Selon des sources bien informées, le couple est entré en déliquescence depuis 2009. D’un côté, des politiciens et diplomates véreux, et de l’autre un artificier du génie politique. Évocation.
Il y a quelques jours, le magazine Jeune Afrique (JA) a proposé, sur le haut des piles de lectures, une interview d’Emmanuel Macron. Au détour de cette sortie médiatique du président français, des Camerounais assistent, incrédules et rieurs pour les uns, exaspérés pour les autres, au triomphe d’une absurdité communicationnelle rayonnante. C’est que, tout affairé à prouver qu’il suit de près les actualités sociopolitiques camerounaises, le patron de l’Élysée a dénoncé la machine politico-administrative de Yaoundé. À lire Emmanuel Macron dans les colonnes de JA, il ne met pas de gants pour montrer que les dynamiques propres au régime de Paul Biya sont si fortes qu’elles se déploient sans maitrise, mettant autant d’obstacles sur la voie des citoyens et face aux volontés réformatrices.
Face à Benjamin Roger et de Marwane Ben Yahmed, tous deux journalistes au journal panafricain, Emmanuel Macron a dupliqué à nouveau les éléments de langage déclinés depuis 2019. Cette année-là, il déclarait: «j’ai mis la pression sur Paul Biya pour que d’abord il traite le sujet de la zone anglophone et ses opposants. J’avais dit, je ne veux pas qu’on se voie à Lyon tant que Kamto n’est pas libéré, et il a été libéré parce qu’on a mis la pression. Là, la situation est en train de se dégrader. Je vais appeler, la semaine prochaine, le président Biya, et on mettra le maximum de pression pour que cette situation cesse». Tout dernièrement, on l’a entendu prononcer des phrases comme: «Je vous rappelle que, pendant très longtemps, le président Biya n’est pas venu en visite officielle en France. Nous avions eu des contacts par voie téléphonique, mais je lui avais demandé des gestes de confiance avant sa venue à Lyon, en octobre 2019. Il les avait faits, il y a un an, avec un certain nombre de libérations».
Paternalisme
Analysés restrictivement, ces mots ne permettent pas d’exclure du champ d’investigation les exemples d’une pratique ancienne aiguillonnée par une volonté paternaliste. Mieux que d’autres, historiens et spécialistes des relations entre Yaoundé et Paris sont capables d’éclairer les enjeux du débat récemment engagé via JA. «Depuis 2008, des sources diplomatiques de première main font état de désaccords entre le Cameroun et la France au sujet du renouvèlement des accords de défense passés entre les deux pays. Dès lors, tout prétexte devient utile pour étaler la colère française», théorise Pr Belinga Zambo. Pour la démonstration, le politologue cite Jean Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères. Le 25 novembre dernier, devant la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française, il a déclaré: «Nous avons des positions très claires sur la nécessité de faire en sorte que la démocratie fonctionne au Cameroun. J’ai eu l’occasion de dire, à plusieurs reprises, que je ne serais pas allé au Cameroun, si monsieur Maurice Kamto n’avait pas été libéré. J’ai attendu qu’il soit libéré pour me rendre au Cameroun».
De son côté, l’internationaliste Daniel Nkomba surfe sur un postulat qui découle d’une réflexion sur les acteurs de la diplomatie française, pose le problème de l’unité de l’action extérieure de la France depuis près d’un siècle et soulève le problème de l’articulation du mode de négociation bilatérale entre le Cameroun et l’Hexagone. «Des curiosités révélées par certains éminents historiens indiquent que les accords de défense du 26 décembre 1959 à Yaoundé, entre le Cameroun et la France, ont été négociés, côté camerounais, par deux Français: Jacques Rousseau et Georges Becquey», signale Daniel Nkomba. Ce dernier soupçonne Paul Biya d’avoir mis son véto aux Français, «notamment en ce qui concerne certaines lignes desdits accords de défense». «À cet égard, révèle Daniel Nkomba, la consultation desdits documents top secret fournit des indications précieuses sur ce qui aurait motivé le refus de Paul Biya de les renouveler face à Nicolas Sarkozy en 2009» (voir encadré ci-après).
