Francs CFA CEMAC : Nouvelle gamme de billets, nouvelle polémique

Faisant suite à la diffusion sur les réseaux sociaux d’un supposé document de la Banque de France contenant des clichés d’une nouvelle gamme de billets de Francs CFA CEMAC, et en l’absence d’une communication officielle de l’autorité monétaire de la Cemac qu’est la Banque des Etats de l’Afrique centrale, le Journal Intégration convoque deux experts en sécurité monétaire qui décryptent la qualité technique desdits clichés, l’opportunité et la procédure d’une mise en circulation d’une nouvelle gamme de billets.

 

Ibrahim Nasser Nchare, Economiste-Fionancier, Expert en Sécurité Monétaire

« Je plaide sans doute pour un fake »

« Il faudra donc que ces billets répondent aux exigences technologiques par l’incorporation d’un certain nombre signes de sécurité futuristes qui permettront aux billets de se défendre eux-mêmes tels »

Monsieur Ibrahim Nasser, vous êtes sans doute informé de la publication sur les réseaux sociaux de clichés dévoilant une nouvelle gamme de billets de la Zone CFA Afrique centrale. Pensez-vous à un teasing ou à fake?
Je ne dirai pas qu’il s’agit d’un teasing, tout simplement parce que lorsqu’on parle d’émission de billets de banque ou de pièces de monnaie, il n’est pas question de faire une quelconque publicité pour plaire au public. En outre les maquettes des signes monétaires ne sont pas des produits marchands d’une entreprise commerciale qui doivent faire l’objet d’une approbation du public, via des campagnes marketing.

Je plaide sans aucun doute pour un fake. La majorité de la population de la zone CEMAC, malheureusement après quatre années d’exercice du gouverneur actuel de la BEAC, a du mal à reconnaître la signature de la principale autorité de la banque centrale. Celà témoigne davantage du problème d’inculture financière dont souffre encore plusieurs ressortissants de notre espace monétaire.

Les clichés des nouveaux billets de Banque sont contenus dans un document de la banque de France. Y a-t-il une relation contractuelle entre la BEAC et la Banque de France sur la production des signes monétaires?

Il est important pour moi de préciser qu’il existe un lien étroit entre la sécurité monétaire et la fraude documentaire. Ce qui me permet de répondre sans risque de me tromper qu’il s’agit d’une image fausse. Premier argument, le dérisoire support assemblé par une reliure sur lequel défilent des images supposées de haute facture sur une page fixe. Si vous regardez avec attention, vous verrez que la page sur laquelle défilent les images, est la même dans le support qui est censé présenter les différentes coupures de billets de banque au recto et au verso des feuilles. Une autre incongruité sur ces signes monétaires, la présence d’images de personnes identifiables. Ce qui est proscrit. Les images sur les billets de banque en général sont celles de personnes à qui on rend hommage peut-être mais dans l’autre cas ce sont des images de personnes non identifiables, des inconnus.
Parlant de la relation entre la BEAC et la Banque de France, je dirai plutôt qu’il y’a bel et bien une relation contractuelle bilatérale qui existe. Nos billets sont imprimés depuis des années à Chamalières (l’usine d’imprimerie de la Banque de France). Je tiens également à rappeler ici que la Banque de France existe depuis le 18 janvier 1800, c’est plus de deux siècles de vécu. Elle a un savoir-faire de pointe, c’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle est la première banque productrice des billets « euro » ; contrairement à ce que l’imaginaire populaire pense suite à cette relation entre la BEAC et la Banque de France.

Je sais que cette question n’est pas fortuite, il y’a un élan de patriotisme qui soutient que nos billets doivent être imprimés en Afrique. Ce serait une très belle initiative. Toutefois, indiquons que sur les 54 pays africains représentés à l’ONU, 45 pays externalisent leur production des billets de banque. Dans l’euro système, qui compte 19 pays, 6 d’entre eux externalisent également leur production des billets. L’imprimerie des billets est un gros investissement qui requiert des moyens colossaux. Le remplacement des billets usagés et les besoins en signes monétaires dans la sous-région CEMAC s’élèvent en moyenne à six cent (600) millions de billets de banque.

