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Féminisation des départs en Afrique centrale : signal fort de l’évolution de la migration de la main-d’œuvre dans la sous-région

«Si les pays africains veulent opérer la transformation structurelle et l’intégration régionale, les travailleurs et les talents africains doivent être à même de considérer les femmes, leurs opportunités d’emplois et d’envisager le transfert de compétences entre des industries différentes et entre plusieurs pays».

Depuis octobre 2013, c’est dit ainsi par la Banque africaine de développement (Bad). Selon l’institution financière panafricaine, la libre circulation de la main-d’œuvre féminine au sein des communautés économiques et entre les groupements régionaux ne favorisera pas seulement la mobilité des personnes dans leur région, mais elle encouragera aussi les échanges commerciaux, la création d’emplois et de nouvelles entreprises. La fuite des cerveaux que connaissent de nombreux pays africains pourrait alors se transformer en un transfert transfrontalier de talents féminins. Une infirmière sans emploi au Cameroun pourrait gagner sa vie décemment au Gabon, tout en contribuant à de meilleurs services de santé dans le pays hôte. Un jeune diplômé d’une école technique au Tchad pourrait trouver un emploi décent dans l’industrie de la plomberie en Afrique du Sud et contribuer à répondre aux besoins en main-d’œuvre de ce pays.

Malheureusement, la réalité est toute autre. Plusieurs migrantes d’Afrique centrale restent soumises à de nombreuses inégalités sociales pour obtenir de bons emplois dans les pays extérieurs où ils sont établis. Une situation qui rend la gouvernance des migrantes difficile. Un réel challenge tant pour elles que pour leurs pays d’origine. Ainsi, pour en parler, un atelier a réuni plusieurs acteurs et experts du domaine à Yaoundé le 8 août 2023. L’occasion a permis aux uns et aux autres d’examiner le dispositif existant et voir s’il permet d’assurer la libre circulation des travailleuses immigrées, en tant que personnages essentiels dans le processus d’intégration régionale et le développement en Afrique centrale. Lire notre zoom.

 

Même si les données chiffrées manquent à l’analyse des experts, ceux-ci soutiennent que, depuis quelques années, le nombre de candidates au voyage dans un autre pays de la Cemac ne cesse de croître. La tendance, disent-ils, marque un changement conséquent dans le profil de l’immigration dans la sous-région.

Photo de famille à l’ouverture des travaux de Yaoundé

En fin des années 1990, la Guinée Équatoriale se bombe le torse d’être le troisième producteur de pétrole brut en Afrique subsaharienne. En Afrique centrale, le pays fait alors rayonner la splendeur de sa trésorerie. L’arrivée des multinationales pétrolières induit en effet un besoin de main-d’œuvre, des hôtels aux restaurants, des jardiniers aux chauffeurs pour les cadres et les techniciens américains et européens de l’industrie pétrolière. Jeunes célibataires, ou ayant déjà une famille à charge, plusieurs femmes des autres pays de la Cemac flairent le filon équato-guinéen. Selon des estimations fournies par des experts de l’OIT, «en 2000, les femmes représentaient 52 % de l’immigration arrivée au pays de Obiang Nguema Mbasogo». «Les raisons sont connues: dérégulation du marché du travail où les emplois se sont écartés de la norme à durée indéterminée en progressant vers les contrats à durée déterminée, l’intérim, les stages, les contrats aidés ; faillite de l’agriculture ; gel des recrutements dans la fonction publique ; compressions de personnel dans le secteur privé ; désaffection de l’école et de la formation comme moyens de promotion sociale; salaires à parité de pouvoir d’achat nettement supérieurs à la moyenne sous- régionale», valide Evelyne Nkeng-Peh. Pour la conseillère en immigration à la Commission de l’Union Africaine (UA), les femmes, parties du Gabon et surtout du Cameroun, ont trouvé dans les localités équato-guinéennes certains secteurs d’insertion professionnelle (restauration, coiffure, travaux ménagers), une sorte de prolongement de leurs activités domestiques dans leur pays d’origine.

L’explication…
Au sens communautaire, ce n’est autre que l’expression d’une tendance qui se développe de plus en plus en zone Cemac. «La montée en puissance de ces groupes dits vulnérables est un signe d’une redistribution équitable des rôles entre les différentes composantes de la société», analyse Evelyne Nkeng-Peh. D’ailleurs, dit-elle encore, parce que les femmes ont une propension plus grande au changement et à l’ouverture, cette tendance pourrait exploser avec la Zlecaf. «Environ 85 % de l’activité économique en Afrique centrale est réalisée dans le secteur informel, où les femmes représentent près de 90 pour cent de la main-d’œuvre informelle. De nombreuses femmes rurales vendent également des biens et des produits agricoles par le biais de canaux commerciaux informels et du commerce transfrontalier». Telle est la conviction de l’UA, qui compile dans une étude l’ensemble des arguments favorables à la migration des femmes.

