Des jours passent et toujours plus de victimes. Dans les marchés, supermarchés, les transports et autres commerces, les usagers sont aux abois. Les plaintes viennent de partout. La contrefaçon des billets de banque donne du tournis. Chaque transaction financière s’avère risquée, surtout avec des billets de 10.000 francs CFA.
Nous sommes au centre-ville de Yaoundé, lieu-dit Avenue Kennedy, l’une des places les plus commerçantes de la capitale. C’est pourtant l’heure de pointe et Francine est en train de barricader son kiosque. La gérante d’un point de dépôt et de retrait d’argent via les opérateurs de téléphonie mobile est en larme. Sa dernière transaction lui coûte très chère. «Je viens de recevoir une femme ici qui est venue faire un dépôt de 300.000 FCFA avec des nouveaux billets. J’ai encaissé et je me rends compte que parmi ceux-ci, quatre billets de dix mille sont faux. Je suis dépassée. Je ne sais pas comment je vais faire avec mon patron, surtout que c’est la deuxième fois cette semaine que je me retrouve dans cette situation. Vous imaginez quarante mille francs de perte», confie d’une voix tremblante la dame visiblement âgée d’une trentaine d’années.
Sans voix, Samuel l’est aussi. Ce vendeur de fleurs positionné un peu plus loin, a eu sa journée d’activité sombre il y a quelques jours. Elle a été gâchée à cause d’un bouquet de fleurs vendu à un montant de 8000 FCFA, mais payé par un faux billet de 10.000 FCFA. Une perte sèche, car en plus de la fausse monnaie reçue, il a dû sortir 2000F de sa caisse pour rembourser son client.
Autres lieux, même situation au quartier Biyem-Assi dans le 6è arrondissement. Ici, c’est une scène plutôt tendue sur laquelle nous tombons. Un client d’un débit de boisson est séquestré. La caissière du bar vient de se faire duper. Par chance, elle a pu rattraper son bourreau. Le monsieur bien vêtu affirme pour sa part ne pas être l’auteur du forfait. Il s’en suit de longues heures d’échanges houleux. Et au moment de notre départ des lieux, la tension autour du faux billet de 10000 est à son paroxysme.
À Yaoundé, comme dans les autres villes du pays, la prolifération des billets de banque contrefaits atteint des proportions inquiétantes. Les victimes se comptent en millier selon une source policière dans un commissariat de la place au regard du nombre de plaintes reçus par jour. Elles restent confuses face à l’ampleur du phénomène. «L’affaire du faux billet là va trop vite. Les billets de 2000, 5000 et surtout 10.000 FCFA circulent beaucoup. Je me demande même pourquoi on a introduit cette nouvelle gamme, pourtant on nous avait dit que celle-ci était difficile à copier», s’insurge François, retraité.
La cote d’alerte
Elle est atteinte, la cote d’alerte, s’il y avait encore le lieu d’en douter. Interpellé sur le sujet des faux billets en circulation dans la nouvelle gamme de billets de banque injectée il y a à peine un an, Abbas Mahamat Tolli, gouverneur de la Banque des États de l’Afrique Centrale (Beac), avait reconnu la situation. «J’invite les usagers à faire très attention chaque fois qu’ils font des transactions, et de s’assurer que les billets qu’ils reçoivent sont vrais», a-t-il indiqué, au sortir de la troisième session du Comité de politique monétaire (CPM) de la Banque centrale des États de la Cemac, tenue à Douala le 25 septembre dernier.
En début du mois de septembre 2023, près de 30 millions de FCFA en fausses coupures ont été saisis entre les mains de malfrats dans la ville de Souza dans le Littoral. De nouvelles coupures de 10.000, 5000, et 2000 FCFA qui s’apprêtaient à être mis en circulation via des achats de marchandises auprès des revendeuses.
Rappel
Au moment de sa mise en circulation en décembre 2022, la nouvelle gamme de billets avait été présentée comme hautement sécurisé. Notamment une dizaine d’indices de sécurité présents sur chaque billet pouvant permettre à chaque citoyen de la zone Cemac de déceler le vrai du faux. L’on note par exemple, la présence des lignes tactiles variant d’une à cinq et facilement palpables au toucher en fonction du billet que l’on possède. Elles ont aussi la particularité d’être identifiables même par des malvoyants.
Selon la Beac, cette nouvelle gamme de billet est donc plus compacte, plus moderne et donc mieux sécurisée. Des assurances aujourd’hui contredites soit par des contrebandiers ingénieux ou encore par des complicités internes comme le murmure une certaine partie de l’opinion.
Joseph Ndzie Effa, stagiaire