Le 2 octobre 2019, le Comité Ministériel de l’UMAC a annoncé un projet de mise en chantier d’une nouvelle gamme de billets. La gamme qui a cours légale a été mise en circulation officielle en 2002. Pourquoi a-t-on attendu aussi longtemps?

On attend toujours puisqu’il n’y a pas encore eu de nouvelle gamme de billets en circulation. L’information de l’émission d’une nouvelle gamme des billets n’est pas encore officielle. Nous restons donc dans l’attente. Vous savez, la Beac avait opté pour un renouvellement décennal, en fait ce renouvellement n’est pas anodin, du point de vue technique elle vise à garder une longueur d’avance sur les faussaires. Certainement en 2012 le laboratoire d’analyse des contrefaçons n’a pas pu recenser dans la sous-région Cemac des contrefaçons jugées « d’assez bonne qualité » pour impacter suivant le calendrier décennal de renouvellement de la gamme de billets de banque.

En tant qu’Expert en sécurité monétaire, la nouvelle gamme de billets à venir devra barrer la voie aux faussaires. Leur évolution technologique a accentué ce crime économique. Il faudra donc que ces billets répondent aux exigences technologiques par l’incorporation d’un certain nombre signes de sécurité futuristes qui permettront aux billets de se défendre eux-mêmes tels. A titre d’exemple, je pense au code QR incluant si possible la réalité augmentée ou alors un hologramme satellitaire pour les grosses coupures des impressions en taille douce bien perceptibles, on peut également avoir des fils de sécurité fenêtrés…

L’attitude de la BEAC caractérisée par l’absence de communication amplifie la rumeur. Qu’est-ce qui selon vous peut expliquer ce mutisme ?
Ecoutez, on supprime la rumeur en véhiculant la bonne information. Il faut d’ores et déjà le rappeler ici. C’est la deuxième fois que ces prétendues informations sur une nouvelle gamme de billets circulent dans les réseaux sociaux. Ces images qui visent à diminuer la confiance du public vis à vis de la Beac doivent très rapidement être stoppées, par une information officielle. Néanmoins on se dit tout simplement qu’il y’a au sein de la Beac une politique interne qui consiste à communiquer en temps opportun et ne pas se prêter à un jeu de ping-pong avec les réseaux sociaux.

 

Dupont Ngossi, Economiste-Financier, Expert en Sécurité Monétaire

« avant tout une question d’ordre de souveraineté et de sécurité étatique »

« La gamme de 2002 avait coïncidé avec la célébration de son trentenaire, peut être un nouvel évènement se préparerait-il ? J’indiquerai juste qu’en 2022, la BEAC va célébrer ses 50 ans ! »

Monsieur l’Expert, depuis quelques jours une information défraie la chronique sur les réseaux sociaux : la divulgation d’une prétendue nouvelle gamme de billets destinée à la Zone CFA Afrique centrale. Que vous suggère cette information ?
Je tiens d’abord à le préciser ici : la conception, la fabrication et la mise en circulation des billets de banque et des pièces de monnaie est avant tout une question d’ordre de souveraineté et de sécurité étatique. Les signes monétaires au cours de leur conception exigent le respect de certains critères en termes d’iconographie monétaire, par exemple, dont l’exclusivité est accordée à des spécialistes tant de la sécurité monétaire et documentaire et à des imprimeurs. De plus, leur mise en circulation s’inscrit dans une logique de faciliter l’acquisition des biens et services par les agents économique.
Sur le plan social, je peux comprendre cette volonté et cet enthousiasme des populations de la zone CEMAC d’attendre une nouvelle gamme de billets, 19 ans après la mise en circulation de celle qui est actuellement en cours. Mais cela ne saurait légitimer cette information qui pilule les réseaux sociaux. Elle a pris une tournure virale, dont la source et l’originalité me laisse perplexe. Tout d’abord, en tant qu’expert en sécurité monétaire et documentaire, je voudrais relever quelques détails, que je juge utiles.