Il revient également que la migration vers un autre pays de la Cemac est une composante essentielle des stratégies de survie, d’accumulation financière et de promotion sociale des populations d’Afrique centrale. C’est pourquoi, les réseaux de départ sont sans cesse revitalisés, les destinations multipliées pour répondre à la propension grandissante des dames à s’établir dans un autre pays de la sous-région. À Yaoundé, il a été observé que l’environnement dans lequel circulent les femmes rend compte des relations causales en jeu. «Avec la complexification des conditions de séjour dans certains pays, les migrations des femmes d’Afrique centrale sont de plus en plus clandestines», signale Marie-Rose Effila, secrétaire exécutive de l’ONG «Femmes capables». Du point de vue de celle-ci, «Après l’entrée dans le pays d’accueil, la consolidation n’est assurée que par la détention de titres de séjour. La quête ´ des papiers est une œuvre de longue haleine. Dans ce cas, les femmes saisissent toutes les opportunités: mariages, demande d’asile, parrainage de l’employeur, procédure juridique de revendication par le biais d’avocats». Et il y a plus: «L’émigrée est totalement dépendante et l’employeur peut ‡ tout moment se séparer d’elle. En effet, pour éliminer les risques de rapatriement, la travailleuse étrangère clandestine n’engage pas de revendications quelconques. Les immigrées en situation irrégulière vivent un confinement professionnel et résidentiel permanent. Au problème majeur de l’irrégularité du statut de séjour se greffent d’autres obstacles à l’accès à des emplois qualifiés et bien rémunérés L’émigrée clandestine vit au jour le jour la hantise d’une expulsion surtout quand le contexte politique est tendu: périodes d’effervescence politique, organisations de manifestations dans le pays d’accueil, vagues d’attentats, toutes sortes d’évènements entrainant un contrôle policier strict ou des opérations d’urgence. Peu regardantes sur les salaires et le travail, les émigrées s’insèrent rapidement dans le marché du travail du pays d’accueil pour survivre».

 

Textes

 

Un arsenal réglementaire au point

Revue du dispositif juridique qui encadre les migrations de main-d’œuvre.

 

Pour défendre les intérêts des travailleuses émigrées, le BIT (Bureau international du travail) s’est doté de plusieurs stratégies et moyens d’action. Il s’agît, apprend-on, d’inciter les États d’Afrique centrale à ratifier des conventions internationales dans ce domaine, d’impulser la coopération technique et de promouvoir la recherche et la formation en matière de protection et de sauvegarde des droits des travailleuses. Ainsi, deux conventions internationales ont été adoptées en matière de protection du droit au travail des émigrées: la convention n° 97 (1949) sur les travailleurs migrants qui a pour objectif de favoriser l’échange d’informations, de protéger les travailleurs migrants et de garantir l’égalité de traitement avec les travailleurs nationaux ; la Convention n° 143 de 1975 est relative ‡ la répression des conditions abusives et l’égalité des chances et de traitement des travailleurs migrants.

Lors des différents sommets de l’UA, il a souvent été recommandé comme stratégie, aux Communautés Économiques Régionales (CER), de renforcer la coopération intra et inter-régionale sur la migration de travail et faciliter le dialogue régional sur la main-d’œuvre. C’est ainsi que, le Programme conjoint sur la gouvernance de migrations de main-d’œuvre pour le développement et l’intégration en Afrique (JLMP), a été adopté officiellement en 2015 entre la Commission de l’Union Africaine (CUA), l’Organisation Internationale du Travail (OIT), l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM), la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique (CEA), en tant qu’instrument de mise en œuvre de la migration de la main d’œuvre et l’intégration économique régionale.

Démarré en juin 2021, le Projet Action JLMP (dont le terme est fixé en décembre 2024) contribuera à la mise en œuvre de la première phase du cadre stratégique et du plan de suivi et d’évaluation du JLMP (2020-2030). Il complétera les actions prioritaires de mise en œuvre du programme conjoint UA-OIT-OIM-CEA sur la gouvernance des migrations de main-d’œuvre pour le développement et l’intégration en Afrique (projet prioritaire du JLMP). Bien plus, dans le cadre de l’axe 1 sur la gouvernance et la réglementation de la migration et de la mobilité de la main-d’œuvre, le projet vise à se concentrer sur le renforcement de la capacité des institutions du travail, des partenaires sociaux et de la société civile en ce qui concerne la gouvernance, les politiques et l’administration de la migration de la main-d’œuvre.

JRMA

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