Financement du secteur agricole : enraciner les banques rurales et microfinances
L’accès au crédit pour un plus grand nombre d’agriculteurs et de PME est à ce prix. L’inclusion financière prônée par les Banques centrales et la réduction des importations aussi.

Le cas de la RDC est assez illustratif de la nécessité de favoriser l’inclusion financière dans le secteur agricole. «L’enveloppe des importations des biens alimentaires nous coûte beaucoup, soit 3 milliards de dollars par an. Dans une configuration où le secteur minier représente 80% des exportations et où les produits agricoles sont marginaux», révèlent ce 16 mai 2023 à Yaoundé, les représentants de la Banque centrale de ce pays. Ce sont pourtant autant d’économies à faire si de véritables politiques permettaient de financer les activités agricoles. Les Banques centrales africaines interpellées par cette réalité pourraient également par ce moyen stopper l’érosion des réserves de change, lutter efficacement contre la hausse généralisée des prix, réduire la dépendance aux hydrocarbures et aux produis miniers, et assurer la sécurité alimentaire du continent.
Banques rurales
Les recommandations des participants ont justement convergé vers la création et la mise en place de banques rurales. Ces dernières sont alors présentées comme l’un des principaux éléments de la stratégie d’inclusion financière à élaborer par les Banques centrales. La manœuvre est toutefois à conjuguer avec le renforcement de la présence des banques agricoles. Puisqu’il s’agit de veiller à ce que le plus grand nombre d’agriculteurs et de Petites et moyennes entreprises (PME) puissent avoir accès à des financements adaptés à leurs besoins. L’appui du gouvernement est en la matière requis. Notamment en termes de garanties à offrir. Elles s’avèrent nécessaires pour des prêts concessionnels ou à taux zéro. Les banques commerciales sont par la même occasion invitées «à diversifier leurs portefeuilles de crédits. En créant et en dédiant des lignes au financement de l’agriculture et de l’économie verte», ont convenu les membres de l’Abca.
Mécanismes ciblés
«Les Banques centrales devraient développer des mécanismes ciblés pour appuyer les petits agriculteurs et les PME». Cette recommandation implique pour les hôtes de la Beac qui la proposent, «de fournir aux cibles des facilités et des garanties. À défaut d’étendre l’accès aux services bancaires jusque dans les zones rurales ou reculées». Une autre résolution prise va même encore plus loin. Elle met à la charge des Banques centrales africaines, la responsabilité «d’encourager, d’établir et même de créer des institutions de microfinance».
Guichets spéciaux
Les discussions en ateliers ont aussi mis en lumière au moins deux expériences en matière de financement de l’agriculture par les Banques centrales. Il y a d’un côté le cas de la Beac et il y a de l’autre celui de la RDC. Ce pays a en effet mis en place «un guichet multi-bailleurs et deux autres guichets», s’est réjoui le représentant de cette Banque centrale. Ces exemples donnent déjà de bons résultats, à en croire les témoignages.
Assurance verte et systèmes de risques
La mise en place d’une assurance verte, d’un fonds vert ou de prêts verts s’est également révélée nécessaire pour adresser la question de l’accès aux crédits. L’une des conclusions phares de l’atelier relatif à l’«apport du secteur financier dans la relance du secteur agricole en Afrique» propose même de mettre sur pied un système de risque. Les participants au séminaire le prescrivent aussi bien à l’intention des Banques centrales que des gouvernements. «À l’exemple de ce qui se fait déjà au Ghana, Nigéria, Ouganda, Égypte et au Burundi», est-il mentionné.
Foncier et autres recommandations
Parmi les mesures clés préconisées pendant le séminaire, figurent aussi en bonne place la résolution de la question du foncier. L’accès à la terre étant l’une des conditions essentielles du développement de l’agriculture. Les gouvernements sont mis au défi de régler cette problématique. Autant qu’ils le sont de créer des silos ou des magasins pour le stockage des récoltes.
Il est par ailleurs attendu d’eux qu’ils facilitent l’organisation des agriculteurs en associations. Le recours aux technologies adaptées et la création des centres de formation dédiés au staff des banques sont par contre à la charge des membres de l’Abca. Les Banques centrales se doivent enfin de veiller à capaciter les individus et les communautés en bonnes pratiques agricoles vertes et durables et à la recherche de financements. La tenue des journaux et autres documents comptables sont également une préoccupation à prendre en compte.
Challenges
Cette batterie de mesures vise au final à relever un certains nombres de challenges. En l’occurrence les problèmes «de coûts de production, des intempéries, d’asymétrie de l’information, d’informalité, d’accès aux crédits et aux technologies». Les hôtes de la Banque centrale de la Cemac ont en outre évoqué «les infrastructures inadéquates, la concurrence des priorités de développement et l’absence de volonté politique d’aller résolument vers une économie verte».
Théodore Ayissi Ayissi
Guichet spécial de refinancement
L’exemple qui vient de la Beac
L’instrument déjà fonctionnel confirme l’ambition de la Banque centrale de la Cemac de promouvoir une économie toujours plus verte. Il se veut aussi un précieux atout pour financer le secteur agricole sur le continent.
La Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) ne s’est pas contentée de recevoir à Yaoundé ses consœurs africaines. L’institution dirigée par Abbas Mahamat Tolli, gouverneur, a également brillé par une participation active. Concernant notamment les propositions de solutions au problème de financement du secteur agricole. Son arme fatale: le guichet spécial de refinancement. «C’est un guichet hors marché. C’est une forme de refinancement qui passe toujours par les banques commerciales et qui permet aux porteurs de projets de bénéficier de la part de la Banque centrale, de 60% du financement initial». Sur la foi des explications du représentant de l’institution bancaire sous-régionale, «ce guichet est issu d’un ancien dispositif, à l’époque où le mandat de la Beac était assez large. En particulier pour orienter les financements vers les secteurs prioritaires. Le mécanisme a été conservé». Et le responsable de conclure: «c’est entre autres pistes, un levier que l’on peut également actionner pour pouvoir financer le secteur agricole aujourd’hui désigné comme prioritaire».
Les avantages offerts par le mécanisme déjà opérationnel de la Banque centrale de la Cemac sont nombreux. Il faut d’abord considérer que «les entreprises agro-industrielles de la sous-région se financent déjà sur ce guichet et souvent à des montants assez importants». L’idée est donc de «créer d’autres initiatives en revoyant notamment les critères d’éligibilité des projets sur ce guichet», plaide la Beac. C’est en somme la confirmation que «l’outil peut être amélioré pour renforcer le rôle de la Banque centrale dans le financement du secteur agricole», est-il enfin indiqué.
Fonctionnement
Le guichet spécial de refinancement est donc clairement dédié au financement du secteur productif. «Une fois que le client sollicite la banque commerciale, elle peut présenter ce dossier sur ce guichet-là et il fera l’objet d’une analyse. Au cas où la Banque centrale accepte de financer le projet, à la mise en place crédit en faveur du client, la Beac verse 60% du montant total du coût du projet». Après quoi, affirme le représentant de la Banque centrale à ces travaux, «il revient à la banque commerciale de suivre tout ce qui est garanties et d’assurer le remboursement du crédit. Donc en termes de contrepartie directe, c’est la banque secondaire qui l’assume». Dit autrement, «le risque de crédit est au compte de la banque commerciale présentatrice du projet», précise le cadre de la Beac.
Une autre révélation est que «c’est sur ce guichet que de nos jours la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (Bdeac) se finance, ainsi que des entreprises de la sous-région qui font dans la culture d’hévéa, et jusqu’à une certaine époque, celles qui faisaient dans le coton». Les Banques centrales africaines apprendront enfin s’agissant toujours de ce mécanisme, que «le taux ne varie pas. C’est le taux directeur en vigueur au moment du prêt qui est pratiqué».
TAA
Ils ont dit
Michel Dzombala, vice-gouverneur de la Beac
«Les pays de la Cemac sont concernés»
Ce séminaire est une occasion d’ajouter une pierre supplémentaire à notre édifice continental. Les pays de la Cemac avec leurs 250 millions d’hectares de forêts tropicales ne sont pas épargnés par les effets dévastateurs des changements climatiques. Le Lac Tchad pourrait également disparaître dans une vingtaine d’années si rien n’est fait. La synergie des Banques centrales africaines est de ce point de vue primordiale.
Quelques actions précoces ont été menées par la Beac, en modernisant ses instruments de politiques monétaires. La Banque centrale a aussi élaboré une stratégie régionale d’inclusion financière. Elle vient par ailleurs de signer le 9 mai dernier à Douala la convention d’adhésion au Réseau des Banques et de la Finance durable.
Dr Djoulassi Kokou Oloufade, secrétaire exécutif de l’Abca
«Faire un état des lieux de l’insécurité alimentaire en Afrique»
Le séminaire avait aussi pour objectif d’identifier les principaux chocs climatiques en Afrique et les nouveaux défis liés à ces événements qui constituent une menace à la sécurité alimentaire sur le continent; à faire l’état des lieux de l’insécurité alimentaire en Afrique et l’inflation, tout en mettant en évidence les principaux facteurs qui en sont à l’origine; et à contribuer à mieux comprendre l’impact des changements climatiques sur la sécurité alimentaire et l’inflation.
Nous remercions le gouverneur de la Beac d’avoir accepté d’organiser cette rencontre, ainsi que le chef de l’État et le peuple camerounais pour leur hospitalité.
Miguel Engonga Obiang Eyang, secrétaire général de la Beac
«C’est le point de départ d’une concertation régulière»
Je suis convaincu que ce séminaire continental n’est que le point de départ d’une concertation régulière qui nous permettra de continuer à partager nos expériences respectives et à échanger sur les progrès réalisés dans ce domaine spécifique relatif à la crise climatique. Les travaux ont été intenses pendant ces trois jours et les échanges denses et fructueux. Si les circonstances le permettent, n’hésitez pas à revenir un jour car vous pouvez toujours compter sur l’hospitalité des agents de la Beac et du peuple camerounais.
Propos recueillis par
Théodore Ayissi Ayissi