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Financement des partis politiques au Cameroun : Opaque transparence

L’argent alloué à différentes écuries fait débat.

Du cash… mais en cache

«Chez nous, certaines choses sont possibles en théorie. Sur le plan pratique, tout se fait non pas en fonction du bon sens, mais au nom d’intérêts catégoriels, en faveur de quelques-uns. En clair, la loi actuelle sur le financement public des partis politiques arbitre systématiquement en faveur d’un seul contre tous les autres».

À Yaoundé, ce 12 mai 2020, Daniel Mpon à Rymis peste contre la loi n°2000/015 du 19 décembre 2000 relative au financement des partis politiques et des campagnes électorales. Selon le secrétaire général de l’Alliance pour la démocratie et le développement (ADD), «l’application de ce texte demeure l’un des indiscutables points noirs de la démocratie au Cameroun».

Positions
À la faveur du dernier double scrutin municipal et législatif du 9 février 2020, le sujet était encore au centre des débats entre le gouvernement et plusieurs formations politiques de l’opposition. Pour le premier, la loi citée supra est un outil très efficace pour régir son action en faveur de tous.

Sans emphase, les seconds lui opposent des faits. «Jusqu’ici, le financement des partis politiques reste un amas de formules ronflantes distillées à la presse pour satisfaire l’opinion publique nationale et internationale», fait observer Daniel Mpon à Rymis. «La loi est poursuivie par une vilaine tendance de certains à empêcher le déploiement optimal de l’opposition sur le marché politique national; en semant plus de confusion que de clarté. Entre des exigences contradictoires, on a imposé l’idée que ces textes portent plus sur la transparence et le contrôle alors qu’il n’en est rien. La culture camerounaise sur tout ce qui touche à l’argent et à la politique est une culture du secret et de l’opacité», ajoute-t-il.

En clair, le texte recèle autant de nouveaux problèmes qu’il en règle. Et maintenant, l’enjeu est d’arbitrer au mieux entre la promotion des bonnes pratiques et les marchandages de l’exécutif. Dans les rangs des partis politiques de l’opposition, on le soupçonne chaque jour. «Ce soupçon ne nait pas d’un manque de transparence, mais du constat répété que des intérêts privés ont pu s’approprier cette loi», indique Koupit Adamou, membre du bureau politique de l’Union démocratique du Cameroun (UDC).

Selon lui, il est aberrant que le ministre de l’Administration territoriale (Minat) s’impose comme un interlocuteur incontournable sur les critères d’affectation de cette cagnotte. «Vu une disposition de l’article 285 de la loi du 19 avril 2012, modifiée et complétée par la loi du 21 décembre 2012, relative au financement public de la campagne électorale, en janvier 2020, sur 1 milliard 700 millions FCFA alloués au financement public de la campagne électorale, 58 partis devaient se partager environ 850 millions FCFA au titre de la première tranche.

Le Minat a précisé que seuls les partis ayant gagné des sièges à l’Assemblée nationale ou dans les communes ont droit à une dernière tranche du financement (soit 850 millions FCFA). Ce sera donc après la proclamation des résultats, proportionnellement au nombre de sièges obtenus. Du menu fretin, car une vraie campagne coute cher. De nos jours, le coût de la vie politique est de plus en plus élevé. Pour gagner une élection, pour permettre à un parti politique de fonctionner, il faut de l’argent. Le coût d’une campagne a augmenté en raison des coûts de communication, et de leur fréquence», examine l’homme politique.

Jean-René Meva’a Amougou

 

Recherche des financements

Le cru et le cuit

À travers deux postures où la transparence le dispute en esprit et en élégance, la réalité invite à la regarder avec d’autres yeux.

 

Cabral Libii en campagne dans la diaspora

Établi en mars 2019, le constat de l’Association of Free Research and International Cooperation (AFRIC) est un indicateur d’une situation inédite. «Les partis au pouvoir n’hésitent pas à utiliser les moyens de l’État pour battre campagne. Il n’est pas rare par exemple de voir des véhicules aux immatriculations administratives arpenter les rues dans des cortèges impressionnants.