Sur un plan technique, pour prendre avec beaucoup de recul un avis tranché sur l’acceptabilité de cette rumeur. Premièrement, le support de communication sur lequel sont présentées les différentes maquettes des futurs billets de banque. Si vous regardez attentivement, vous verrez que la page sur laquelle défilent les images, est identique tant au recto et qu’au verso et laisse transparaître des personnages communs quasiment identifiables. Ce qui constitute une violation de l’iconographie monétaire. Deuxièmement, les signes de sécurité de « niveau 1 » présents soulèvent un questionnement, avec comme exemple la signature du gouverneur de la BEAC. Sur ces billets, il ne s’agit pas de la signature du patron de la Beac. Toute fois, je voudrais souligner avec emphase que la BEAC avait opté pour un renouvellement décennal de ses gammes de billets, et ce depuis son entrée en activité le 02 Avril 1973. La gamme de 2002 avait coïncidé avec la célébration de son trentenaire, peut être un nouvel évènement se préparerait-il ? J’indiquerai juste qu’en 2022, la BEAC va célébrer ses 50 ans !

Les clichés des nouveaux billets de Banque sont contenus dans un document de la banque de France. Qu’est-ce qui lie la BEAC à la Banque de France sur la production des signes monétaires ?
De mon point de vue, je pense que le problème n’est pas de savoir qui imprime nos billets mais plutôt de maîtriser les éléments techniques et les exigences individuelles que nous souhaiterions voir sur nos billets de banque et pièces de monnaie afin de garantir amplement et dans la durée la confiance du public. La Banque de France à travers son imprimerie qui produit les billets de banque depuis 1919 peut bien satisfaire pleinement à nos attentes; il suffit juste de lui faire des meilleures propositions sur le plan technique et iconographique. Parlant de la relation proprement dite entre la BEAC et la Banque de France, je dirai plutôt qu’il s’agit d’une relation de coopération “fournisseur-client”, puisque nos billets y sont imprimés depuis des années (22 novembre 1972) à Chamalières (l’usine d’imprimerie de la Banque de France). Par aileurs, il est important de le préciser ici que, la Banque de France jouit d’un savoir faire, d’une expertise et d’une expérience avérée. Elle est dans et exercice depuis le 18 janvier 1800, soit deux cent ans. C’est par hasard, qu’elle a le monopole de la confection des euros, au sein de l’eurosystème. De plus certains pays africains (UEMOA, MAGHREB, Afrique Australe) et du reste du monde sollicitent son expertise.

Depuis 2019, l’UMAC a annoncé un projet de mise sur le marché d’une nouvelle gamme de billets. N’est-ce pas très tard car la dernière gamme date de 2002 et la contrefaçon s’est aguerrie ?
Il est peut-être tard aux yeux du public, mais c’est le LAC (Laboratoire d’Analyse des Contrefaçons) qui juge si la contrefaçon est aguerrie ou pas. A la suite de son expertise donc, les autorités compétentes peuvent instruire, sur le plan purement sécuritaire, la production d’une nouvelle gamme de billets de banque. C’est aussi vrai que la règle a été dérogée en 2012 conformément à l’habitude de la Beac de renouveler sa gamme de billets tous les 10 années. D’autant plus qu’à l’ère de l’évolution technologique et numérique il devient impératif de réduire les années de passage à une nouvelle gamme de billets de banque.

Depuis l’apparition de ces clichés, l’autorité monétaire la BEAC n’a réalisé aucune communication officielle. Pourtant des réunions se sont tenues. Qu’est-ce qui selon vous peut expliquer ce mutisme ?
Comme le dit l’adage: « jamais deux sans trois » ! J’ai envie de rappeler à la mémoire collective que c’est la deuxième fois que cette information sur de prétendus nouveaux billets circule dans les réseaux sociaux. Je pense également que la Beac à pleinement conscience de ces informations, mais a certainement sa politique de communication. Elle va sans doute passer l’information en temps opportun.

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