Les vertus d’une espèce bovine, repérable uniquement dans ce village du département du Diamaré (région de l’Extrême-Nord), sont commentées un peu trop fort par plusieurs bouches. Votre journal est allé au plus près de cette «star».
Nourou Mallam élève des vaches godola dans une sorte de petit paradis. Jugez un peu: elles vivent en liberté, avec des abris à disposition, des herbes variées leur permettant d’éventuellement se soigner elles-mêmes. Dans sa ferme sise à Godola Garré (village situé à trentaine de kilomètres au nord de Maroua), ce 6 juin 2023, il s’avère que nous ne sommes pas face des animaux mais à des êtres sensibles et intelligents. Si c’est à nous de le découvrir ce jour, Nourou Mallam le sait depuis longtemps. Pour le jeune peulh, entre ses vaches, il y a des amitiés; des inimitiés aussi. Sur le coup, il souligne des manifestations de solidarité, de bienveillance entre ses animaux. Il fait également remarquer la grande palette de vertus existant chez les vaches. «Elles bavardent, contemplent la nature et, comme nous, elles apprennent à leurs petits comment survivre», confie-t-il. Si on peut lui reprocher de trop appliquer aux vaches un comportement humain, vite, l’on se rend compte qu’il a raison. Oui, les vaches de Nourou Mallam font du baby-sitting et rendent service aux copines. En témoigne l’une qui garde un veau autour d’elle tandis que sa mère est partie paître un peu plus loin.
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Ici à Godola Garré, l’élevage de la vache godola pour la viande s’inscrit dans une longue tradition. Dans leurs habitudes, les éleveurs locaux la laissent vivre en plein air, sauf pendant les mois de pluies. L’animal se prélasse en troupeau; les petits pâturent aux côtés de leur mère neuf mois durant. Selon des descriptifs concordants, la vache godola arpente des zones humides, qui sans éleveurs seraient laissées à l’abandon et se dégraderaient. Toute sa ration est produite sur la ferme: grains de maïs, herbe, mil rouge et paille. Rien de tout cela n’est génétiquement modifié, rien n’est enrichi en hormones ou en farines animales. Elle ne reçoit jamais d’antibiotiques de sa vie. Ses déjections viennent alimenter le sol en fumier, qui constitue un excellent substitut aux engrais liquides importés.
Au fil du temps, l’élevage de vache godola s’est progressivement développé ici à Godola Garré. Il est devenu, aujourd’hui, une spécialisation et une quasi monoproduction locale. «Avec 500 têtes comptabilisées à ce jour, on relève que l’effectif a été multiplié par 5 en seulement 2 ans. C’est un travail de longue haleine qui a donné des résultats puisque aujourd’hui, on a dépassé le stade de la sauvegarde, et il est plutôt question de la valorisation», se réjouit Benalhaji Babayaya. En sa qualité de chef de poste vétérinaire de Godola Garré, il soutient que le zébu peulh entretient «une bonne image de la viande camerounaise». «Ses caractères différentiels se résument à ceux d’une domesticité plus poussée, d’une différence de taille du garrot à la croupe marquée dès le jeune âge, une bosse en général assez développée et tombante, une tête assez longue et étroite, un fanon assez développé et un fourreau pendant, une féminité plus accusée avec une aptitude laitière plus prononcée, une peau plus souple, plus fine, des muqueuses rosées, des aptitudes zootechniques exceptionnelles. Cuisinée, sa chair conserve sa texture en restant au plus près de son goût originel. Le plus souvent, sa robe est tachetée de rouge, la répartition de rouge étant assez variable et allant des types presque blancs avec seulement quelques mouchetures, à des types unis rouge ou brun. Le noir se rencontre rarement. Ce qui en fait un bon animal de boucherie parce qu’il peut atteindre 400 kilos. Pour une espèce traditionnelle exploitée en conditions difficiles, c’est énorme!» renseigne-t-il.
Sur le marché…
Approvisionner en viande de vache godola les marchés local et étranger. Un défi pour Godola Garré qui apparaît ainsi, comme l’un des plus grands marchés de bétail de la région de l’Extrême-Nord. «Parce que, justement, on retrouve cette espèce ici, c’est une aubaine pour la high-class qui part de pays aussi divers que le Mali, le Niger et même du Burkina Faso», brandit Benalhaji Babayaya. Ce qu’il insinue peut se dire autrement: les éleveurs de vaches godola font de bonnes affaires. «Il faut débourser entre 1 et 2 000 000 FCFA pour un animal», briefe Alioum Dahirou, le régisseur du marché. «La vache godola ne rit pas! Ce n’est pas tout le monde qui en achète», insiste-t-il. Dans la pratique, les prix sont fixés selon des principes de vente aux enchères. Vendeurs et clients acceptent les règles du jeu, sans les remettre en question. «Il s’agit d’une vente publique se déroule au su et au vu de tout un chacun; comme lors d’un mariage, on ne ferme jamais la porte de la salle», expose Alioum Dahirou. À l’en croire, le public n’est pas, pour autant, un simple agrégat d’individus ni une foule banale: «Ce sont les gourous de l’argent, les grands Alahdji (dignitaires musulmans très riches, NDLR) qui viennent acheter ici».
Pour tirer meilleur avantage de «leur produit», les éleveurs de vache godola ne s’encombrent pas d’intermédiaires. Ils marchandent eux-mêmes. Si l’accord est immédiat, le marchandage tourne court…Au comptant, en espèces et enlèvement immédiat. La conduite des animaux sur pied est à la charge de l’acheteur. Sur place, quelques camionneurs sont prêts à l’ «aider». En raison d’une infrastructure routière rurale insuffisamment développée sur la bande frontalière, ces «bons Samaritains» disposent, eux aussi, de leur tarif forfaitaire: 1500 FCFA le kilomètres au-delà de l’axe Maroua-Mora. Selon Abba Wahabou, un camionneur nigérian, «ce prix de 1500» tient compte des frais de documents, du prix du litre de carburant en ce mois de juin au Nigéria et à la taxation routière illégale qu’il faut payer lors de transferts transfrontaliers.
Jean-René Meva’a Amougou, envoyé spécial à l’Extrême-Nord