Les ressources publiques sont mobilisées sans gêne. Au Cameroun par exemple, le budget de campagne du parti au pouvoir, le RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais), n’est pas connu, même si la presse évoque un chiffrement en milliards. La plupart des directeurs d’entreprises à financement public sont membres de ce parti présidentiel et les entreprises privées rechignent à financer les partis d’opposition par peur des représailles fiscales selon les adversaires du président Biya. Les partis d’opposition battent donc campagnes selon les moyens dont ils disposent et selon leurs réseaux. Plus le candidat est riche et connu, plus il y a un important déploiement de ressources», peut-on y lire.

À l’observation, il s’agit d’un pied de nez au discours officiel. Selon la loi, ce dernier s’attache à la transparence sur l’origine des fonds de campagne électorale au Cameroun. «Or, c’est plus globalement un carré de très riches entrepreneurs qui porte à bout de bras l’écurie présidentielle à chaque scrutin. Hypocrisie, en effet, d’une loi qui, non seulement limite les comptes de campagne, mais veille à ce que la trésorerie du parti au pouvoir soit bonne», regrette Daniel Mpon à Rymis.

Pour ne pas paraitre ridicules face à cette réalité, certains candidats explorent ailleurs. Devant la presse, le 18 août 2018 à Yaoundé, Cabral Libii, alors candidat à la dernière élection présidentielle au Cameroun, avait levé un pan de voile sur ses rentrées d’argent (30 millions FCFA) en prélude à sa campagne sur le terrain. «J’ai souhaité à cette occasion, en toute transparence, dire à l’opinion comment nous avons pu mobiliser les 30 millions FCFA, preuve à l’appui. Vous avez vu les contrats avec les entreprises de téléphonie, ce que nous avons eu par la diaspora, ce que nous avons eu par des mains levées spontanées», avait-il déclaré.

De son côté, Koupit Adamou est sentencieux. «Tout cela doit se terminer. Le plus urgent aujourd’hui est, si l’on ne veut pas que la représentation politique se noie définitivement dans l’eau sale des affaires, d’organiser la transparence absolue des comptes. Pas de plafond, pas de limites, mais que chaque don, petit ou énorme, porte l’étiquette de sa provenance», suggère-t-il.

Ongoung Zong Bella

Bon à savoir

Il est inscrit chaque année, dans la loi de finances, une subvention destinée à contribuer à certaines dépenses de fonctionnement des partis politiques légalement reconnus. Ces fonds sont repartis en deux tranches d’égal montant, dont la première est destinée aux partis politiques représentés à l’Assemblée nationale, au Sénat et/ou au Conseil municipal. La deuxième tranche est allouée aux formations politiques en fonction de leurs résultats aux dernières élections dans les deux chambres du parlement et aux élections municipales.

Selon l’article 282 alinéa 1 du Code électoral, la part destinée aux partis représentés au parlement et/ou au Conseil municipal est proportionnelle à leurs nombres de sièges respectifs. Ce financement concerne aussi bien les dépenses couvrant les activités permanentes que celles consacrées à l’organisation des campagnes électorales. Toutefois, l’article 286 alinéa 2 précise que tout candidat qui se désiste avant le scrutin; tout candidat qui ne participe pas effectivement à la campagne électorale est tenu de reverser au Trésor public la totalité de la somme reçue au titre de la première tranche.

L’alinéa 3 de l’article 276 précise que ces fonds, qui sont des deniers publics, ne peuvent être source d’enrichissement personnel. Par conséquent, il est institué une commission de contrôle habilitée à vérifier sur pièce que l’utilisation des sommes allouées est conforme à la loi. Il faut souligner qu’il est interdit à un parti politique de recevoir des financements provenant des personnes, d’organisations, puissances étrangères ou d’États étrangers. C’est une disposition de l’article 278 alinéa 1 du Code électoral.

Source : Code électoral du Cameroun

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