Cette année-là, commencent les problèmes pour le président camerounais. «Élu président de la République française le 16 mai 2007, l’ancien ministre de l’Intérieur de Jacques Chirac, qui avait battu campagne en dénonçant la politique africaine de ses prédécesseurs, faite de “diplomatie secrète”, de “clientélisme”, de “soutien aux dictatures”, bref la “Françafrique”, esquive pendant un peu plus de deux ans Paul Biya dont il ne supporte pas la longévité au pouvoir. Il ne consentira à le recevoir que le 24 juillet 2009 à Paris. Un communiqué policé de l’Élysée, publié au terme de cette audience, indiquera que Nicolas Sarkozy a promis de maintenir le niveau de coopération entre la France et le Cameroun.
Il a aussi évoqué “librement”, avec le président Biya, “la situation intérieure du Cameroun, y compris les questions de gouvernance, de démocratie et des droits de l’homme”. Langue de bois pour ne pas dire que Paul Biya a été sermonné sur ces questions par son homologue français», écrit le quotidien Mutations, cité par Actu du Cameroun le 26 février 2020. Fait curieux au passage: Sarkozy terminera son quinquennat en mai 2012 sans avoir foulé le sol camerounais, contrairement à ses prédécesseurs (Pompidou, Mitterrand, Chirac). Quant à François Hollande, il se paiera juste le luxe d’une brève visite officielle dans la soirée du 3 juillet 2015, avec dans sa suite, un certain Gérard Grizbec, chargé de titiller Paul Biya sur sa longévité au pouvoir. L’alors journaliste à France 2 avait obtenu que «ne dure pas au pouvoir qui veut, mais qui peut».
Jean-René Meva’a Amougou
Que disent les accords de défense entre le Cameroun et la France?
1) Informer la France de la politique que les politiciens camerounais entendent suivre en ce qui concerne les matières premières et produits stratégiques, ainsi que des «mesures qu’ils se proposent de prendre pour l’exécution de cette politique»;
2) Faciliter, au profit des forces armées françaises, le stockage des matières premières et produits stratégiques; et lorsque les intérêts de la défense l’exigent, «limiter ou interdire leur exportation à destination d’autres pays»;
3) «Le Cameroun doit réserver, en priorité, la vente de ses matières premières et produits stratégiques à la République française, après satisfaction des besoins de sa consommation intérieure, et s’approvisionner en priorité auprès de la France», etc.
4) Les accords mentionnent une liste de matières premières dites stratégiques qui appartiendront de fait à la France s’ils sont découverts sur le sol camerounais, notamment: les hydrocarbures liquides et gazeux, l’uranium, le thorium, le lithium, le béryllium, l’hélium, etc. De peur que dans l’avenir, la science identifie certains minerais qui ne figuraient pas sur la liste, la France a pris soin de signifier que cette liste pouvait encore s’allonger sans trop de complication, en ces termes: «les modifications à cette liste feront l’objet d’échanges de lettres entre les parties contractantes».
En des mots plus simples, avec ces accords signés par 2 Français sous la présidence d’Amadou Ahidjo en 1960 et renouvelés en 1974, le sous-sol du Cameroun appartient à la France. On comprendra seulement après que même ce qui était au-dessus du sol appartenait aussi à la France, comme les plantations de café et de cacao, d’où le risque de prison pour toute personne qui tentait de couper ces plantes pour les remplacer par quelque chose de plus rentable pour l’alimentation villageoise ou pour l’économie nationale.
Avec les accords signés en 2009, on va connaitre une petite avancée. Le 21 mai 2009, c’est par communiqué de presse que le public est informé de la signature à Yaoundé entre le président du Cameroun, Paul Biya et le Premier ministre français François Fillon d’un accord instituant un «partenariat de défense». C’est un texte composé de 28 articles et d’une annexe, lui-même en 11 articles.
Lorsqu’on compare ce texte à celui de 1974, et à celui signé en même temps, ou après, entre la France et d’autres pays africains, on peut dire que c’est l’acte officiel de divorce entre le Cameroun et la France. Il s’agit en effet d’un texte très vague, composé de grands principes propres à la diplomatie de la langue de bois, reprenant pour l’essentiel les accords-cadres de Lisbonne de 2007 entre l’Union européenne et l’Union africaine. Contrairement au précédent accord qui est de 50 ans, celui-ci est de 5 ans renouvelables. Seulement, c’est en 2012 que le parlement français va valider le texte. Il expirait donc en 2017 et devait être renouvelé.
Source: Agence Cameroun Presse