Afrique centrale obéit à cette logique. Dans plusieurs pays, les facultés d’arts classiques et les écoles d’administration continuent d’être auréolées du prestige.

Genre
En Afrique centrale, le marché du travail paraît moins inégalitaire que sur le reste du continent. À l’exception du Gabon et de Sao Tomé-et-Principe, tous les pays de la région ont un taux d’emploi féminin largement supérieur à la moyenne de l’Afrique. Par ailleurs, le secteur agricole emploie un peu plus d’une femme pour un homme, montrant que les femmes parviennent à mieux s’intégrer dans les activités économiques alimentaires. Toutefois, comme le fait observer le rapport « ces activités proposent des emplois à faible valeur ajoutée, mais plus flexibles, favorisant l’intégration des femmes sur le marché du travail».

Zacharie Roger Mbarga

 

Maep en bref 

Le Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (Maep) est un organe spécialisé auquel adhérent volontairement les États membres de l’Union africaine en tant que mécanisme africain d’évaluation consensuelle de la gouvernance. Créé en mars 2003, le Maep concourt à la mise à niveau réciproque, et à l’instauration des bonnes pratiques en matière de stabilité politique, de croissance économique, de développement durable et d’accélération de l’intégration économique.
L’adhésion du Botswana, lors du dernier sommet de l’UA, a porté le nombre de membres du forum du Maep à 38. À ce jour 20 pays ont été évalués, dont le Tchad, le Ghana, le Kenya, le Mali, le Mozambique, le Nigéria, le Sénégal et l’Afrique du Sud. Le Kenya et l’Ouganda ont été évalués deux fois.

Organisation
Le président du Tchad, Idriss Deby Itno, assure la présidence en exercice du forum du Maep. Le Pr Eddy Maloka en est le directeur général. Pour son fonctionnement, le Maep comporte 3 organes : le forum (instance suprême où siègent les leaders des États ayant volontairement adhéré au MAEP) ; le secrétariat (organe exécutif ayant à sa tête un CEO) ; le panel (de 7 éminentes personnalités, élues pour un mandat de quatre ans). Pour mettre en œuvre les recommandations issues des évaluations du Maep, les pays africains mettent en place des mécanismes de suivi qui intègrent les organismes nationaux de gouvernance.

Revitalisation
Dans le cadre de la réforme de l’UA, le Maep s’est vu confier le mandat d’évaluer annuellement l’état de la gouvernance en Afrique. Peu efficace, le budget du Maep a été réévalué passant ainsi de 5 001 700 dollars US (2,9 milliards de francs CFA) en 2017 à 15 539 337 dollars US (10 milliards de francs) en 2019.

 

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